Assassinat de Samuel Paty: l'un des accusés reconnaît sa culpabilité et présente ses excuses au procès

La cour d'assises spéciale de Paris le 4 novembre 2024 - STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Au procès de l'assassinat après une campagne de haine du professeur Samuel Paty le 16 octobre 2020, la cour d'assises spéciale de Paris a enfin entendu ce mercredi 6 novembre, au troisième jour d'audience, un accusé reconnaître sa responsabilité dans les faits qui lui sont reprochés.
"Je reconnais ma culpabilité. C'est la pire chose que j'ai faite de ma vie. J'en ai très honte. J'ai honte du mal que j'ai fait aux différentes familles", a dit d'une voix tremblante Ismaïl Gamaev, un Russe d'origine tchétchène de 22 ans au visage enfantin, poursuivi pour association de malfaiteurs terroriste et qui, comme deux autres accusés, comparait libre après deux ans de détention provisoire.
"Ça me touche beaucoup"
Cet aveu inattendu, le premier depuis le début du procès, a surpris la famille de Samuel Paty assise au premier rang des bancs des parties civiles. Gaëlle Paty, une des soeurs du professeur assassiné, ne peut retenir ses larmes.
L'avocate des parents de l'enseignant, Me Virginie Le Roy, le fait remarquer au jeune accusé. "Vous réalisez l'importance que ça a pour les parties civiles que les responsabilités soient assumées dans ce dossier ?".
Ismaïl Gamaev, étudiant en économie et gestion qui, selon l'accusation, a "conforté (le tueur) Abdoullakh Anzorov" dans son projet d'assassinat avant son passage à l'acte, fond en sanglots. Il parvient à articuler: "Ça me touche beaucoup".
À l’époque des faits, il partageait un groupe Snapchat avec Anzorov et l'un de ses coaccusés, Louqmane Ingar. Quand y est diffusée la tête décapitée de l'enseignant, il publie des smileys souriants.
Il assume avoir "sombré dans la radicalisation"
"Ismaïl Gamaev tient absolument à assumer qu'il a sombré dans la radicalisation lorsqu’il était lycéen de 18 ans. Même s’il ignorait tout du projet d’attentat – la complicité ne lui a d’ailleurs jamais été reprochée – il est conscient que ses échanges virtuels avec Anzorov ont pu contribuer à le conforter dans son idéologique funeste", rapporte Me Camilla Quendolo, son avocate, auprès de BFMTV.
"Il s’efforcera d’expliquer à la Cour et aux parties civiles comment s’est produit ce processus de radicalisation, dont il est heureusement sorti quelques mois plus tard, comme confirmé par tous les professionnels l’ayant expertisé de façon approfondie durant sa détention de 31 mois. Il travaille depuis quatre ans avec des psychologues pour cerner les raisons de son basculement", a joute-t-elle.
"Enfin, pour sa part, sa défense s’interroge sur les raisons pour lesquelles quelqu’unes seulement des personnes ayant échangé avec Anzorov portent aujourd’hui le poids entier de cette culpabilité judiciaire, alors que beaucoup d’autres personnes – y compris identifiées par l’enquête mais non poursuivies – semblent avoir eu un rôle similaire", conclut Me Camilla Quendolo.
Huit personnes, impliquées à des degrés divers dans l'attentat, sont jugées depuis lundi et jusqu'au 20 décembre.
"Je ne reconnais pas du tout les faits qu'on me reproche"
La cour n'a pas entendu d'aveux dans la bouche de Brahim Chnina, père de la collégienne qui a menti sur Samuel Paty en racontant faussement qu'elle avait été exclue deux jours du collège pour avoir tenu tête au professeur qu'elle accusait d'avoir montré des caricatures de Mahomet.
"Je ne reconnais pas du tout les faits qu'on me reproche", a dit d'emblée l'accusé, qui encourt également 30 ans de réclusion pour association de malfaiteurs terroriste criminelle.
Avec le militant islamiste Abdelhakim Sefrioui, 65 ans, qui doit être interrogé jeudi, Brahim Chnina est à l'origine de la massive campagne de cyberharcèlement qui a conduit à l'assassinat du professeur d'histoire-géographie.
Ce premier interrogatoire de Brahim Chnina, 52 ans, n'a porté que sur des éléments de sa personnalité. Son interrogatoire sur les faits est prévu le 2 décembre. Sur les bancs du public, des membres de sa famille se sont déplacés en nombre dans l'espoir de le saluer. Depuis son box, Brahim Chnina leur sourit.
"Ma famille, c'est tout. Depuis que je suis incarcéré, j'ai perdu pas mal d'amis mais ma famille est toujours là", reconnaîtra, à la fin de son interrogatoire, Brahim Chnina. L'enquête de personnalité dépeint un homme qui "aime s'occuper des autres", soucieux de l'éducation de ses six filles.
"On veut des explications"
"Je suis sage, je n'aime pas l'agressivité", affirme l'accusé la tête légèrement penchée en raison d'une surdité partielle. "La détention pour moi c'est l'enfer depuis ce drame qui est arrivé", se plaint-il.
"Après l'attentat contre Samuel Paty, à qui je demande des excuses (sic), il y a eu des rumeurs sur moi", poursuit-il sur un ton victimaire.
Selon le dossier d'accusation, il a publié dès le lendemain du cours de Samuel Paty sur la liberté d'expression des vidéos pour stigmatiser le professeur et le désigner comme une cible.
Entre le 9 et le 13 octobre, Brahim Chnina a eu neuf contacts téléphoniques avec Abdoullakh Anzorov. Pourtant, assure aujourd'hui Brahim Chnina devant la cour: "je respecte les enseignants".
"Je présente mes excuses à ce pauvre professeur qui n'aurait jamais dû mourir dans ces conditions-là", réitère-t-il. "On n'est pas là pour des excuses, on veut des explications", le recadre Me Virginie Le Roy.
Ne craignant pas les paradoxes, Brahim Chnina se présente comme une "victime du terrorisme" en évoquant le cas de sa soeur partie en Syrie après avoir été "endoctrinée" par un jihadiste qu'il qualifie de "voyou".
"Voyou" c'est le terme qu'avait également employé Brahim Chnina quand il dénonçait Samuel Paty.