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Police-Justice

Accusations de violences sexuelles: pourquoi Adèle Haenel a choisi de ne pas saisir la justice

Adèle Haenel lors du festival de Cannes 2019

Adèle Haenel lors du festival de Cannes 2019 - Alberto Pizzoli - AFP

La comédienne a expliqué à Mediapart qu'elle considérait que le système judiciaire n'était pas capable de rendre correctement justice aux femmes victimes d'agressions sexuelles ou de viols.

Dans une enquête dévoilée par Mediapart le 3 novembre, Adèle Haenel a accusé le réalisateur Christophe Ruggia de "harcèlement sexuel" et d'"attouchements" alors qu'elle était encore mineure. Les faits, qui se seraient déroulés de 2001 à 2004 alors que la comédienne avait entre 12 et 15 ans - et le cinéaste entre 36 et 39 ans -, ne sont donc pas prescrits.

Pourtant, l'actrice doublement césarisée n'a pas souhaité porter plainte contre celui qui lui a donné son premier rôle au cinéma dans Les Diables en 2002. Une décision pointée du doigt par Nicole Belloubet ce mercredi lors d'une interview sur France Inter.

"Elle a tort de penser que la justice ne peut pas répondre à ce type de situations. Je pense au contraire, surtout avec ce qu'elle a dit, qu'elle devrait saisir la justice, qui me semble être en capacité de prendre en compte ce type de situations", a estimé la ministre de la justice.

"Une violence systémique" dans le système judiciaire

Dans la longue enquête publiée par Mediapart - fruit de sept mois de travail et étayée par les témoignages d'une trentaine de personnes -, Adèle Haenel explique simplement que la justice "condamne si peu les agresseurs" et "ignore" les victimes de violences sexuelles. La comédienne donne cependant plus de détails sur les raisons qui la poussent à ne pas porter l'affaire devant les tribunaux dans un entretien vidéo accordé lundi au média d'investigation

L'actrice confie tout d'abord qu'elle n'a "jamais vraiment envisagé la justice", et qu'elle avait plutôt pensé "à des procédures internes au cinéma, à des situations où on pourrait convoquer des gens du cinéma et leur parler de cette histoire". Adèle Haenel juge en effet que le système judiciaire actuel est incapable de rendre correctement justice aux femmes qui portent plainte pour harcèlement sexuel, agression sexuelle ou pour viol.

"Il y a une violence systémique qui est faite aux femmes dans le système judiciaire, dénonce la comédienne. Quand on voit à quel point les femmes sont méprisées... (...) Dans le système judiciaire, en cas de situations de violences sexuelles ou de viols, c'est un viol sur dix qui aboutit à une condamnation en justice, s'indigne-t-elle. Ça veut dire quoi pour les neuf autres? Ça veut dire quoi de toutes ces vies, en fait?"

"Libérer d'autres paroles"

Si elle assure croire en la justice, Adèle Haenel estime qu'il faut que l'institution "se remette en question". "Elle doit impérativement le faire si elle veut être à l'image de la société." La comédienne dénonce par exemple le traitement réservé aux femmes qui parviennent à porter plainte, notamment dans les commissariats.

"Il y a tellement de femmes que l'on envoie se faire broyer! Soit dans les façons dont on va récupérer leurs plaintes, soit dans la façon dont on va disséquer leur vie et porter le regard sur elles (en disant) 'La faute c'est elle, comment elle s'est habillée, qu'est ce qu'elle a fait, qu'est ce qu'elle a dit, qu'est ce qu'elle a bu!' Mais arrêtons, quoi! Moi, c'est pour elles que je fais ça aujourd'hui, en grande partie."

Adèle Haenel conclut en expliquant qu'elle a moins décidé de parler pour obtenir réparation que pour aider les autres femmes qui ont elles aussi pu être victimes de violences sexuelles traumatisantes.

"Je dois de pouvoir parler à toutes celles qui ont parlé avant, dans le cadre des affaires #MeToo. Je voudrais contribuer à ça, renvoyer ça dans l'espace public, parce que je pense que ça peut vraiment libérer d'autres paroles. Aujourd'hui, c'est une responsabilité pour moi. (...) C'était pour leur parler à eux et à elles, pour dire qu'ils sont pas tous seuls, quoi."

"Le silence est la meilleure façon de maintenir en place un ordre lié à l'oppression, a jugé la comédienne récemment vue dans Portrait de la jeune fille en feu. C'est pour ça que c'est crucial de parler!"

Juliette Mitoyen