Goldorak de retour en héros d'une BD française

Goldorak est de retour. Le robot géant préféré des Français ne revient pas avec une nouvelle série animée japonaise, mais avec une BD française, un bel hommage à l'œuvre de Gō Nagai, conçu par le quintet Xavier Dorison (scénario), Denis Bajram (scénario et dessin), Brice Cossu (dessin), Alexis Santenac (dessin) et Yoann Guillo (couleur).
Présenté par ses auteurs comme l'ultime épisode de la série animée des années 1970, cet album de 130 pages sobrement intitulé Goldorak (Kana Classics) est disponible à partir de ce vendredi 15 octobre et promis à un bel avenir: l'édition collector est quasiment déjà épuisée depuis un mois et l'édition courante, tirée à 165.000 exemplaires, sera l'une des têtes de gondole de cette fin d'année.
Pour le quintet, fan de "Goldo" depuis la tendre enfance, c'est un rêve éveillé. "Si j’avais eu encore vingt ans, j’aurais roulé par terre", s'amuse Denis Bajram. Quand Gō Nagai a validé le projet, "ça m’a rappelé la première fois qu’un éditeur m’a dit oui pour faire un album", complète le vétéran Xavier Dorison, scénariste aux trois millions d'albums vendus. Le plus difficile n'a pas été la pression des fans - le projet a été annoncé alors que l'album était presque terminé -, mais de ne pas décevoir l'enfant de huit ans qu'ils ont tous été. "Je me suis senti pousser des ailes", raconte Dorison.
Trouver une autre voie que la violence
L'intrigue débute plusieurs années après le 74e et dernier épisode de la série. Actarus et Phénicia sont rentrés chez eux. L'empire de Véga a disparu et les ennemis de Goldorak - Minos, le Grand Stratéguerre - sont morts. Mais une nouvelle menace va surgir, forçant nos héros à prendre une nouvelle fois les armes. Xavier Dorison et Denis Bajram réservent quelques surprises aux fans: Goldorak n'apparaît qu'à la 56e page! "C’est gonflé", s'amuse Bajram. "Il apparaît tard dans l’histoire parce qu’il a longtemps disparu dans nos vies."

Avec ses cheveux longs et sa barbe, Actarus n'est plus le même homme. "Quand on retrouve Actarus, il a échoué dans ce qu’il voulait faire, ce n’est pas le Actarus victorieux de la fin du dessin animé", note Bajram. "On a vraiment voulu montrer chez lui ce qu’on avait pu croiser dans les troupes de Véga dans le dessin animé: quelqu’un qui se questionne sur cette guerre et sur cette violence. Il n’est plus l’Actarus qui va conclure l’épisode avec un Cornofulgure! Il doit trouver une autre voie que la violence."
"La série au départ est assez manichéenne", poursuit Xavier Dorison. "Plus on avance dans les épisodes, plus on se rend compte qu’il y avait des gens biens dans chaque camp. Enfant, on ne le voyait pas et adulte, si. On s’est rendus compte qu’on était pris dans une sorte de contradiction: d’un côté, on était fasciné par la violence et ces personnages qui résolvent des problèmes à coups de poing et de l’autre il y a un surmoi qui nous explique que ce n’est pas par la violence que nos problèmes ne seront pas répondus. De la même manière qu’on l’a intégré dans nos vies, Actarus et les autres l’ont intégré dans cette histoire."
Une entreprise titanesque
Connu pour ses fresques historiques à succès Undertaker et Long John Silver, Xavier Dorison n'avait jamais été confronté à un tel chantier, lancé en 2016 et réalisé à dix mains. "On a tous fait beaucoup d’albums de BD, mais celui-là est particulier par sa longueur, par le niveau de détails qu’il y a dans chaque page. L’écriture a été particulièrement complexe: il y a des points de passage obligés, mais aussi une dizaine de personnages à animer", confirme le scénariste. "C’est une entreprise à l’image du robot, c’est titanesque."
S'il faut un Actarus pour piloter un Goldorak, il aura fallu cinq auteurs de BD pour mener à bien cette ultime aventure. "Quand Xavier m’a proposé de dessiner, je ne me suis pas senti capable de le faire", concède Denis Bajram. "Je suis un auteur de SF réaliste assez dure. Mes personnages sont un peu durs. Or Goldorak, c’est des personnages très expressifs. La culture de l’animation a une culture des personnages redoutable et je ne me sentais pas capable d’être au niveau de ça."
Il a aussitôt pensé à Brice Cossu (Frnck) et Alexis Sentenac (Siberia 56): "Ils ont cette culture-là et ils travaillent ensemble en atelier. Je savais qu’ils pourraient m’apporter ça. Ça ne me semblait pas possible sans eux." Au début, Cossu et Sentenac devaient s'occuper des gentils et des méchants tandis que Bajram avait hérité de la mise en scène et du robot. "Puis tout s’est vite mélangé", indique-t-il. "On a tout fait ensemble. Brice Cossu a fini par faire des Goldorak alors qu’il avait juré de ne pas en faire."
"C’est l’enfant qui parle à travers ces dessins"
Graphiquement, l’album est beaucoup plus détaillé que la série animée: "On n’a jamais voulu copier le dessin animé", répond Denis Bajram. "Quand on fait de la BD, on ne fait pas de dessin animé! On n’allait pas faire comme si, depuis les années 1970, il n’y avait pas eu Akira, Evangelion, etc. Il y a eu une énorme évolution de la SF au Japon, en France et aux Etats-Unis. Il était nécessaire pour nous de mettre toute cette histoire-là dans nos dessins."
Denis Bajram, Brice Cossu et Brice Santenac ont su rendre très fier l'enfant de huit ans qu'ils ont été en multipliant dans l'album les poses iconiques de Goldorak. "Je ne crois pas que j’aurais dit oui à Xavier si je n'avais pas été cet enfant de dix ans qui dessine des Goldorak dans sa chambre", s'enthousiasme Denis Bajram. "Il n’était pas envisageable de faire quelque chose qui ne collait pas parfaitement à mes souvenirs. Et mes souvenirs ce sont des images iconiques, des batailles épiques, la frayeur devant ce qui arrive aux personnages! C’est l’enfant qui parle à travers ces dessins!"

