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Muse au Hellfest: en lorgnant le "mainstream", le "festival de l'Enfer" risque-t-il de perdre son âme?

Des festivaliers au Hellfest, à Clisson, le 22 juin 2018. (Photo d'archive)

Des festivaliers au Hellfest, à Clisson, le 22 juin 2018. (Photo d'archive) - LOIC VENANCE / AFP

La présence de Muse comme tête d'affiche de la 18e édition du festival a suscité la surprise ou la déception de certains fans de metal, qui voient dans ce choix de programmation le signe d'une ouverture excessive du Hellfest au grand public, loin des racines de l'événement.

Ne jamais dire jamais. L'adage est connu, mais peut-être que Ben Barbaud ne l'avait pas en tête lors de la conférence de presse clôturant l'édition 2017 du Hellfest. "On m’a demandé si Muse, Foo Fighters ou encore Coldplay allaient venir. Nous n’irons jamais jusque-là", promettait alors le patron du festival des musiques extrêmes.

Depuis, huit ans ont passé, Foo Fighters a foulé l'une des scènes du Hellfest en 2022 et la pop rock de Muse se fera entendre sur l'une des scènes principales du festival ce vendredi 20 juin pour la 18e édition de l'événement, qui se tiendra jusqu'à dimanche en présence de 60.000 personnes chaque jour.

En faisant venir Matthew Bellamy et ses compagnons, Ben Barbaud se doutait bien qu'il allait faire grincer des dents une partie des métalleux et des historiques du Hellfest.

"Avec l’âge, moi aussi, j’ai mûri, je suis moins sectaire", expliquait-il en décembre 2024 dans un entretien au Parisien. "J’ai créé ce festival par amour du punk, du hardcore et au début pour les puristes. Mais aujourd’hui, je préfère les choquer que de refaire toujours les mêmes artistes".

"Marre des touristes"

Dans les commentaires de la publication Facebook annonçant la future mise en vente des pass 4 jours pour l'édition 2026, certains partageaient ainsi leur déception de voir le "festival de l'Enfer" perdre à leur sens un peu de son âme en se fondant dans le "mainstream". "Sans moi. L’année prochaine après onze ans de Hellfest on va se diriger vers d’autres festivals pour retrouver de vrais metalleux. Marre des touristes", taclait Jimmy. "Pour la première fois ce sera sans moi. La programmation de cette année m'a dégoûté", cinglait un autre.

Bénévole depuis six éditions et n'ayant pas manqué un seul Hellfest depuis 2010, Kévin Bouvron, 35 ans et habitant dans la région nantaise, a pu constater aux premières loges l'évolution du festival, que ce soit par sa programmation ou son décor "Le Hellfest a pris des airs de Disneyland depuis un bon bout de temps", résume-t-il.

"L'organisation propose des groupes beaucoup plus accessibles et les gens viennent au Hellfest comme ils viennent aux Vieilles Charrues. Il n'y a plus besoin d'écouter toute la journée du metal pour vraiment apprécier son séjour. Ça fait vraiment penser à un Coachella en un peu plus noir et avec moins de paillettes et de stars."

Lointaine semble en effet l'époque où le Hellfest, suscitant aussi bien la curiosité que les moqueries, était simplement perçu comme "un rassemblement de gens bizarres écoutant du metal et habillés en noir", rappelle Corentin Charbonnier, anthropologue et auteur en 2015 de la thèse La communauté métal: le Hellfest comme lieu de pèlerinage.

Du lieu de pélerinage à la porte d'entrée

Selon lui, après dix premières années d'existence marquées par sa pérennisation et son développement en s'appuyant sur les fans de la première heure, le festival est demeuré jusqu'en 2018 un événement pour un "public de metal". Une mutation du public s'est opérée à partir de 2019, avec l'afflux de plus en plus important de nouveaux festivaliers.

"Il y a désormais quatre profils de public différents au Hellfest. On va avoir d'un côté les puristes qui ont une passion pour le métal ainsi que ceux qui reviennent d'année en année parce qu'ils sont fans du festival", pose Corentin Charbonnier.

"On retrouve ensuite deux autres types de public qui ont fait leur apparition: les accompagnants, qui suivent leur conjoint ou leur ami pour aller au Hellfest. Et enfin on a 25% des festivaliers venant au festival alors qu'il s'agit de leur seule pratique en rapport avec le metal de toute l'année."

De lieu de pélerinage de la communauté metal, le festival s'est ainsi transformé en porte d'entrée de ce milieu, en un carrefour où les afficionados "en noir et vestes à patchs côtoient des personnes avec des sacs Quechua et portant un T-Shirt blanc", synthétise l'anthropologue.

Outre cette cohabitation entre différents publics, le Hellfest a également vu ses tarifs s'envoler puisqu'il en coûtait 189 euros pour un pass trois jours pour l'édition 2015 contre 339 euros pour le pass quatre jours dix ans plus tard. Ce qui n'empêche les sésames du Hellfest 2025 de s'écouler en moins d'une demi-heure! En étant vendus à une telle vitesse et avec une demande largement supérieure à l'offre, le renouvellement des festivaliers d'année en année est mécanique et une partie des "metalheads" se retrouve fatalement sur le bord de la route.

Une musique vieillissante

En parallèle, les participants au Hellfest, en plus d'être de plus en plus diplômés, ont pris un petit coup de vieux. Alors que la moyenne d'âge des festivaliers était de 26 ans en 2011, elle était proche des 40 ans en 2022. Un vieillissement également de mise pour les noms les plus vendeurs. "Allant au Hellfest depuis 2010, j'ai déjà dû voir certaines têtes d'affiche trois ou quatre fois", reconnaît Kévin Bouvron. Corentin Charbonnier abonde: "Le festival a fait le tour le tous les groupes importants du genre, hormis peut-être System of a Down et AC/DC".

Difficile dès lors pour l'organisation de renouveler ses grands noms sans jeter un coup d'œil vers d'autres styles musicaux... quitte à susciter quelques cris d'orfraie chez les metalleux. Ces derniers trouveront sans doute davantage de formations à leur goût sur les scènes annexes, parmi les plus de 180 artistes programmés sur les différentes scènes du Hellfest.

Reste sinon pour ceux qui seraient déçus par le virage pris par le Hellfest à trouver leur bonheur quelques centaines de kilomètres plus loin, dans des festivals de taille plus réduite. Cette année, ils pourront par exemple se tourner vers l'Xtreme Fest, qui se tiendra à Cap Découverte (Tarn) du 31 juillet au 2 août, le Tyrant Fest, organisé à Oignies (Pas-de-Calais) les 18 et 19 octobre ou le Motocultor Festival qui aura lieu du 14 au 17 août à Carhaix, la ville des Vieilles Charrues.

Vincent Gautier