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Canicule

"Je n'en peux plus": les experts du climat confrontés au cyberharcèlement de climatosceptiques

Capture d'écran Twitter climatosceptique, illustration.

Capture d'écran Twitter climatosceptique, illustration. - BFMTV

Sur les réseaux sociaux, en particulier en période de canicule, les spécialistes du climat, de la météo et de l'environnement sont pris pour cible. Au point d'en dégoûter certains.

"Connard", "menteur", "spécialiste en carton"... Il faut moins d'une minute pour constater que, sur les réseaux sociaux, les experts du climat sont la cible d'attaques. "En ce moment, avec la canicule, c'est pire", souffle Serge Zaka, agro-climatologue spécialisé sur l'impact du dérèglement climatique, mais aussi professionnel de la communication, suivi par 76.000 personnes sur Twitter.

Rien que sur les 48h écoulées, il a recensé des "milliers d'insultes" à son encontre sur les réseaux sociaux. Un cas qui est loin d'être isolé. Qu'ils soient très suivis ou presque confidentiels, les spécialistes qui s'essaient à l'éducation grâce aux plateformes connaissent le même sort. La seule variable, le niveau d'intensité, qui évolue en fonction de leur audience.

Tous les messages ne sont pas des attaques. Parfois, même s'il y a un désaccord sur le fond, la forme reste respectueuse. Mais ces échanges constructifs ont tendance à se perdre dans un flot d'insultes et autres provocations, en provenance de climatosceptiques.

"Tu t'éclates? Le pied! Tu éjacules aussi?", voici un exemple de commentaire que Guillaume Séchet, journaliste météo et climat pour BFMTV, et expert météorologiste, retrouve sous l'une de ses cartes.

"Je n'en peux plus. Ça me prend tellement de temps, j'ai passé 30 minutes à bloquer des gens ce matin. Il faudrait y passer la journée", souffle-t-il.
Capture d'écran tweet Guillaume Séchet
Capture d'écran tweet Guillaume Séchet © BFMTV

Face à cette litanie de commentaires, les experts ont peu de solutions devant eux. "Faire l'autruche", bloquer à vue, ou entrer dans l'arène. Ou le plus souvent, un mélange des trois. "Parfois, je réponds aux plus gros comptes climatosceptiques pour qu'il y ait une correction scientifique sous leurs messages partagés en masse", explique Serge Zaka.

Des "bots" et l'extrême droite

Les personnes interrogées par BFMTV.com n'ont "pour l'instant" pas été menacées. Il y a beaucoup de bruit, mais pas de véritables craintes pour leur intégrité physique. Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne ressentent pas de fatigue et de lassitude face à ces invectives répétées.

"Ces attaques me touchent, mais à la longue, il y a une forme de détachement. Les blagues sur mon nom étaient gênantes à l'école. Ce qui me blesse, c'est plutôt qu'on remette en cause mes compétences", déplore Guillaume Séchet.

Des commentaires sur le physique, le nom, ou l'accoutrement. Pour Serge Zaka, rapidement identifiable à son chapeau de cow-boy, l'attaque est facile. Mais ces points semblent lui passer au-dessus, contrairement à d'autres. "Il y a régulièrement des attaques à caractère raciste, car je suis Libanais, notamment venant de l'extrême droite", pointe l'expert.

Le portrait-robot de ces climatosceptiques du net a justement été brossé par une étude du CNRS parue en 2023. Le chercheur David Chavalarias a identifié "environ 10.000 comptes Twitter" problématiques, qui, "en majorité", "faisaient partie de la sphère antivax et anti-système d’orientation 'alt-right' pendant la pandémie et dans une moindre proportion, des mouvances d’extrême droite comme Reconquête".

Parmi eux, de très nombreux comptes automatisés, des "bots", un taux "près de trois fois supérieur à celui des autres communautés". Ils s'accrochent à certains mots-clés, comme "canicule", et y répondent des argumentaires à l'allure de copier/coller.

Impunité?

Ce climat particulier peut rebuter certains experts, qui préfèrent se retenir de prendre la parole dans les médias pour ne pas subir la pluie de commentaires négatifs. Cette minorité extrêmement bruyante a, d'une certaine façon, ce qu'elle souhaite, puisque le débat scientifique est rendu plus difficile. Un phénomène entretenu par la nouvelle politique de Twitter, qui fait remonter les messages d'utilisateurs payant.

Pire, selon David Chavalarias, à part bloquer les utilisateurs gênants, il n'a pas de "levier" pour agir. "J'aurais pu en attaquer certains en diffamation plusieurs fois, j'ai même consulté des juristes. Mais il s'agit de comptes anonymes", grogne-t-il.

Dans les faits, il est possible d'identifier les auteurs de contenus haineux sur les réseaux, même lorsqu'ils se réfugient derrière l'anonymat. Des traces perdurent, comme l'adresse IP. Mais, plutôt que de perdre du temps à courir derrière une minorité bruyante, les experts apprécieraient un soutien de la majorité discrète. Même avec les faits de son côté, les vagues de haines isolent.

Tom Kerkour