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Cinéma

"Épatant" ou "anecdotique": "Nouvelle Vague" de Richard Linklater divise une partie de la critique

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Le nouveau long-métrage de Richard Linklater, en salles ce mercredi, retrace le tournage d'"À bout de souffle" de Jean-Luc Godard. Présenté à Cannes en mai, il a emporté une partie de la presse, sans toutefois faire l'unanimité.

Encore un film sur Jean-Luc Godard. Après Le Redoutable de Michel Hazanavicius en 2017, c'est au tour d'un Américain - un Texan -, le bien nommé Richard Linklater, qui s'est taillé une jolie réputation avec la trilogie romantico-bavarde des Before - les fameux Before Sunrise, Before Sunset et Before Midnight avec Julie Delpy et Ethan Hawke- et sa fresque familiale filmée sur plus de douze ans Boyhood, de s'attaquer à l'icône de la Nouvelle Vague.

Présentée en compétition à Cannes en mai dernier, l'œuvre reconstitue le tournage d'À bout de souffle, un des films mythiques de Jean-Luc Godard, sorti en 1960, qui retrace, à la manière d'un Picasso, les errances d'un couple, formé par une star hollywoodienne fraîchement débarquée à Paris (Jean Seberg) et un jeune comédien (Jean-Paul Belmondo). Encensé par certains, anecdotique pour d'autres, ce faux biopic a séduit une grande partie de la presse, sans toutefois faire l'unanimité.

Exploration du "présent"

Pour les adeptes du genre et de l'époque - disons aussi les "nostalgiques" -, Nouvelle Vague "ressuscite un monde perdu", applaudit Le Monde. Le film, dont le scénario "brillant" a été écrit par Vince Palmo et Holly Gent, évite les écueils faciles du biopic et célèbre, aussi paradoxal soit-il, la vie, le perpétuel présent. "Il n'érige pas de mausolées", mais "sonde son propre médium".

Et de poursuivre: "Le film n’observe jamais ce tournage comme un moment de mythologie figée mais comme une flamme qu’il faut raviver sous les yeux du spectateur. Linklater nous dit: le plus bel hommage qui pourrait être fait à À bout de souffle est de donner à sentir la prise de risque qu’il fut, le désastre qu’il aurait pu être. Il fut comme tous les films: un mélange indissociable de hasards et de nécessité, une vision d’auteur lancé dans d’âpres négociations."

"La gaieté, l’audace, le naturel"

La presse loue également le choix du casting, qui repose sur de jeunes inconnus ressemblant à leurs protagonistes, mais sans les cloner - Guillaume Marbeck incarne ainsi Jean-Luc Godard tandis que Zoey Deutch et Aubry Dullin interprètent Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo. Pour Libération, c'est grâce à ses acteurs que le film puise "son charme et sa légèreté".

C'est d'ailleurs cette tonalité gaie et insousciante que célèbrent Ouest France et Le Figaro. Le premier note que "cet Américain à Paris [Richard Linklater] réussit à capter l’esprit d’une époque et fait virevolter ses acteurs sans tomber dans l’intellectualisme ou le cliché d’époque", tandis que le second interroge: "On ne sait ce qu’il faut encenser le plus dans cette affaire, la gaieté, l’audace, le naturel."

Et Le Figaro de résumer: "Richard Linklater rend hommage à une génération, retrouve le ton, la couleur d’une période bénie. 'Épatant', aurait dit Jean d’Ormesson. Il est permis d’ajouter gai, vivant, nostalgique, fraternel à la liste de compliments."

"Produit dérivé de la cinéphilie"

Mais pour Jacques Morice de Télérama, dont la rédaction se divise elle-même à son sujet, Nouvelle Vague n'est qu'un "catalogue d'anecdotes sans intérêt" et "pauvre d'imagination". Et de renchérir: "C'est au choix: un produit dérivé de la cinéphilie, un long clip, un catalogue de mode - superbes, la coupe de cheveux ultramoderne de Jean Seberg, son foulard, sa marinière. Bienvenue au royaume enchanté de la culture pop. Pas d’insolence ni de révolution esthétique, c’est tout confort, ici. (...) Le meilleur hommage qu’on puisse rendre au réalisateur de Pierrot le fou, c’est sans doute de l’oublier."

Le sociologue Jérôme Pacouret remarque, lui, dans Mediapart que "le film participe d'une idéalisation de l'auteur de cinéma" à l'époque #MeToo. Richard Linklater a-t-il donc trop encensé ou mystifié Jean-Luc Godard, que tout le monde sait provocateur - c'est un euphémisme - voire tyrannique? "[Son] personnage semble ne jamais douter de lui et égrène les aphorismes à chaque fois qu’on le contredit", regrette timidement Ouest France.

Libération, qui a pu craindre un "biopic hagiographique sur le génie en devenir", reconnaît qu'il s'est interrogé sur la pertinence, en 2025, d'une œuvre sur "une bande de jeunes mecs un peu misogynes (comme leur époque) qui réussissent avec brio leur hold-up sur le cinéma de papa en donnant des leçons (méritées) à tout le monde". Mais le quotidien a vite ravalé ses doutes, se laissant porter par le souffle "ludique" du film.

Pour Le Monde, le génie de Godard existe, mais il "procède moins de l’homme enfermé dans son cabinet, que de l’éponge qui absorbe l’énergie de son époque pour la synthétiser".

Estelle Aubin