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Tessae sort son premier album: "Mon angoisse me mène en bateau tout le temps"

Tessae

Tessae - Capture d'écran YouTube - TESSÆ

Exit le rap, la jeune Tessae dévoile ce vendredi "Sérendipité", un premier album entièrement chanté. Elle raconte à BFMTV.com le chemin parcouru, tant professionnellement que personnellement, pour arriver à cette réussite pop.

Tessae change de disque. Deux ans après avoir émergé sur la scène urbaine, l'artiste marseillaise de 20 ans dévoile un premier album dans lequel elle efface l'ardoise de ses débuts. Avec Serendipité (Belem Music), disponible ce vendredi, la jeune femme ôte la casquette de rappeuse pour s'assumer chanteuse.

Le monde du rap lui avait pourtant ouvert les bras: en 2019, un concours remporté sur internet lui avait valu de monter sur scène avec Booba au festival We Love Green. Ses premiers EPs, réunis dans la mixtape Saisons (2021), lui ont offert une belle résonnance auprès du public et des médias. Notamment grâce au buzz sur TikTok du morceau Bling, son premier gros succès.

Mais c'est avec ce qu'elle qualifie de "pop alternative" que la jeune artiste fait son retour. Entourée des producteurs Prinzly, Paco Del Rosso et Klefman, elle a puisé dans l'électro, le rock et le R&B pour offrir les 15 morceaux qui composent Serendipité, emmenés par le single Sans Rancune.

Avec ce disque, Tessae dévoile une nouvelle version d'elle-même, plus mélodieuse, plus singulière et sans doute plus sincère. Les fans de la première heure seront peut-être surpris, mais pas déçus: la chanteuse y reste fidèle aux textes empreints de doute et de vulnérabilité qui ont résonné auprès de son jeune public.

Car celle qui a toujours évoqué ses angoisses chroniques et son anxiété renoue avec ses démons. Ils sont à la fois l'adversaire et le moteur de ce disque aussi sombre qu'il peut être solaire, aussi aérien qu'il peut être dansant. Le tout sonne comme une réalisation: pour se débarrasser de ce qui nous ronge, il faut s'y confronter. C'est ce qu'elle a expliqué à BFMTV.com lors d'une conversation à l'image de son travail: à vif, généreuse et honnête.

Pourquoi avoir délaissé le rap pour une musique plus mélodieuse?

Je ne me suis jamais dit que je deviendrais rappeuse, et je ne considère pas que je sais faire du rap. Il y a eu le coup de pouce de Booba, puis Bling qui a joué, et j'ai été présentée comme rappeuse. C'était mon truc, c'est venu très naturellement, mais après Bling je me suis sentie obligée de correspondre à cette étiquette. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à vriller par rapport à la musique. Il fallait que je me décroche de ça et que j’arrive à me faire entendre comme j’ai envie d’être entendue. Avec Sérendipité, je voulais montrer qu'à la base, j'aime la musique parce que je chante.

"Sérendipité" vient de l'anglais "serendipity", qui se traduit par "heureux hasard". Quel message vouliez-vous faire passer avec ce disque?

Ce mot est venu au dernier moment, quand je me demandais quel était le lien entre tous les morceaux. J'ai vécu une période où je n'allais pas bien du tout, j’étais devenue mon propre démon, je m'auto-sabotais aussi bien personnellement que professionnellement. "Sérendipité", c'est l'éveil, quand je me suis rendu compte que ces dernières années, j'ai vécu soit dans le passé soit dans le futur mais jamais dans le moment présent. En faisant ces chansons-là, j'ai réussi à panser un peu les soucis que j'avais.

Vous parlez d'une période de mal-être...

Après Bling et l'image de rappeuse qui en a découlé, j'ai commencé moi-même à ne plus trop savoir me situer, alors que j'utilisais justement la musique pour aller bien. Quand j'ai perdu pied par rapport à la musique, le mental a suivi. Je ne savais plus ce qui était moi et ce qui ne l'était pas. Une grosse sensation de vide a pris place, je me suis retrouvée mise à terre par mon angoisse. Et c'est là que j'ai commencé à écrire les sons pour l'album.

