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Syrie

Syrie: des ruines de Damas à l’Opéra national des Pays-Bas, l'incroyable destin d’un danseur classique

Ahmad Joudeh danse à Palmyre, dans un documentaire réalisé par la télévision néerlandaise en 2016.

Ahmad Joudeh danse à Palmyre, dans un documentaire réalisé par la télévision néerlandaise en 2016. - Capture d'écran Youtube

Après la diffusion d'un documentaire racontant son histoire à la télévision néerlandaise, un jeune danseur classique vivant en Syrie a pu partir pour Amsterdam, et intégrer le corps de ballet de l'Opéra national des Pays-Bas.

Son destin a changé en l'espace de quelques mois. Ahmad Joudeh, un danseur de 26 ans vivant en Syrie, était contraint depuis le début de la guerre, en 2011, d'exercer son art au milieu des décombres, à Damas. Le jeune homme d'origine palestinienne, encore élève au conservatoire lorsque le conflit a éclaté, n'avait jamais pu quitter le pays, faute de moyens.

Mais sa vie s'est soudainement métamorphosée l'été dernier, après qu'un journaliste danois lui a consacré un documentaire. Le jeune danseur vient d'intégrer la troupe du ballet de l'Opéra national des Pays-Bas, rapporte le Guardian

Danser au milieu des ruines 

Resté dans la capitale syrienne malgré les ravages de la guerre, Ahmad, dont cinq membres de la famille ont été tués dans le conflit, a entrepris d'enseigner la danse à des orphelins. Mais sa passion lui a valu d'être régulièrement menacé de mort par les jihadistes de Daesh. Résigné à ce quotidien de peur, Ahmad était toutefois loin de se douter qu'un documentaire réalisé par un journaliste danois en août 2016 changerait sa vie à jamais.

Ce film, qui le montre en train de danser au milieu des ruines de Damas en signe de résistance et en hommage à ses proches tués, a rapidement trouvé un écho international. Une séquence hautement symbolique le filme notamment en train de réaliser des entrechats sur la scène du théâtre du site antique de Palmyre, à l'endroit même où les jihadistes procédaient à des exécutions publiques quelques mois plus tôt. 

"Danser dans le théâtre de Palmyre était ma façon de combattre Daesh. C'était ma façon de leur dire: 'vous pouvez tuer des gens, mais vous ne pouvez pas m'empêcher de danser'", explique-t-il aujourd'hui au Guardian. "C'était dangereux, nous ne pouvions pas rester plus d'une heure, et il faisait 50 degrés au soleil. Mais je l'ai fait parce que je savais que je n'en aurais plus l'opportunité. Et j'avais raison. Daesh a détruit le théâtre. J'ai pleuré pendant deux jours quand j'ai appris la nouvelle", confie-t-il. 

Repéré à la télévision

La diffusion du documentaire à la télévision néerlandaise a bouleversé la vie d'Ahmad. Séduit par son histoire, Ted Brandsen, le directeur artistique du Ballet national des Pays-Bas a décidé de lancer un fonds nommé "Danser pour la paix", dans le but de récolter de l'argent pour permettre au jeune homme de venir danser et étudier à Amsterdam. 

"Son histoire m'a profondément touché. Quand, à la fin du documentaire, il a expliqué qu'il serait appelé pour faire son service militaire, j'ai su qu'il fallait que je fasse quelque chose. Le lundi matin, je suis arrivé au bureau et j'ai dit à notre directeur financier: 'nous allons aider ce danseur syrien à venir à Amsterdam'", raconte Ted Brandsen. 

"C'est danser ou mourir"

Outre les souffrances de la guerre, Ahmad Joudeh a également dû affronter la défiance de son père vis-à-vis de sa passion, quand il était plus jeune. "Mon père m'interdisait de danser. Dans notre culture, être un danseur classique est la pire des choses qu'un fils peut choisir de faire. Il a dit que c'était une honte pour la famille, et voulait que j'étudie l'anglais ou la médecine", raconte le jeune homme.

"Mais j'ai dit non, c'est ma vie. Je suis allé secrètement aux cours de danse. Quand mon père s'en est rendu compte, il m'a battu avec un bâton. Il me battait très fort. Une fois, il m'a blessé si profondément à la jambe, que je n'ai pas pu danser pendant plusieurs jours. Mais je n'ai jamais abandonné. Je lui ai dit: 'c'est danser ou mourir'".

Mis à la porte par son père à l'âge de 17 ans, Ahmad a malgré tout continué à prendre des cours, tout en gagnant sa vie pour aider sa mère et ses frères et soeurs. 

Déménagement à Amsterdam

Un passage par la version arabe de l'émission So You Think You Can Dance, en 2014 au Liban, lui ouvre de premières portes. Il atteint les demi-finales, mais se voit répondre qu'il ne pourra gagner, en raison de son statut d'apatride. "C'était une épreuve. Mais j'avais gagné une audience et atteint des coeurs, donc j'étais gagnant malgré tout. Après cette émission, on m'a demandé de réaliser une série de chorégraphies pour des festivals de danse à l'Opéra de Damas", se souvient-il.

Au moment du tournage du documentaire, Ahmad enseignait la danse à des orphelins syriens. Quelques mois plus tard, il recevait cette fameuse invitation pour Amsterdam. "J'étais tellement surpris! J'ai dit à ma mère: 'je ne pars pas, je ne peux pas te laisser'. Mais elle m'a répondu: 'tu me quitteras quoi qu'il arrive. Soit tu partiras pour l'armée, soit tu iras à Amsterdam. C'est mieux pour toi de vivre ton rêve'".

"Je n'arrêterai jamais de danser"

Le danseur a suivi le conseil de sa mère, et a quitté Damas pour Amsterdam, où il a décroché un petit rôle dans une production du ballet Coppélia, au sein de l'Opéra national, et dansera bientôt dans une nouvelle production. L'argent récolté par le biais du fonds lancé par Ted Brandsen lui permet de subvenir à ses besoins quotidiens et de financer ses études. 

"Danser ou mourir". Ahmad a choisi de se faire tatouer ces mots en hindi dans le cou, après avoir reçu des menaces de mort de la part de Daesh. "Je n'arrêterai jamais de danser. Je suis prêt à me battre toute ma vie pour la sensation que me procure la danse. C'est un sentiment de liberté. En étant un réfugié palestinien, né dans un camp, je me suis toujours senti inférieur aux autres. Mais quand je danse, je me sens comme un roi", conclut le jeune homme.

Adrienne Sigel