BFMTV
People

"Spycies", le film d'animation franco-chinois au destin rocambolesque

Une scène du film "Spycies"

Une scène du film "Spycies" - Eurozoom

Production chinoise réalisée par un Français, Spycies a connu une genèse aussi mouvementée que surprenante avant de débarquer en salles.

Avant de débouler dans les salles obscures ce mercredi 26 août, Spycies, film d’action mêlant décors hyperréalistes et personnages anthropomorphes en cartoon, a connu une histoire rocambolesque, entre la Chine et la France.

Tout commence au mitan des années 2010. Le Français Guillaume Ivernel, réalisateur de Chasseurs de dragons, se rend en Chine pour s’informer sur les dernières tendances en matière d’animation. Sur les conseils d’un de ses amis, qui a travaillé sur les effets visuels du Dernier Loup de Jean-Jacques Annaud, il visite le studio chinois Lux Populi, tenus par le Français Benoît Luce et la chinoise Zhang Zhiyi.

"Je vais les voir et la patronne me dit qu'elle écrit. Elle me parle d'une série qui s'appelle L'Hôpital des animaux", se souvient-il. Le réalisateur, qui vient de finir de travailler sur Ballerina (2016), est intrigué par ce projet. Quelques mois plus tard, Benoît Luce le rappelle pour lui proposer de réaliser L'Hôpital des animaux, devenu entre-temps un film, sous l’impulsion d’investisseurs chinois.

Mélanger James Bond, SF et écologie

Commencent alors des discussions sur le ton du film: "Je leur ai proposé de mélanger du cartoon, du James Bond et de la science-fiction - ce qui en France aurait pu être un souci: on n'a pas trop cette culture de mélange de genres, contrairement à la Chine", précise Guillaume Ivernel, qui décroche ainsi la possibilité de réaliser un film d'animation d’action, un genre impossible à produire en France.

Mélange de SF et de "buddy movie", Spycies est aussi très influencé par l'animation japonaise, de Hayao Miyazaki (Princesse Mononoké) à Katsuhiro Otomo (Akira) en passant par Koji Morimoto (Magnetic Rose). Comme ces géants de l’animation, Guillaume Ivernel se passionne pour l’écologie et tient à alerter dans son film sur l’extinction des espèces et le réchauffement climatique:

"C'est une idée que j'ai apportée au début et qui était très importante. C'est un thème qui résonne en Chine. Ils sont en train de régler ce problème. C'est l'aspect du film que retiennent le plus les enfants en Chine comme en France."

"Le début a été l'enfer"

Rapidement, pourtant, les ennuis commencent. Le réalisateur ne dispose que d’un budget de douze millions d’euros avec lequel il doit donner l’impression d’avoir 50 millions sous le coude. Il doit aussi composer avec un planning de travail écourté: "un film d'animation, c'est trois ans [de production]. Là, on a eu 22 mois avec le scénario qui est écrit en même temps. Le début a été l'enfer."

Grâce à des relations dans l’édition, Guillaume Ivernel fait la connaissance de Davy Mourier, créateur de La Petite Mort et scénariste bien connu des amateurs de pop culture française. Plus à l’aise pour mettre en scène les courses poursuites que pour écrire des vannes, Ivernel demande à Davy Mourier d'écrire des dialogues additionnels pour pimenter son film qui ambitionne d’être une réponse en animation à L’Arme fatale.

Quand Davy Mourier est embauché, les personnages et les décors sont déjà fixés. Le scénariste a un mois pour refaire les dialogues et changer la fin. "C'était un puzzle", se souvient-il. "On devait trouver des liens entre les scènes, ajouter des dialogues à des scènes qui étaient en train d'être fabriquées. C'était assez tendu, mais assez amusant. C'était une manière d'écrire complètement différente de ce que je fais normalement."

Affiche de "Spycies"
Affiche de "Spycies" © Eurozoom

Séduire les Chinois avec un humour absurde

Avec Davy Mourier, l’ambition est de permettre de faire un film qui puisse plaire autant aux Chinois qu'au reste du monde. Le film a été imaginé "pour les gosses et les adultes qui ont grandi dans les années 1980", précise le scénariste, très heureux d’avoir "pu caser une séquence sur les cassettes VHS qui me rappelle mon enfance et ne parle plus aux enfants aujourd'hui".

Mélanger culture chinoise et pop culture occidentale ne fait pas forcément bon ménage dans l’empire du Milieu. "Il y a eu de longues tractations, en particulier sur les blagues et l'humour, mais on a trouvé à chaque fois un terrain d'entente", précise Guillaume Ivernel, qui a privilégié avec Davy Mourier un humour absurde, tout en exagération, pour séduire les Chinois.

Ils ont aussi appris que chaque détail pouvait avoir son importance. Une scène où une grenouille ramasse des papiers pendant que son patron, un éléphant, la surveille a retenu l’attention de la censure, raconte le réalisateur: "Les Chinois m'ont dit que c'était impossible: quand ton chef est dans la pièce, tu ne te baisses pas, c'est interdit."

Le box-office empoisonné par le Covid

Prévu en priorité pour le marché chinois, Spycies ne devait pas sortir en France. Par chance, il a été acheté par la société Eurozoom, qui le distribue dans nos contrées. Davy Mourier s’est ainsi retrouvé, en compagnie de son vieux complice Monsieur Poulpe, à prêter sa voix au duo de Spycies. Le scénariste devait jouer le faire-valoir, mais a finalement hérité du rôle du héros deux jours avant le début de l’enregistrement.

Il n’en fallait pas plus pour déstabiliser Davy Mourier, qui en la matière suivait jusqu’à présent une règle très précise: "Comme je n’ai pas un physique de héros, il n’y a aucune raison que j'en fasse un." Heureusement, Monsieur Poulpe et Davy Mourier se connaissent très bien et les deux amis ont pu improviser des blagues et une chanson, totalement inédite. En Chine, les répliques sont moins délirantes - et la musique complètement différente.

Terminé en 2017, avec de l’avance sur le planning, le film a mis trois ans pour parvenir jusqu’à nous. Longtemps reportée, la sortie chinoise a finalement eu lieu en décembre 2019, six mois après une avant-première au festival d’Annecy. Les critiques ont été bonnes et Spycies s'est hissé à la cinquième place du box-office local. "J’étais ravi", confie Guillaume Ivernel, "mais la deuxième semaine il y a eu le coronavirus." Le film est sorti alors dans la foulée sur iQIYI, le Netflix chinois: "Heureusement que Eurozoom, en France, ne l'a pas sorti en même temps. Ça aurait pu être le même cas."

La sortie, à la fin de l’été, sans concurrence de blockbusters américains, devrait porter chance à ce film qui revient de loin. Spycies a donné envie à Davy Mourier et à Guillaume Ivernel de poursuivre leur collaboration. En attendant de trouver la bonne idée, Davy Mourier travaille sur une nouvelle saison de La Petite Mort, après le carton des précédents épisodes sur la plateforme de France TV (40 millions de vues). Guillaume Ivernel, quant à lui, planche sur une adaptation en film des Légendaires, la BD à succès de Patrick Sobral.

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV