"Sortir des clichés": des Foudres à Gojira, comment le métal français est passé de l’ombre à la lumière

Le groupe Gojira, Marina Viotti et Victor Le Masne récompensés lors des Grammy Awards le 2 février 2025 à Los Angeles. - Amy Sussman / Getty Images via AFP
Longtemps, le métal français s'est raconté entre passionnés. Une scène vivante, dense, inventive, mais confinée dans ses circuits de festivals, de médias spécialisés et de communautés fidèles. Depuis des années, seul le Hellfest fait un peu office de partie émergée de l'iceberg métal en France.
Ce jeudi 9 octobre, au Bataclan, cette frontière symbolique s'efface un peu plus avec Les Foudres, première cérémonie de remise de prix consacrée au genre musical en France.
Présenté par le chroniqueur radio et humoriste Thomas VDB et imaginé par des acteurs du milieu, cet événement inédit marque ainsi un tournant pour le métal et offre au genre une visibilité nouvelle et une reconnaissance à la hauteur de la richesse de sa scène.
L'effet Gojira aux JO
Si Les Foudres ont pu voir le jour, c'est avant tout parce que, ces dernières années, comme en témoignent plusieurs signaux, le regard du grand public sur le métal a changé.
Alors que le Hellfest, célèbre festival français dédié au genre, ne cesse de battre des records de fréquentation chaque année, en 2024, la Philharmonie de Paris a consacré une exposition entière à cette culture longtemps marginalisée. Mais c'est surtout l'incroyable prestation de Gojira lors de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Paris 2024 qui a offert au métal une visibilité inédite.
En reprenant le chant révolutionnaire Ah! Ça ira aux côtés de la chanteuse lyrique franco-suisse Marina Viotti, le groupe a marqué les esprits et vu ses écoutes s'envoler: +1.286% juste après la prestation, d'après Deezer. Depuis, Gojira a même été récompensé aux Grammy Awards, une consécration rare pour un groupe français de métal.
"Il y a eu un effet levier hyper important post-JO", reconnaît auprès de BFMTV.com Pascal Gueugue, président de la Fédération des musiques métalliques, créée il y a trois ans et partenaire de la cérémonie des Foudres.
Selon le spécialiste, cet engouement a donné un véritable élan à toute la scène métal et contribué à changer le regard du grand public sur ce genre musical. "Ça a permis à plein de groupes d’avoir plus de visibilité", indique-t-il. "Les tournées marchent bien, les groupes qui marchaient déjà marchent encore mieux, et ceux qui se font connaître profitent de cette visibilité".
"C'est important d'exposer l'esthétique métal pour sortir des clichés et faire comprendre aux gens qu'il y a une culture derrière, qu'il y a des choses hyper intéressantes, que ce n'est pas juste du bruit", poursuit Pascal Gueugue.
"Le métal ce n’est pas une scène peuplée de vikings assoiffés de sang mais une communauté regroupant des artistes intéressants, venant de plein d’horizons différents", abonde Rod Glacial, édito Rock, Metal & Country chez Deezer.
Professionnalisation du genre et nouveau public
Mais, en réalité, cette mise en lumière du métal n'a rien d'une révolution. D'après Pascal Gueugue, le genre n'a pas soudainement explosé en France, il s'est simplement fait plus visible.
"On sait depuis longtemps que la scène est riche, qu'il y a plein de choses qui se passent, sauf que jusque-là, tout le monde était un peu sous les radars. C'est vraiment pour le grand public que c'est nouveau, mais pour nous, ça ne l'est pas tant que ça", affirme le fondateur de la Fédération des musiques métalliques.
Un constat partagé par Rod Glacial: "beaucoup de médias en France semblent avoir découvert Gojira à l'occasion des JO alors que le groupe existe depuis près de 30 ans, a sorti plusieurs albums acclamés et joue dans des salles énormes depuis des années".
"Cela montre malheureusement encore le manque de légitimité que la France accorde parfois à ce mouvement musical, tant qu’il n’est pas validé par une structure étatique (la Philharmonie de Paris, le comité des Jeux Olympiques, etc)", poursuit le spécialiste.
Malgré tout, Pascal Gueugue constate toutefois des conséquences bénéfiques de cette exposition dans le milieu métal ces dernières années, notamment au sujet de la professionnalisation des acteurs de cette scène.
"Aujourd’hui, les gens dans le milieu se disent: 'nous aussi on a le droit d’aller chercher des aides, des subventions, de l’accompagnement. On a le droit d’être des professionnels de la musique au même titre que des rappeurs ou des artistes de chanson", note Pascal Gueugue.
Cette nouvelle visibilité s’accompagne aussi d’un renouvellement du public. Si la moyenne d'âge des fans de métal est d'environ 39-40 ans, Rod Glacial note que les jeunes générations, attirées par les festivals et les figures phares du genre, s'intéressent davantage à la scène.
"Je vois un renouveau dans certains sous-genres, le metalcore ou le hardcore, dont les concerts se sont nettement rajeunis et diversifiés ces dernières années", observe le spécialiste.
"C'est important d'éduquer les générations qui arrivent au rock et au métal. Parce que le risque c'est que les fans vieillissent, que les têtes d'affiche vieillissent et puis qu'à terme il n'y ait plus grand monde à part des vieux pour écouter du métal", souligne quant à lui Pascal Gueugue.
Une ouverture qui crispe les puristes du genre
Pour autant, cette ouverture du métal à un nouveau public n'est pas forcément accueillie avec enthousiasme par tous les fans. Une partie de la communauté voit d’un mauvais œil cette exposition accrue, perçue comme une dilution de l’esprit contre-culturel du genre.
"C'est un peu le paradoxe", reconnaît Pascal Gueugue. "On a envie d’être exposé pour montrer que la culture métal existe et mettre en avant ses valeurs, mais en même temps, il y a cette tendance naturelle du métal à rester dans l’ombre parce que ça reste une contre-culture".
"C'est toujours désagréable de se faire piquer son jouet", assure quant à lui Rod Glacial. "Mais il est aussi nécessaire de renouveler le public d’un genre qui existe depuis près de 50 ans maintenant, pour éviter qu’il fonctionne en vase clos et ne finisse par s’éteindre".
Dernier exemple en date qui a relancé le débat: le Hellfest. Lors de sa dernière édition, le festival a essuyé de nombreuses critiques après avoir annoncé le groupe Muse en tête d’affiche, un choix jugé trop "mainstream" par une partie des puristes.
"Le dernier album de Muse est nettement plus métal que beaucoup de groupes qui se placent dans cette catégorie donc j’ai trouvé ça un peu hypocrite", indique Rod Glacial. "Surtout vis-à-vis du Hellfest qui a littéralement fait jouer tous les groupes de la planète metal depuis sa création en 2006, il est important aussi qu'un festival de cette ampleur se réinvente".
"Certains extrémistes du métal pensent que ce n'est pas bien de s'exposer trop, que le genre doit rester dans l'ombre, doit parler de choses obscures et je les respecte, ça fait partie du côté contre-culture", concède de son côté Pascal Gueugue.
"Mais, pour moi, ce ne sont pas les Foudres ou l'ouverture au grand public qui vont amener les gens à écouter des artistes très extrêmes et obscurs. Je pense que, malgré tout, la majorité des fans se réjouit de cet engouement. Ça coupe un peu la scène métal en un tiers, deux tiers", précise-t-il.
"On n’est pas là pour révolutionner la scène métal"
D'après le président de la Fédération des musiques métalliques, ce débat qui crispe les fans est "très français". "En Allemagne ou aux États-Unis, il y a des groupes de métal dans les charts, ça ne choque personne. Nergal, le chanteur de Behemoth, a même été juré de The Voice en Pologne, alors que ce n'est pas le groupe le plus accessible du monde. Mais ça ne brusque pas les gens parce que le rock et le métal sont ancrés dans la culture du pays, ce qui n'est pas le cas en France"
Avec Les Foudres, cette tension entre l’envie de reconnaissance du genre et d'indépendance ressurgit donc pleinement. "On n’est pas là pour révolutionner la scène métal", rassure toutefois Pascal Gueugue, qui a lui aussi reçu des critiques lors de l'annonce de la création de la cérémonie.
"On est là pour aider les groupes à être mieux pris au sérieux, à pouvoir se développer et pour permettre à tout l’écosystème métal de profiter de cette visibilité pour continuer à faire des choses", ajoute-t-il. "La scène métal, elle est là, elle est solide. On va juste, par le biais des Foudres, lui donner un peu plus de visibilité".