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Chien Noir, nommé aux Victoires de la musique: "Je suis passé par de grandes phases de mélancolie"

Chien Noir

Chien Noir - Emilio Chulia

Sorti de l'ombre récemment, Chien Noir travaille dans la musique depuis 15 ans. Il revient pour BFMTV sur son parcours, du milieu agricole à la scène des Victoires.

La vie de Chien Noir s’est indéniablement accélérée cette année. L’auteur-compositeur-interprète de 35 ans a multiplié les scènes, sorti son premier EP (Histoires vraies, chez Naïve) en mai et, en ce début 2022, a reçu la surprise qui fait rêver tout jeune artiste: une nomination aux Victoires de la musique, dans la catégorie révélation masculine. On pourrait penser que Chien Noir entame tout juste sa carrière, mais ce serait faire un raccourci. S'il accède à peine à la notoriété, il se consacre à la musique depuis 15 ans et a déjà reçu l'aval du milieu: ces dernières années, il a figuré parmi les lauréats du Chantier des francos et du Fair, deux prestigieux programmes d’accompagnement de jeunes artistes.

C’est sans doute le morceau Histoire vraie, qui donne son titre à l’EP, qui lui a permis de se retrouver parmi les nommés de la remise de prix. Dévoilée en février 2021, cette ballade en piano-voix est rapidement devenue sa chanson la plus écoutée sur Spotify, s’est retrouvée propulsée par différentes playlists et a même bénéficié d’un coup de pouce inattendu: celui de La Redoute, qui a choisi le morceau pour illustrer son dernier spot publicitaire réalisé par Géraldine Nakache.

Ce récent coup de projecteur, Jean Grillet – son vrai nom – le savoure. On le sent dès son entrée dans le club du Xe arrondissement de Paris où il nous a accordé une interview, trois semaines avant la cérémonie du 11 février à la Seine musicale. Le chanteur de 35 ans s’assoit rapidement, avant même que son café ne soit servi au bar. Lorsqu’on lui dit qu’il n'a pas à se presser, il répond d’une voix douce, presque timide, avec l’air de chercher ses mots: "Non non, ce genre de choses, c’est tellement un life goal, je préfère y consacrer du temps…".

Son éternelle casquette vissée sur la tête, Chien Noir nous a parlé de ce qu’il crée, une folk tendre aux textes ciselés, de l’évidence que la musique a été pour lui, et des choix qu’on doit parfois faire pour tracer sa route, envers et contre ce qui est attendu de nous.

Est-ce que vous vous attendiez à cette nomination aux Victoires?

Pas du tout, d’autant que je n’ai sorti qu’un EP de six chansons. Peut-être qu’il y avait dans le lot un ou deux titres assez forts pour m’amener jusque-là. C’est absolument fantastique. Pour faire de la musique il faut souvent être très visible, très expansif, et moi je fais quelque chose qui se base sur l’intime et l’introspection, alors ce n’est pas évident. Mais je crois que les gens ont aussi besoin de ça, de se retrouver.

Vous travaillez dans la musique depuis des années. Pourquoi, selon vous, sortez-vous de l'ombre aujourd’hui?

J’ai toujours su que je voulais faire de la musique, mais sans avoir aucune idée de comment on fait pour en vivre… En fait, je suis fils de paysans. J’ai grandi dans le bordelais, dans une toute petite propriété viticole. Quand j’avais 17 ans, on n’avait pas d’ordinateur à la maison, alors qu’Internet était partout. Donc je pars de vraiment loin. J’ai fait quelques mois en hypokhâgne après le bac, et puis j’ai abandonné pour aller travailler dans les vignes. Mais chaque soir quand je rentrais du travail je passais mon temps à écrire, à jouer, à composer. Finalement, je suis rentré au conservatoire parce que je voulais vraiment faire de la musique et m’y former. Je suis rentré en guitare jazz, j’en suis sorti major de promo, et à côté je travaillais chez Ikea pour financer mes études. J’ai travaillé comme un âne. Ensuite j’ai rencontré Mark Daumail (du groupe Cocoon, devenu un proche collaborateur, ndlr), et on a écrit pour plein de gens, comme Vanessa Paradis. Et tout ça, ça m’a pris du temps. Parce qu’à la campagne tout est lent.

D’autant que la musique était une passion dès l’enfance: vous avez commencé le piano à 6 ans, et la guitare à 13…

Je pense qu’il y a des gens pour qui la musique est une évidence très vite, en terme de manière d’interagir avec le monde. Ça a été mon cas. J’ai des souvenirs de moi à 8 ans en train de repiquer des sonates parce que je m’amusais, vraiment.