À l'écoute de ce disque, on sent effectivement un combat intérieur très fort. Dans le titre "Entêté.e", vous demandez "quand vais-je me laisser tranquille?'...

J'en étais à un point où je ne pouvais plus rien apprécier: dès que quelque chose de positif m'arrivait, des pensées venaient le contrer. Dans cette chanson, je demande quand je vais réussir à mettre mon cerveau sur off pour être bien. Sur tout l'album, je me demande pourquoi je fais ça, quoi! (rires).

Vous avez d'autres paroles très dures dans "quelques secondes": "Si j'avais quelques secondes pour changer le monde, je m'échangerais"...

Ma tête, c'est l'essence de tous mes soucis. C'est elle qui influe sur la vision que j'ai de ce qui se passe autour de moi, et je sais que si j'arrivais à changer ça, plus rien ne serait pareil. Écrire ces morceaux m'a permis de prendre du recul en acceptant le problème. En me disant 'd'accord, je m'auto-sabote beaucoup, j'ai des pensées négatives, mais m'énerver contre ça ne va pas m'aider'. J'ai voulu normaliser la chose, essayer d'avancer malgré tout.

On sent un fort soutien de la part de votre public. Sur Instagram, vous avez publié un extrait de concert où une personne du public crie "Tessae, je t'aime!": ce doit être très gratifiant, non?

C'est trop mignon mais je ne m'en rends compte qu'après. Parce que quand je suis sur scène, je flippe de ouf. Sur ce concert, on a eu plein de soucis techniques, et le public a été super cool. Ils ont capté et ils ont pris le dessus. Parfois, des gens viennent me remercier de les avoir aidés dans des mauvais moments, et ça me touche énormément mais sur le coup je ne sais pas trop quoi faire. Moi aussi, des artistes m'ont épaulée dans des périodes compliquées, donc je sais ce que ça fait mais je ne sais pas comment j'aurais aimé qu'on réagisse. Alors je leur fais des câlins, je leur donne du soutien, je leur parle un peu comme à des potes. Je ne peux pas imaginer une hiérarchie chelou entre artiste et fan. De toute façon, j'ai tellement peur des gens que je ne pourrai jamais me sentir au-dessus! (rires)

Encore aujourd'hui, bien que vous fassiez de plus en plus de concerts?

Oui! Quand je leur parle, je suis en train de juger ce que je dis tout en parlant... Mon angoisse me mène en bateau tout le temps.

On entend aussi, dans votre album, une envie de se libérer de ces démons-là, notamment dans Qu'il en soit ainsi ou Sans rancune. Vous aviez envie d'imaginer une suite sans tous ces soucis?

Oui, c'est quand même le but! (rires). Dans Sans racune, je me dis 'Ce n'est pas grave, accepte et ne t'en veux pas. Tu finiras par comprendre pourquoi tu agis comme ça'. Tout ce qui était vraiment à vif à ce moment-là, c'était des choses que je ne comprenais pas. Plus j'avance, plus je me dis qu'en fait, ce n'était pas si grand. Nous sommes la clé pour aller mieux et j'espère, je m'accroche à cette idée qu'il y aura un futur positif. Je sais que beaucoup de jeunes m'écoutent, et j'ai aussi envie de leur renvoyer ce message. Je ne pense pas qu'on puisse vraiment rester coincé avec le même souci.

Dans Sérendipité, vous parlez de peines de cœur comme vous ne l'aviez pas fait jusqu'à présent. Vous diriez qu'il s'agit de votre projet le plus personnel?

Je pense, oui. C'est même sûr. Durant l'écriture, j'ai dû déconstruire tout ce que j'avais en tête par rapport à ma façon de vivre, de ressentir, de comprendre les choses. C'est un peu de ça que parle l'album. Une cassure entre la personne que j'étais avant et celle que je suis maintenant.

https://twitter.com/b_pierret Benjamin Pierret Journaliste culture et people BFMTV