BFMTV
Musique

"Man's best friend" de Sabrina Carpenter: la chanteuse pop est-elle devenue une icône (anti)féministe?

Sabrina Carpenter au Met Gala, à New York, le 5 mai 2025.

Sabrina Carpenter au Met Gala, à New York, le 5 mai 2025. - JAMIE MCCARTHY

Après la sortie de son nouvel album et sa pochette controversée, ce vendredi 29 août, Sabrina Carpenter relance le débat sur l'hypersexualisation des femmes dans l'industrie musicale.

Était-ce la provocation de trop? À peine a-t-il été annoncé que Man's best friend, le nouvel album de Sabrina Carpenter sorti ce vendredi 29 août, a défrayé la chronique. Un an à peine après le succès retentissant de Short n' Sweet - que l'autrice-compositrice continue de défendre en tournée - la surprise de cette sortie soudaine a très vite laissé place à l'incompréhension voire à l'indignation.

La pochette, dévoilée en juin dernier sur les réseaux sociaux, montre la jeune femme de 26 ans - visage de poupée, bouche entrouverte et yeux bleus grand ouverts - à quatre pattes. Avec sa robe noire moulante et ses talons aiguilles, elle pose sa main sur la jambe d'un homme debout, dont on ne voit que la silhouette en costume. Ce dernier lui empoigne les cheveux comme il tiendrait un chien en laisse. Sur une autre photographie, figure un bichon avec un collier bleu glacé, sur lequel est écrit: "Man's best friend", le meilleur ami de l'homme. Le titre de l'album, donc.

L'annonce du nouvel album de Sabrina Carpenter, "Man's Best Friend", sur sa page Facebook.
L'annonce du nouvel album de Sabrina Carpenter, "Man's Best Friend", sur sa page Facebook. © Sabrina Carpenter / Facebook

Femme-objet ou satire ?

La photographie - ambiguë dans son intention - constitue un véritable coup de com'. Dès sa parution, les débats sur la représentation de Sabrina Carpenter et des femmes dans l'industrie musicale ont fait florès - la pochette de l'album a tapissé les réseaux sociaux pendant une dizaine de jours.

D'aucuns y ont vu la glorification de la misogynie et de la "trad wife" - épouse dédiée à sa famille et son mari. La pose de Sabrina Carpenter et son apparence correspondent en effet au male gaze, soit aux attentes du regard masculin sexualisant et objectifiant le corps de la chanteuse. Certains sont même allés jusqu'à parler de soft porn - de la pornographie soft.

D'autres soulignent, au contraire, l'ironie de l'artiste, qui se moquerait justement de ce qui lui est reproché, soit des codes de la sexualisation présents dans l'imagerie patriarcale. Pour ses soutiens, Sabrina Carpenter se moque justement des relations hétérosexuelles, parle de ses chagrins d'amour et dénonce les travers de la masculinité. Tout en tenant ces discours, elle peut justement utiliser son corps comme elle l'entend, y compris en adoptant une posture digne des publicités des années 1950, et c'est aussi ce qui dérange.

Faut-il y voir une vraie subversion des codes du patriarcat ou bien une adoption franche de ces derniers? Le lendemain de l'annonce de l'album, provocation de plus s'il en faut, Sabrina Carpenter a fait la couverture du magazine Rolling Stones. La photographie, réalisée par David LaChapelle, simplement vêtue de bas blancs et de sa longue chevelure platine. Une publication qui a été, là aussi, vivement critiquée.

Corsets et porte-jarretelles

Sabrina Carpenter n'en est pas à son coup d'essai. Ancienne "Disney girl", occupant un des rôles principaux de la série Le monde de Riley, l'autrice-compositrice s'éloigne depuis de cette image sage et enfantine en prônant une esthétique ultraféminine - pour ne pas dire hypersexualisée - dans ses chansons comme dans son apparence, suivant la trace de Britney Spears et Miley Cyrus. Par ce geste, elle revendique un propos féministe - une émancipation et une parole libre sur la sexualité dans la lignée de Madonna, Christina Aguilera, Beyoncé, et Rihanna.

"J'ai toujours embrassé ma féminité. Et si, aujourd'hui, cela veut dire porter des corsets, des porte-jarretelles, des robes duveteuses, ou autre, alors qu'il en soit ainsi", explique-t-elle dans un portrait paru dans le magazine TIME.

Lors de sa tournée Short n' Sweet, ce sont justement ses tenues en lingerie fine qui ont fait réagir. Sabrina Carpenter le sait et joue - avec brio - de cette provocation. Lorsqu'elle interprète Bed Chem, elle mime un rapport sexuel avec un danseur, derrière un rideau, sur un lit en forme de cœur. Ou encore, sur Juno, elle chante "Tu veux essayer des positions bizarres? As-tu déjà essayé celle-ci?" et adopte une position sexuelle - différente à chaque concert - accompagnée de ses danseurs.

Ces moments, devenus viraux, suscitent de nombreuses critiques, en particulier de parents se demandant s'ils devraient amener leurs enfants au concert, comme le rapporte Rolling Stones. Surtout, ils masquent le reste de son show - dans lequel "les ballades et les morceaux plus introspectifs" ont une grande importance. Des polémiques que la jeune artiste semble déplorer.

"Je trouve toujours ça drôle quand les gens se plaignent (...). Ce sont ces chansons que vous avez rendues populaires. Clairement, vous adorez le sexe. Vous êtes obsédés par ça. C'est dans mon spectacle, oui, mais il y a tellement plus de moments que les positions de Juno. Et pourtant, ce sont ceux que vous publiez et commentez tous les soirs."

Icône pop hypersexualisée

Et si Sabrina Carpenter n'était qu'un prétexte? Le malaise réside-t-il dans les choix et l'attitude de la chanteuse ou bien dans la lecture que chacun projette sur elle? C'est ce qu'interroge Katrina Muller-Townsend, Maître de conférences en psychologie à l'Université Edith Cowan, dans un article de The Conversation. Pour la chercheuse, toute satire exige une interprétation, "surtout lorsqu'elle émane de femmes abordant le sexe ou le pouvoir."

"Plus qu'une simple provocation, la pochette de Sabrina Carpenter reflète notre difficulté à accepter les femmes qui défient les simples étiquettes de satire ou de soumission."

"La photographie représente des idéaux sociaux plus larges et des tensions projetées sur les personnalités publiques. Ainsi, ce que nous voyons en dit plus sur nos propres suppositions que sur ses intentions à elle", analyse l'universitaire.

Certes, Sabrina Carpenter maîtrise son image de bout en bout - travaillant sur son apparence de babydoll. Mais la catégorisation et l'ultra-exposition auxquelles elle est confrontée restent en dehors de tout contrôle.

Ainsi, les médias et les réseaux sociaux sont, pour elle, partie prenante de cette stigmatisation. Car ce sont eux qui la figent et la réduisent à une icône pop hypersexualisée, interprétant tous ses faits et gestes: "Je ne veux pas être pessimiste, mais je n'avais jamais vécu une époque où l'on scrutait autant les femmes", analyse Sabrina Carpenter dans Rolling Stone. Je ne parle pas seulement de moi. Je parle de toutes les artistes féminines."

Sophie Hienard