38 ans en prison: ces choses que Philippe El Shennawy ignore

Un des plus anciens détenus de France, âgé de 59 ans, pourrait obtenir une libération conditionnelle. Et recouvrer la liberté dans une société bien peu comparable à celle de 1975, date de son incarcération...

Un des plus anciens détenus de France pourrait sortir dans les prochains jours. Alors que la justice a examiné jeudi sa demande de libération conditionnelle, Philippe El Shennawy, 59 ans, pourrait recouvrer la liberté dans une société bien peu comparable à celle de 1975, date de son incarcération pour le braquage d'une banque parisienne. Il sera fixé sur son sort le 22 janvier.

Depuis, il n'a connu que quelques mois en liberté entre permissions, évasion et liberté conditionnelle avortée. Quand il a entamé sa vie sous les verrous, en 1975, la France payait en francs, l'Europe était coupée en deux par le rideau de fer et le monde était toujours suspendu à une guerre nucléaire. Et pour se joindre, on faisait glisser sept chiffres sur le cadran de son téléphone fixe. Une réalité qui, en 2014, semble désormais bien loin.

Le Minitel: arrivé après, reparti avant. © -

> Les innovations technologiques

• Ordinateur. Sans doute le domaine dans lequel le monde d'il y a quarante ans s'apparente le plus à une société préhistorique. L'ordinateur ne se posait pas sur un bureau: l'Apple II et le PC d'IBM, premiers ordinateurs personnels vendus à grande échelle, ont été commercialisés en 1977 et 1981.

• Smartphone. En 1975, on composait sept chiffres sur son téléphone, dont on faisait glisser le doigt sur un cadran. Philippe El Shennawy passera directement au smartphone sans être passé par le clavier du Nokia 3310. La révolution du Minitel sera, elle, totalement passée inaperçue. Ringardisés par la tablette tactile, le clavier et la souris sont à deux doigt de connaître le même sort.

• Internet. Philippe El Shennawy devra aussi se mettre à Internet, tellement ancré dans les pratiques de 2014 qu'on en oublie qu'il n'est apparu dans les foyers français qu'il y a une quinzaine d'années. Retrouver ses vieux copains sur Facebook, et penser à ne plus ouvrir une encyclopédie Larousse en cinq volumes - Wikipedia est là pour ça.

> La géopolitique mondiale

La pièce d'un euro, commune à dix-huit pays de l'Union européenne. © -

• La fin du rideau de fer. Là encore, le monde a connu quelques bouleversements. 1975, c'était la guerre froide: la guerre nucléaire préoccupait les esprits, l'Europe était coupée en deux par un rideau de fer et Berlin par un mur. Difficile de croire, donc, que les expression "URSS" et "soviétique" ont été reléguées dans les pages des livres d'Histoire. Philippe El Shennawy devra aussi envisager une Union européenne à 28, avec les pays de l'Est, en lieu et place du petit club de huit pays qu'était alors Communauté économique européenne.

• Du franc à l'euro. Entre temps, on est aussi passé à l'euro. S'il voyage à Londres, Madrid ou Berlin (où il ne sera pas obligé de passer un checkpoint), Philippe El Shennawy n'aura pas à effectuer d'opération de change.

• De VGE à Hollande. Côté politique, il passera directement de Valéry Giscard d'Estaing -élu en 1974- à François Hollande. Il aura passé son incarcération sans connaître la France de François Mitterrand, de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, et il n'aura plus à attendre sept ans pour élire son président.

> Les transports

• Voiture électrique. Au milieu des années 1970, pas de véhicule propre ni silencieux: on roule en Simca 1000 et on commence à peine à acheter des CX. Le détenu qui a passé près de quatre décennies derrière les barreaux sera peut-être étonné de ne plus se faire servir par un pompiste dans une station-service. Bien sûr, il sera étonné par le prix du carburant. Et découvrira peut-être avec plaisir l'existence des véhicules hybrides et électriques.

• Rond-point. Il se rendra également compte, s'il fréquente les grandes villes, que la voiture doit se partager la place avec d'autres: métros, tramways et stations de vélos libre-services, que l'on a vu fleurir dans les centre-villes ces dernières années. Il devra en revanche s'exercer à l'art du carrefour giratoire. Le principe du "rond point" avec priorité à gauche n'est arrivé en France qu'en 1984.

> Les loisirs

Le Big Mac de McDo, inconnu en France en 1975. © -

• Jeux vidéo. Un écran plat et une console de jeu dans son salon, encore des innovations que la France du début des années 1970 n'a pas connu. L'Atari de Sega et la NES de Nintendo, qui ont popularisé le loisir, sont commercialisés en France respectivement en 1981 et 1983. La télé, elle, servait uniquement à regarder l'ORTF (remplacée par trois chaînes concurrentes en 1974). Pas à dégommer des zombies sur sa Xbox.

• Du vinyle au MP3. Philippe El Shennawy n'aura pas, non plus, eu l'occasion d'écouter durant sa vie dehors de musique sur cassette-audio avec un walk-man, ni de CD avec un CD portable. Du vinyle, il passera directement au MP3. Dans sa nouvelle vie, il regardera des Blu Ray ou des fichiers .avi sur son ordinateur sans être passé par la VHS ni même, peut-être, le DVD.

• Fast-food. Et s'il n'a pas le temps de cuisiner, il pourra commander (avec son smartphone) une pizza ou des sushis, aller manger un Big Mac ou prendre un sandwich dans l'une des multiples sandwicheries qui émaillent les gares avant de prendre le train. Officiellement, le tout premier McDo a ouvert en France en 1979 (après un essai raté à Créteil en 1972). L'ancien détenu ne comprendra donc sans doute pas l'engouement pour le grand retour de Burger King, qui a connu son succès hexagonal entre 1980 et 1997.

M. T.