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"Je n'ai pas humilié Evaëlle": à son procès pour harcèlement, l'enseignante nie toute humiliation

 Delphine Meillet, avocate des parties civiles, dans le procès d'une enseignante jugée après le suicide d'Evaëlle, collégienne de 11 ans, survenu en 2019.

Delphine Meillet, avocate des parties civiles, dans le procès d'une enseignante jugée après le suicide d'Evaëlle, collégienne de 11 ans, survenu en 2019. - GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Une enseignante jugée pour harcèlement moral au tribunal judiciaire de Pontoise a assuré, ce mardi 11 mars, ne pas avoir humilié Evaëlle, jeune collégienne qui s'est donnée la mort en 2019. Le jugement est mis en délibéré au 10 avril.

"Je n'ai pas humilié Evaëlle", a assuré mardi son ancienne enseignante, lors de son procès au tribunal judiciaire de Pontoise pour le harcèlement moral de l'adolescente qui a fini par se donner la mort en 2019.

L'arrivée en 6e au collège Isabelle-Autissier d'Herblay dans le Val-d'Oise avait été éprouvante pour Evaëlle, devenue le bouc émissaire de camarades qui l'insultent et la violentent. Deux d'entre eux seront jugés devant le tribunal des enfants avant la fin de l'année. Au coeur des débats, deux sessions de vie de classe sur le thème du harcèlement.

D'après le récit des élèves, l'enseignante avait demandé aux élèves d'exprimer leurs reproches à Evaëlle qui devait ensuite s'expliquer. Face à ses pleurs, l'enseignante s'était énervée et lui avait intimé de répondre aux questions.

Une "phrase idiote" reconnaît l'enseignante

"J'ai dû lui dire: 'Arrête de pleurer', phrase idiote à dire. Je ne voulais pas qu'elle pleure, ce n'était pas l'enjeu", reconnaît l'enseignante, âgée de 62 ans. "Au moment où ça s'est fait, ce n'était pas dans le but de la mettre en difficulté mais essayer de régler ce problème relationnel dans la classe", ajoute-t-elle.

Selon elle, les élèves étaient revenus perturbés d'un cours de sport et s'invectivaient dans le couloir. Durant son interrogatoire de trois heures et demie, elle a été mise face à une kyrielle de témoignages d'élèves relatant des cris et des humiliations de l'enseignante.

"Tu es bête, tu vas finir SDF", "qu'est-ce qu'elle a celle-là, elle bugue ?", "on peut pas être bête à ce point, tu n'as pas de cerveau", selon des récits d'élèves. "Tout le monde a compris sauf J.", a-t-elle dit à un élève malentendant d'une autre classe. "Vous regrettez d'avoir dit ça ?", demande la présidente.

"Oui si ça l'a blessée, évidemment", concède l'enseignante, dans l'un de ses rares regrets. Elle avait "ses chouchous et ses cibles", selon cet adolescent aujourd'hui sur le banc des parties civiles. L'enseignante est en effet jugée pour harcèlement moral sur Evaëlle et deux autres élèves.

"Manque d'empathie"

"Qu'est ce que vous dites de tous ces enfants qui disent la même chose ?", interroge Cliona Noone, avocate des parties civiles. "On doit la recueillir cette parole, c'est ce qui a été fait. Simplement, je dis que c'est soit des propos que je n'ai pas prononcés. D'autres, oui ça m'arrivait de crier, de dire ça dans des moments", répond l'enseignante, mettant en avant un "point de vue différent sur certaines situations".

Il lui est reproché "humiliations", "isolement", "stigmatisation" ayant eu "pour effet une dégradation très importante des conditions de vie de la jeune fille qui s'isolait de plus en plus", selon la juge d'instruction.

Décrite comme précoce et atypique, Evaëlle s'est suicidée en juin 2019. Elle avait quitté le collège Isabelle-Autissier depuis quelques mois. L'enseignante a été acculée par les avocates des parties civiles sur son "manque d'empathie".

Dans "l'oeil du cyclone"

"Il ne faut pas me faire dire que le décès d'Evaëlle m'importe peu", évoquant un "choc" mais la direction "nous avait enlevé la possibilité d'exprimer à la famille toute forme de compassion en n'allant pas aux obsèques", a déclaré l'enseignante. Après le drame, le collège est dans "l'oeil du cyclone" et sous "pression médiatique".

"Ça ne me glisse pas dessus, il a fallu depuis six ans que je me blinde pour supporter tout. Désolée si j'apparais comme ça. Si, moi, la digue se rompt, c'est terminé. Je suis un être humain normal qui en prend plein la figure, qui a fait des erreurs comme tout le monde", lâche l'enseignante.

"J'ai pu prouver dans ma vie professionnelle largement mon empathie à pas mal de monde. Ce qui me blesse, au-delà de la mise en cause (pour harcèlement, NDLR), ça a été la mise en responsabilité du décès d'Evaëlle".

Initialement mise en examen pour homicide involontaire, elle a bénéficié d'un non-lieu, la juge estimant qu'il n'était pas "possible de déterminer les éléments précis ayant conduit (au) décès" de la pré-adolescente confrontée à de nombreuses difficultés relationnelles. Le jugement est mis en délibéré au 10 avril.

A.V. avec AFP