Folk délicate et textes percutants: Solann, l'une des révélations des Victoires 2025

Solann dans le clip de "Petit corps" - Capture YouTube - Solann
Encore inconnue il y a un an, elle est l'une des stars des Victoires de la musique 2025, ce vendredi 14 février à la Seine musicale. La jeune Solann concourt dans les catégories révélation féminine, révélation scène et chanson originale, pour son titre Rome. Un morceau au texte incisif mêlant mythologie antique et revendications féministes on-ne-peut-plus modernes, qui s'est imposé comme un petit phénomène début 2024 et a fait d'elle un nouveau visage à suivre.
"Je suis plus qu'heureuse mais un peu dépassée pas les événements", confie-t-elle à BFMTV. "On essaie de prendre un peu de recul, mais ça va tellement vite que j'ai du mal.. Mais je kiffe quand même beaucoup!"
Un rapide coup d'œil à sa page YouTube permet de prendre la mesure du phénomène: la vidéo qui accompagne Rome cumule près de trois millions de vues, un chiffre digne de certains morceaux de Juliette Armanet ou Clara Luciani. Il faut dire que le texte, percutant et dans l'air du temps, avait toutes les raisons de trouver une caisse de résonance:
"Je compte même plus les fois où on m'a traitée de chienne // Mais c'est une chienne qui a élevé Rome // Les putes comme moi portent les rêves des hommes."
"(Cette chanson) est née d'un grand ras le bol de plein de choses, notamment d'un harcèlement qui dure depuis sept ans et qui ne s'arrête pas", avait-elle confié à Quotidien début 2024. "J'ai voulu lier tout ça dans une image, celle de la naissance de cette civilisation qui a été portée dans certains textes par une louve, une chienne, une prostituée. Je trouvais que le mélange était trop intéressant pour passer à côté."
La louve ou la chienne
Cette "civilisation", c'est la Rome antique, fondée selon la légende par les frères Rémus et Romulus, recueillis, allaités et donc sauvés à la naissance par une louve, et non une chienne. L'inexactitude supposée du texte de Solann a fait les délices des détracteurs sur le web, rapidement remis à leur place par l'historien Yann Bouvier, qui dispense son savoir sous le pseudonyme YannToutCourt sur les réseaux sociaux.
"Rémus et Romulus sont recueillis par une louve, ce qui se dit en latin 'lupa'", rapporte-t-il. "C'est un mot qui peut désigner la louve mais qui dans la littérature antique latine désigne plutôt une prostituée (...) Solann nous permet de nous reconnecter au double sens originel du mythe et donc, d'un point de vue historique, c'est top."
Extraite de son premier EP Monstrueuse, sorti en 2024, Rome figure également sur son premier album, Si on sombre ce sera beau, dévoilé le 24 janvier. La semaine passée, il s'est hissé à la 15e place des meilleures ventes de disque.
On y retrouve la magie qui a opéré sur ce premier tube: des sonorités mêlant folk et synthétique, une atmosphère ésotérique (délibérée, la jeune femme se qualifiant de "sorcière réconfortante"), des textes dans l'air du temps et un sens du phrasé qui confine à la poésie.
Des planches à la scène
Ce goût des mots lui vient peut-être de son premier amour artistique, le théâtre, qu'elle a étudié pendant trois ans en Seine-Saint-Denis après un bac dans le Vaucluse. Une passion transmise par son père, comédien, vite rattrapée par un autre moyen d'expression familial: la musique.
"Ma mère a été chanteuse, danseuse, elle m'a fait grandir avec tous les classiques de jazz", confie-t-elle à BFMTV. "Il y avait de la musique constamment à la maison et je chantais déjà depuis toute gamine."
De fait, la musique a toujours fait partie de son univers; depuis ses 16 ans, la jeune femme joue du ukulélé, instrument qui sert encore aujourd'hui de base à ses compositions. Le 4e art commence à prendre une place capitale pour la jeune femme au tournant du Covid-19, lorsqu'elle "commence à poster beaucoup plus de chansons sur les réseaux". C'est ainsi que son producteur actuel la remarque et que leur collaboration démarre.
Une artiste "ancrée dans son temp"
Il aura aussi fallu à Solann "un cœur salement brisé", pour sauter le pas. Soudain, elle se met à écrire "pendant des heures et des heures" des textes qui lui permettent de purger sa tristesse et, comme elle le confie au Monde, d'"exister par autre chose", de se "donner de la valeur".
Ce n'est pourtant pas (que) la détresse amoureuse qui peuple ses textes. On y croise les ultra-riches qui ont "mangé le monde" (Les ogres), les difficultés de l'acceptation de soi (Petit corps), la misogynie (Rome) et même un viol, sans doute conjugal (Les draps).
Des thématiques qui mêlent l'intime au commun, sur lesquelles Solann se penche naturellement: "L'artiste, quand il est un peu ancré dans son temps, il est politique et engagé", estime-t-elle. "Je ne me voyais pas faire du divertissement au lieu d’écrire (...) Il se trouve que les choses qui me font mal sont aussi des problèmes sociétaux."
Si les nominations aux Victoires constituent une première consécration, la course aux trophées sera rude: dans les catégories où elle concourt, Solann est face à Yoa, Aliocha Schneider ou encore les bulldozers Clara Luciani et Santa. "Je me souhaite d’arriver à profiter un peu de ce qui m'arrive, parce que c’est complètement fou", conclut-elle. "Et d'arrêter de stresser et de courir partout!".