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Police-Justice

Affaire Sarkozy: zoom sur le rôle du juge d'instruction

Le bureau d’une juge d’instruction au pôle financier du tribunal de grande instance de Paris.

Le bureau d’une juge d’instruction au pôle financier du tribunal de grande instance de Paris. - -

L'ancien président, mis en examen pour corruption et trafic d'influence, s'en est pris mercredi aux deux juges chargées d'instruire son dossier. Au-delà de ces accusations, c'est la profession de juge d'instruction qui est visée. Qui le saisit, et dans quel cadre?

Nicolas Sarkozy a désigné clairement ses cibles mercredi soir, sur Europe 1 et TF1: Claire Thépaut et Patricia Simon, les deux juges d'instruction qui l'ont mis en examen pour corruption active, trafic d'influence et recel de violation du secret de l'instruction. Elles sont accusées de partialité, et d'avoir voulu "humilier" l'ancien président.

Un épisode supplémentaire dans le feuilleton qui oppose Nicolas Sarkozy au juge d'instruction, dont il conteste le rôle depuis longtemps. Comment est saisi ce juge, et dans quel cadre? Peut-on s'en dessaisir? Eléments de réponses.

> Qui saisit un juge d'instruction, et comment?

• En règle générale. Le juge d'instruction peut être saisi de deux façons: "le plus souvent, il est saisi par le procureur de la République, qui ouvre une information judiciaire", indique Isabelle Perrin, juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Marseille et secrétaire générale de l'Association française des magistrats instructeurs. "Il peut aussi être saisi par une victime dont le dossier a été classé, ou est resté sans réponse du parquet. Dans ce cas, elle peut porter plainte en se constituant partie civile". "Le juge d’instruction ne peut pas s’autosaisir d’une affaire", explique encore Isabelle Perrin à BFMTV.com.

"Il est indépendant. C’est à dire que sa carrière ne dépend pas du ministre de la Justice et qu’il n’est pas soumis à un supérieur hiérarchique qui pourrait lui donner des instructions dans les dossiers en cours", précise l'Association française des magistrats instructeurs sur son site. C'est aussi pour cela qu'il est désigné comme "tout-puissant" par ses détracteurs: selon le Code pénal, "le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité".

• Et dans le dossier Sarkozy? C'est le Parquet national financier (PNF) qui est à l'origine de l'ouverture de l'information judiciaire, le 26 février dernier, après avoir été alerté par deux juges du contenu des écoutes de Nicolas Sarkozy. C'est le PNF qui a transmis le "réquisitoire introductif" au président du tribunal de Paris, pour lui indiquer sur quoi il faudra enquêter. C'est ensuite le président du Tribunal qui a choisi les juges.

> Quel juge, pour quelle affaire?

• En règle générale. Le juge d'instruction est désigné dans chaque affaire par le président du tribunal "par un tableau de roulement où les juges sont inscrits de permanence", explique Richard Samas, secrétaire national de l'Union syndicale de la magistrature (USM). "Mais dans les grosses juridictions comme à Paris, le président du TGI peut désigner le ou les juges, affaire par affaire, en fonction de leur spécialité: finance, délinquance, terrorisme, etc."

Il y aurait, selon Isabelle Perrin, environ 580 juges d'instruction en France, dont "72 à Paris", d'après Richard Samas. "Du coup, lorsqu'une affaire arrive au tribunal, on sait rapidement qui va s'en occuper", poursuit-il.

• Et dans le dossier Sarkozy? Selon Richard Samas, "Claire Thépaut et Patricia Simon ont été désignées par la présidente du tribunal, Chantal Arens, parce qu'elles font partie du service correspondant, spécialisé dans le domaine économique et financier. L'affaire relève donc entièrement de leur compétence", poursuit-il. Cet ancien juge d'instruction précise d'ailleurs que "leur service compte neuf personnes au tribunal, dont deux juges qui ont mené les écoutes et n'auraient pas pu instruire cette nouvelle affaire. A la fin, il reste peu de juges disponibles pour la traiter".

> Peut-on saisir plusieurs juges?

• En règle générale. Deux ou trois juges peuvent être désignés pour une même affaire, "à la demande du juge, du parquet ou des parties de la procédure", précise Isabelle Perrin. On appelle cela la co-saisine. "Elle est utilisée dans les dossiers complexes, ou d'une particulière gravité", poursuit la juge d'instruction.

• Et dans le dossier Sarkozy? "Désigner deux juges, c'est aussi une façon de les protéger", explique Richard Samas. "Ce dossier n'est pas forcément très complexe, mais il est délicat, et on sait par avance qu'il deviendra médiatique". C'est aussi, selon lui, un gage d'impartialité, car "chaque décision est prise à deux".

> Que faire si l'on estime qu'un juge est partial?

• En règle générale. Il est tout à fait possible de s'en dessaisir. "Si un justiciable estime qu'un juge est partial, il peut déposer une requête en suspicion légitime auprès de la Cour d'appel", explique Isabelle Perrin. Mais il s'agit d'une "véritable accusation. Il faut donc apporter des éléments concrets pour étayer sa thèse". Isabelle Perrin estime qu'il est "assez rare" que ces procédures aboutissent. Mais elles sont possibles.

• Et dans le dossier Sarkozy? Si Nicolas Sarkozy se lance dans une requête en dessaisissement à l'encontre de Claire Thépaut et que la Cour de cassation est d'accord, "il est possible qu'un autre juge soit saisi de l'affaire", poursuit Richard Samas. Autre possibilité: "l'affaire peut être transmise à une autre juridiction." Et se poursuivrait donc hors de Paris.

Ariane Kujawski