"Des actes de contrôle et de domination": qu'est-ce que le contrôle coercitif, qui pourrait entrer dans le code pénal?

Une nouvelle page est en train de s'écrire en matière de lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales. Dans le cadre de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, les députés de l'Assemblée nationale ont adopté en première lecture, le 28 janvier dernier, l'ajout de la notion de contrôle coercitif dans le Code pénal. Navette parlementaire oblige, ce concept et sa définition ont fait l'objet de discussions au Sénat ce jeudi 3 avril.
On parle de "contrôle coercitif" lorsqu'une personne exerce une domination sur une autre et l'isole, dans le cadre intrafamilial, par un ensemble de comportements et propos répétés quotidiennement. Il s'agit le plus souvent des agissements d'un homme à l'égard d'une femme.
Cela revient à "construire les barreaux de la cage de la victime en créant chez elle un état de peur et de contrainte", résume auprès de BFMTV.com Benjamin Moron-Puech, corédacteur de cet amendement et professeur agrégé de droit privé et de sciences criminelles à l’université Lumière Lyon 2.
"Des actes de contrôle et de domination"
C'est souvent dans l'intimité du couple qu'un tel schéma de domination se met en place. Le partenaire, dans la plupart des cas un homme, va par exemple contrôler au quotidien les sorties et déplacements de sa conjointe, lui interdire de conduire ou surveiller son alimentation. Mais le contrôle coercitif peut aussi perdurer après la séparation.
"Dans ce cas-là, le partenaire va par exemple tourner autour de la maison de son ex-conjointe, s'y introduire, appeler ou envoyer des SMS de manière intempestive", énumère auprès de BFMTV.com Yvonne Muller, professeure de droit à l'Université Paris-Nanterre.
Dans des couples séparés, il peut aussi arriver que la personne dominante utilise les enfants pour instaurer ce climat. "Il peut leur demander ce que fait leur mère, leur réclamer des photos ou de lui montrer la maison lors d'appels en visio", liste encore Yvonne Muller à titre d'exemple. "Là aussi, ce sont des actes de contrôle et de domination."
D'autres pays ont déjà adopté cette notion
Là où le concept d'emprise met la focale sur ce que vit la victime, celle de contrôle coercitif s'intéresse davantage aux mécanismes qui conduisent à cette situation. Pour Benjamin Moron-Puech, parler uniquement d'emprise revient à "ne prendre en compte que le résultat final, sans comprendre comment s'est construite la cage" dans laquelle la victime se retrouve piégée.
D'où la nécessité, d'après les deux professeurs, d'inscrire la notion de contrôle coercitif dans le droit: "Cela permettrait de démontrer l'existence d'un schéma global de domination par l'auteur et d'expliquer ce qu'un individu a mis en place au quotidien" pour en contrôler un autre, précise Yvonne Muller, auditionnée mercredi à l'Assemblée nationale à ce sujet.
Théorisé d'abord en sociologie puis en psychologie, le contrôle coercitif a été diffusé à grande échelle par le sociologue américain Evan Stark dès 2007. La France est loin d'être le premier pays à vouloir donner une place à ce concept dans sa loi. C'est l'Angleterre et le Pays de Galles qui l'ont intégré à leur Code pénal en premier en 2015, suivis par l'Écosse, l'Irlande et l'Australie. La notion a aussi été définie dans la loi belge, même si elle n'y constitue pas une infraction.
Des débats toujours en cours
Si les députés ont adopté le texte en première lecture en janvier, des débats sont toujours en cours pour déterminer de quelle manière faire entrer la notion dans la loi. Alors que Sandrine Josso, qui a porté la proposition de loi, souhaite que le contrôle coercitif constitue une infraction en soi dans le Code pénal français, les sénatrices Elsa Schalck et Dominique Vérien proposent plutôt de l'intégrer à la notion, déjà existante, de harcèlement.
"Ce serait le réduire à une forme de harcèlement conjugal, sans révéler l'existence d'un schéma. On serait loin de ce qui a été fait à l'étranger", estime Yvonne Muller.
Si Benjamin Moron-Puech partage son avis, il a jusqu'à présent été agréablement surpris par l'accueil qu’ont réservé aux textes les avocats et les magistrats avec qui il a pu échanger lors de la préparation de la proposition de loi ou du colloque qui s'est tenu le 2 avril à l'Assemblée nationale. "Ils ont répété à quel point la notion de contrôle coercitif les aidait sur le terrain. J'ai l'impression qu'il y a un vrai consensus sur le principe de l’introduction du contrôle coercitif."