Paris: le collectif identitaire Némésis défile en petit comité, à l'écart du cortège principal

La cofondatrice du collectif Nemesis Alice Cordier (nom d'emprunt) lors d'une manifestation à Paris, le 29 septembre 2024 - GEOFFROY VAN DER HASSELT © 2019 AFP
Une cinquantaine de femmes du collectif d'extrême-droit Némésis a défilé samedi 8 mars loin derrière la manifestation parisienne du 8-Mars. Les associations féministes avaient écarté du cortège principal ces militantes identitaires aux idées jugées incompatible avec la cause des femmes.
Pour éviter les tensions, les forces de l'ordre ont fait attendre le petit groupe, composé principalement de femmes, dans une rue voisine de la place de la République, d'où s'est élancé vers 15 heures le cortège parisien hostile à leur présence, a constaté une journaliste de l'AFP.
Elles ont été autorisées à commencer à défiler vers 17H30, entourées de CRS, plusieurs centaines de mètres derrière le cortège principal. Brandissant des pancartes "Libérez-nous de l'immigration", les manifestantes, le bas du visage recouvert pour certaines de foulards de soie, scandaient notamment "violeurs français en prison, violeurs étrangers dans l'avion", ou "gauchistes, complices".
À leur passage, des passants les ont huées, d'autres leur faisant des doigts d'honneur, les traitant de "fachos". Une petite dizaine de militants antifascistes s'est ensuite placée devant leur cortège pour brandir face à elles des pancartes comme "fascistes, racistes, jamais féministes".
Sarah Knafo en tête de cortège
Pour cette journée internationale des droits des femmes, Némésis, qui se revendique féministe, avait pour mots d'ordre "la fin de l'immigration de masse", "l'application des OQTF" (obligation de quitter le territoire français) et "la mise en place de mesures efficaces contre l'insécurité".
En tête du mini-cortège, comparé aux dizaines de milliers de manifestants en France, Sarah Knafo notamment, du mouvement zemmouriste Reconquête!. "La cause des femmes françaises nous appartient autant qu'à elles", les organisatrices de la manifestation, avait soutenu l'eurodéputée auprès de l'AFP vendredi.
Mais parmi les militantes des droits des femmes, ces présences annoncées ne passent pas. "On est très en colère, elles n'ont rien à faire dans cette manifestation", dénonce Marie Moreau (un pseudonyme), de l'organisation féministe Nous Toutes.
C'est un "collectif identitaire, raciste, xénophobe qui stigmatise les migrants comme étant les responsables des violences sexistes et sexuelles dans la société", critique Myriam Lebkiri, de la CGT, accusant Némésis de "bordéliser les manifestations".
Une politique opposée à la majorité des associations féministes
"Violeurs étrangers dehors", "Libérez-nous de l'immigration": avec ses slogans et pancartes, le collectif Némésis, du nom de la déesse grecque de la vengeance, lance des actions coups de poing depuis novembre 2019, notamment dans les cortèges féministes.
Sur ses réseaux sociaux -avec environ 46.000 followers sur Instagram et 94.000 sur X-, l'association répertorie des affaires de violences sexuelles, insistant souvent sur la nationalité étrangère des suspects. Autre caisse de résonance, des médias comme Radio Courtoisie, CNews ou Europe 1, où intervient sa directrice, Alice Cordier (nom d'emprunt).
Pour le politologue Jean-Yves Camus, ce "mouvement identitaire" suit une orientation politique opposée à la plupart des associations féministes, "de gauche et même très souvent de gauche radicale". Ce spécialiste de l'extrême droite ne constate cependant "pas de percée" du groupe, qui revendique 300 militantes.
"Le noyau dur est encore moins nombreux", complète Magali Della Sudda, directrice de recherche au CNRS, pointant une "visibilité sur les réseaux sociaux et dans les médias inversement proportionnelle à leur capacité d'action dans la rue".
Fin septembre, à l'appel de ce mouvement, environ 500 personnes s'étaient réunies à Paris après le meurtre de Philippine, une étudiante de 19 ans. Le suspect est un Marocain de 22 ans déjà condamné pour viol, en instance d'expulsion.
"On est face à des hommes issus de sociétés ultra-patriarcales qu'on croise dans l'espace public, qui ne sont pas du tout assimilés, qui n'ont pas du tout la même vision de la femme que notre vision occidentale et ça se ressent via du harcèlement sexuel, via des agressions sexuelles", assène auprès de l'AFP Alice Cordier, 27 ans, cofondatrice du collectif.
L'extrême droite met en avant la part des mis en cause étrangers dans les violences sexuelles, qui s'est établie à près de 40% dans l'agglomération parisienne, selon le bilan de la délinquance 2024 de la préfecture de police. Au niveau national, selon des statistiques portant sur les violences sexuelles élucidées, 13% des mis en cause étaient de nationalité étrangère en 2023, d'après le ministère de l'Intérieur.
Mais la mouvance identitaire omet de rappeler que les violences sexuelles sont très majoritairement commises dans un cadre familial ou amical: en France, 61% des victimes de ces actes ont déclaré connaître leur agresseur, d'après des chiffres officiels de 2022.
Un appel à voter RN aux législatives
Némésis, qui avait appelé à voter pour le RN au second tour des élections législatives de 2024, tente de surfer sur la "normalisation" des idées d'extrême droite, assure Myriam Lebkiri.
En janvier, le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau avait salué le "combat" d'Alice Cordier, disant en être "très proche", avant de rétropédaler.
Samedi, il a toutefois assuré le collectif, sans citer son nom cependant, de son soutien sur X, accusant les organisatrices des principales manifestations prévues en France pour le 8-Mars du "pire des sectarismes" et d'user de méthodes "néototalitaires".
Alice Cordier dit, elle, avoir rejoint récemment Les Républicains. Pourtant, l'opposition du collectif "à l'immigration non occidentale et à l'islam" le range du côté de l'extrême droite, assure Magali Della Sudda, autrice de "Les nouvelles femmes de droite" (éd. Hors d'atteinte). La chercheuse parle de "fémonationalistes", une "contraction de féminisme et de nationalisme".
"On est une association spécialisée sur les violences faites aux femmes, notamment dans l'espace public", se défend Alice Cordier.
Mais pour la porte-parole d'Osez le féminisme ! Elsa Labouret, "ce n'est pas parce qu'un groupe se dit féministe qu'il l'est, et ce n'est pas en réutilisant le langage du féminisme qu'il peut prétendre défendre vraiment les femmes".