Vous expliquez en interview que le pseudonyme Chien Noir vient d’un personnage du roman L’île au trésor, et que la figure du chien vous plaît parce que c’est un "compagnon, un gardien ou un vagabond". Pourquoi ces traits vous parlent ?

Il y a une autre raison pour laquelle je m’appelle Chien Noir. Ça vient aussi de Winston Churchill, qui était un grand dépressif et qui appelait sa dépression son chien noir, son black dog. Je suis passé par de grandes phases de mélancolie, et j’adore l’idée de nommer quelque chose d’aussi impalpable qu’une dépression avec une figure comme celle-là. "Chien noir": ça donne du sens, ça permet de nous y confronter. C’est comme les mythes: on donne des noms aux choses. Ça devient une forme de totem. Tout à coup cette mélancolie qui nous submerge se transforme en compagnon, en vagabond.

Histoire vraie est celle de vos chansons qui a le mieux marché, mais ce n’était pas la première. Pourquoi est-ce ce morceau qui a résonné, selon vous?

C’est une question que je me pose aussi, et je pense que ça tient à plusieurs choses. Un piano-voix, ça peut exister dans tous les genres, et donc parler à plus de monde. Ensuite, je pense que le message est doux et a une portée universelle : c’est bien vous, c’est bien toi dans ta peau, c’est toi qui vis ce que tu vis. On a toujours attendu de moi que je vive une autre vie que celle qui était la mienne. On a voulu que je fasse des choses qui n’étaient pas moi. J’ai fini par le réaliser et comprendre qui j’étais. Je crois que c’est un peu un but de vie, être capable de vivre la vie qui est la nôtre. Je pense que c’est aussi pour ça qu’aujourd’hui les gens démissionnent en masse, ils n’ont pas envie de subir la vie. Il y a cette quête actuellement de savoir quelle est la vie qu’on veut avoir, quel est le sens qu’on y donne. Toutes ces questions, on y répond dans ce deuxième couplet: 'quand t’as aimé c’est ton sang qui courait dans tes veines’' C’est une quête de la personne qu’on veut être. C’est ma quête à moi.

Dans Qu’est-ce que tu fais dans le noir, vous parlez de votre somnambulisme d’enfant...

Et des fantômes.

C’est une image, ou vous pensez vraiment que la maison était hantée?

J’ai grandi dans une vieille maison propice aux divagations d’un enfant sur les fantômes. Personnellement, je suis encore persuadé qu’il y en avait. J’ai vu trop de trucs bizarres. Ce n’était peut-être que des rêves que j’ai confondus avec la réalité avec le temps. Mais les vieilles maisons, c’est effrayant. Elles sont toujours en train de bouger. Dès qu’il y a du vent on a l’impression que c’est des voix qui nous parlent, le plancher qui craque tout seul…

Vous êtes allé puiser dans ces souvenirs... Qu'est-ce qui, en général, vous inspire des chansons ?

Dans le noir et Histoire vraie, finalement c’est le même thème: quelle est la vie qu’on veut mener. Qu’est-ce que tu fais dans le noir parle de somnambulisme, mais aussi des dangers de vivre dans le passé. Quand je dis "Ferme bien ta porte, je ne veux pas qu’ils t’emportent", je parle un peu des souvenirs du passé dans lesquels on se complaît et dans lesquels il ne faut pas rester. Il faut aller de l’avant, tout le temps. Les fantômes, c’était une bonne idée pour parler de ça. Évidemment, l’amour aussi fait partie des choses qui m’inspirent parce que c’est un prétexte à tellement d’émotions différentes.

Vous évoquez souvent Sufjan Stevens parmi vos influences, et on ressent effectivement cette patte folk dans votre musique…

J’ai des racines folk – ma mère écoutait beaucoup Leonard Cohen, Joan Baez… Plus tard, j’ai beaucoup écouté Bob Dylan. Quand j’ai découvert Sufjan Stevens, j’ai aimé sa vision des choses et sa douceur. Pour moi, son album Carrie & Lowell est l’un des plus beaux disques jamais écrits. C’est avec lui que j’ai réalisé tout ce qu’on peut faire: on peut écrire des chansons sur sa famille, on peut parler du fait qu’on est fragile. C’est peu après cet album que je me suis dit 'Vas-y’.

https://twitter.com/b_pierret Benjamin Pierret Journaliste culture et people BFMTV