Pomme de retour avec l'album "Consolation": "on cultive moins la consolation en devenant adulte"

Pomme - Lian Benoit
On serait tenté de vous dire que vous n'aurez plus besoin de mouchoirs, car la Consolation arrive. Mais il n'est pas impossible que vous versiez une larme ou deux à l'écoute du troisième album de Pomme. Le jeune visage de la folk à la française retrouve les rayons des disquaires ce vendredi avec un opus à la tendresse et aux mélodies émouvantes, porté par des arrangements légèrement électro qu'on ne lui connaissait pas.
La trajectoire de cette autrice-compositrice-interprète de 26 ans a été fulgurante: après un premier album passé relativement inaperçu en 2017, le deuxième (Les Failles, 2019) lui a offert la reconnaissance du public - avec une certification disque de platine - et de ses pairs: prix de l'album révélation aux Victoires de la musique en 2020, suivi un an plus tard du trophée de la meilleure artiste féminine. Une exposition qui lui a permis de faire porter sa voix sur les causes qu'elle défend, de l'écologie à la lutte contre les violences faites aux femmes.
Consolation aurait difficilement pu être mieux nommé: aussi mélancolique qu'il puisse être, il fait souvent l'effet d'un câlin qui viendrait effacer les inquiétudes que Les Failles exploraient. Après avoir analysé ses angoisses existentielles, Claire Pommet (son vrai nom) retrouve le public pour parler de son enfance (Jardin, Dans mes rêves), épauler un(e) proche éprouvé par la vie (Septembre), ou rendre hommage à certaines figures féminines qui ont connu des fins tragiques, notamment Barbara (B.). Mais aussi l'autrice Nelly Arcan, dont "la beauté des écrits et la fatalité du suicide ont anéanti" Pomme, comme elle l'explique sur Instagram. Le premier single de l'album lui est dédié.
Alors de quelle consolation parle-t-elle avec ces 12 nouveaux morceaux? Celle qu'elle souhaite apporter à son public, celle qu'elle s'octroie à elle-même, ou celle qu'elle aurait voulu prodiguer à ces femmes dont elle salue la mémoire? "Un peu les trois", a-t-elle répondu à BFMTV.com quelques jours avant la sortie du disque. Avant d'expliquer ce nouveau projet, avec la précision et l'honnêteté dont elle fait toujours preuve en interview.
Revenir après un tel succès, ça fait peur?
J'ai eu quelques moments d'anxiété, notamment quand j'ai commencé à composer. D'habitude, c'est justement ce qui me vide le cerveau. Mais cette fois, tout ce que je voyais c'était des gens en train de me regarder composer. Je me suis dit que c'était sûrement lié au fait que j'ai pris conscience qu'il y a des gens qui écoutent ma musique, maintenant... C'est indirectement lié au succès, à la peur de déplaire, ou d’échouer. Des sentiments que je n'avais pas connus quand j'ai fait Les Failles. Le reste du temps, j'ai réussi à me mettre dans une bulle de création. Le simple fait de pouvoir composer pendant la pandémie a été une consolation.
Car il y avait une crainte de ne pas y parvenir?
Je pense que c'était un mélange de l'après-succès des Failles, mêlé à la pandémie. Quand on s'est tous retrouvés enfermés, c'était parfois difficile de se projeter dans l'avenir, la période n'était pas très inspirante. Il y avait en plus une pression de l'extérieur, parce que tout le monde disait que c'était le moment pour les artistes d'être créatifs, de réinventer les choses. Alors qu'on était comme les autres, on a traversé de grands moments de questionnement par rapport à ce qui se passait.

Et à quelques jours de la sortie d'un album qui génère plus d'attente que le précédent, on se sent comment?
Je pense que c'est un peu pareil. Bien sûr, je suis un peu stressée par l'accueil, la réception, aussi parce que cette fois j'ai investi de l'argent en tant que productrice, alors il y a des enjeux qui n'existaient pas avant pour moi. Mais artistiquement, je suis 100% sûre de ce que j'ai fait. Même si l’album plait moins, je ne pourrai rien regretter parce que j’ai fait exactement ce que je voulais faire, et à aucun moment je ne me suis trahie.