Mais dessiner ces images n'a pas été facile: "Au début, avec Brice et Alexis, quand on se colle à dessiner ce genre d’image, on n’y arrive pas", reconnaît Denis Bajram. "Notre état d’esprit, c’est d’être à la hauteur d’une image qui n’existe pas vraiment, une idée d’une image. Certaines ont été très dures à obtenir. Pour obtenir exactement la puissance qu’on voulait dans une image, il y a souvent eu trois ou quatre étapes de storyboard, puis deux ou trois étapes d’encrage." "La seule règle, c’est que pas une seule page ne pouvait sortir si on n’avait pas tous les trois dessiné dessus", précise Alexis Sentenac.
Rythmé par la musique
Le projet a été guidé par un maître mot: l'émotion, raconte Brice Cossu. "Même si je n’avais pas vu la série depuis des années quand on a préparé le dossier, c’était encore très vivace dans ma tête. On avait déjà travaillé avec Alexis sur des licences où il fallait se réapproprier le personnage [ils ont signé en 2018 un Spirou, Le Triomphe de Zorglub, NDLR]. On est parti du même principe. Je suis parti de mon émotion. C’est ça le plus important. J’ai cherché à m'approprier les tics graphiques de l’époque, mais pas de refaire le style de l’époque." Idem pour Yoann Guillo, le coloriste: Ma référence, c’était la série. Je l’ai regardé en même temps que je faisais les couleurs."
La musique de la série animée a également été un précieux guide. Lorsqu'il avait un coup de mou, Denis Bajram dessinait en écoutant la musique de la série signée Shunsuke Kikuchi. "Une petite musique de course-poursuite, et c’était parti!", confirme-t-il. La musique a rythmé l’encrage des planches: "C’est très précis et il faut garder la souplesse. La musique est géniale pour ça: on se met à dessiner dans le bon rythme." Dorison a fait découvrir aux dessinateurs une reprise symphonique par un orchestre libanais du célèbre thème de la série. "C'était à tomber par terre. Quand on écoutait ça, ça nous donnait la pêche pour terminer nos planches", se souvient Alexis Sentenac.
Porté par un enthousiasme indéfectible, le quintet n'est pas sorti indemne de cette aventure cosmique et n'est pas certain de refaire un autre Goldorak. "Ça a été intense. On est lessivé. On l’est encore", indique Brice Cossu. "On a tellement mis dans ce livre-là qu’aucun de nous n’envisage de retourner à la bataille", conclut Denis Bajram.