Comment l'idée de "consolation" est-elle venue?
J'avais envie de parler de plusieurs choses: de mon enfance, de rendre hommage à des figures féminines qui m'ont inspirée... j'avais du mal à trouver un concept qui relierait tout ça. Après avoir écrit Nelly, je me suis rendu compte que composer cette chanson m'avait un peu auto-consolée. Et j'ai trouvé que Consolation était la meilleure manière de relier tous ces thèmes, notamment parce que c'est aussi lié à l'enfance: la consolation, on la réserve plutôt aux enfants, et on la cultive moins en devenant adulte. Moi, en tout cas, j'ai appris à me réconforter moi-même, parce qu'on n'est pas toujours à même de demander du réconfort autour de soi.
La consolation, ça évoque quoi pour vous?
La consolation, c'est l'inverse d'une solution, c'en est même le remplacement: quand on a besoin d'être consolé, c'est qu'on est face à une situation qui n'a pas de solution concrète. Au-delà de l'intime, j'avais l'impression que c'était un besoin collectif, pour pallier le manque de solutions face à des problèmes de société très angoissants.
Avec un peu de recul, quel regard portez-vous sur ces dernières années?
J'ai eu du succès pendant une pandémie, alors j'ai l'impression de ne toujours pas avoir pris la mesure de ce qui s'est passé. D'un côté je suis consciente que c'est vertigineux, et de l'autre je garde un détachement par rapport à ce succès, parce que j'ai été physiquement détachée des gens. Au final, ça m'apporte un équilibre, j'ai l'impression que ma vie n'a pas vraiment changé. Bien sûr, plus de gens s'intéressent à moi ou viennent me parler dans la rue, mais ça reste très vivable au quotidien. Je peux quand même dire que je n'ai pas spécialement envie d'être plus connue que ce que je vis maintenant. Je ne suis pas sûre que j'apprécierais une notoriété plus importante.
Vous avez pris part à la libération de la parole des femmes, notamment avec un message publié sur Mediapart dans lequel vous avez déclaré avoir été victime de harcèlement moral et sexuel au sein de la filière musicale. Cinq ans après le mouvement #MeToo, deux ans après le #MeTooMusic, quel bilan dressez-vous?
Je ne dresse pas vraiment de bilan, parce que c'est trop déprimant (rires)... La seule avancée que je vois, c'est que c'est devenu un sujet. Puisque ça a pris de la place dans l'espace médiatique, les comportement sexistes ou violents sont sans doute moins acceptés. Mais concrètement, je n'ai pas vu autour de moi des personnes problématiques devenir de bonnes personnes. Il y a plein de gens pour qui se remettre en question sur ces questions-là c'est perdre du pouvoir, du grade. Alors je pense que nous en sommes à la première étape d'un très long chemin, et malheureusement je ne suis pas sûre d'être encore vivante quand les agressions cesseront. C'est comme les problèmes de racisme, ou d'écologie: c'est un système totalement différent qu'il faudrait.
"Les Failles", "Consolation"... ça sonne comme une réponse. Peut-on dire que l'un était l'album des névroses, de ce que l'on n'aime pas chez soi-même, et que l'autre est celui de l'âge où l'on accepte ce qui ne va pas?
Exactement. Quand j'ai écrit Les Failles, j'étais dans une guerre perpétuelle avec moi-même. Aujourd'hui, j'ai l'impresssion d'être apaisée: au lieu de chercher à ne plus être anxieuse, de ne plus avoir peur, j'ai décidé d'accepter ces émotions. Je continue à être anxieuse, à ressentir de grands moments de solitude, mais je ne trouve plus ça horrible. Je pense que le succès des Failles n'y est pas étranger: j'ai acquis une confiance artistique. Consolation est un album plus tourné vers les autres, ouvert sur quelque chose de plus collectif, et j'avais besoin de ça.
Pomme - "Consolation" (Polydor), disponible ce vendredi 26 août
Pomme sera en concert à travers la France et au Québec, en Suisse, en Belgique et au Luxembourg à partir de décembre prochain