Troupes européennes, "filet de sécurité" américain... À quoi pourraient ressembler les garanties de sécurité pour l'Ukraine?

Empêcher que le scénario de 2022 ne se reproduise. Donald Trump a discuté lundi 18 août avec les leaders européens et le président ukrainien Volodymyr Zelensky de "garanties de sécurité" pour l'Ukraine, pilier indispensable de tout accord de paix selon Kiev.
Les Ukrainiens comptent sur les Occidentaux pour établir des mécanismes solides. Par le passé, ni le mémorandum de Budapest en 1994, ni les accords de Minsk en 2014 et 2015 n'avaient permis de dissuader la Russie d'envahir le pays.
Sur son réseau Truth Social, le président américain a évoqué lundi des garanties de sécurité fournies par "divers pays européens", en "coordination" avec les États-Unis. Mais les contours du système qui serait mis en place restent encore très flous, et le Kremlin s'est empressé de tempérer les annonces américaines.
· Vers un mécanisme inspiré de l'Otan?
Après le sommet en Alaska entre Donald Trump et Vladimir Poutine, l'émissaire spécial du président américain, Steve Witkoff, a déclaré que les États-Unis "ont pu obtenir la concession suivante: que les États-Unis puissent offrir une protection similaire à l'article 5, ce qui est l'une des véritables raisons pour lesquelles l'Ukraine souhaite adhérer à l'Otan".
Épine dorsale de l'Otan, l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord affirme que toute attaque contre un des pays membres de l'alliance est considérée comme une attaque contre tous. Chaque État doit prendre "aussitôt (...) telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée".
Il n'y a donc pas d'automaticité de l'engagement militaire direct. La réponse peut par exemple prendre la forme d'un soutien logistique ou de la fourniture de matériel militaire.
La mise en place d'un mécanisme inspiré de l'article 5 interroge les spécialistes, alors que Donald Trump a lui-même jeté le doute sur l'attitude des États-Unis en cas d'attaque contre l'un des membres de l'alliance atlantique. L'article 5 du traité de l'Otan peut "s'interpréter de plusieurs façons", avait-il lâché à la veille d'un sommet de l'alliance en juin dernier, alors qu'il faisait pression pour que les États membres investissent 5% de leur PIB dans la défense.
· Des forces européennes déployées en Ukraine?
La "Coalition des volontaires" d'une trentaine de pays, principalement européens, se dit prête à soutenir l'Ukraine pour prévenir une reprise des hostilités. Des travaux de planification militaire ont été conduits depuis février. Selon plusieurs sources proches du dossier à l'AFP, ils prévoient le soutien à la régénération de l'armée ukrainienne, présentée comme la première des garanties de sécurité du pays.
Sont prévus également des moyens aériens pour protéger le ciel ukrainien et le trafic en mer Noire. Enfin, un déploiement terrestre en Ukraine de "quelques milliers d'hommes" est envisagé, selon Emmanuel Macron.
Ce mardi 19 août, les membres de la "coalition" se sont réunis par visioconférence sous les auspices du Premier ministre britannique, Keir Starmer, et d'Emmanuel Macron, afin de rendre compte des entretiens de la veille à Washington.
Des équipes de planification européennes et américaines devraient se contacter dans "les prochains jours" pour "préparer le déploiement d'une force de réassurance si les hostilités prenaient fin", a précisé un porte-parole de Keir Starmer.
Chercheuse à la fondation Carnegie Europe, Rym Momtaz appelle toutefois auprès de l'AFP à "ne pas surestimer l'unité européenne" autour de ce plan. La France, le Royaume-Uni ou encore les pays baltes ont manifesté leur disponibilité ces derniers mois. Mais "ceux qui ont les gros bataillons au sol en Europe ne veulent pas y aller, Varsovie et Berlin pour l'instant disent non", ajoute le chercheur indépendant Stéphane Audrand.
· Quel rôle pour les Américains?
Nombre de pays européens exigent l'existence d'un "filet de sécurité" ("backstop") américain comme condition à tout engagement de leur part. "Cela signifie que les Américains s'engageraient à défendre et soutenir, non pas l'Ukraine directement, mais des troupes de pays membres de l'OTAN déployés en Ukraine", explique Nicolas Tenzer, enseignant en géostratégie à Sciences Po.
Hormis les Français, "il n'y a pas grand monde au sein de l'Alliance (atlantique) qui sait penser une action militaire sans les Américains, même pas les Britanniques", justifie Stéphane Audrand, interrogé par l'AFP.
Sur le sujet, Donald Trump est resté évasif. S'il a évoqué un soutien aérien, sa porte-parole Karoline Leavitt rappelle que le président américain "a assuré qu'il n'y aurait pas de troupes américaines au sol en Ukraine".
"Si l'OTAN a fonctionné pour contenir le Pacte de Varsovie (l'alliance du bloc communiste, NDLR), c'est parce que depuis 1949 un traité ratifié par les États-Unis se doublait d'une présence militaire importante au plus près du rideau de fer. Impossible d'attaquer l'Europe sans tuer des milliers de GI's et impossible pour une administration américaine de détourner le regard par lubie politique", développe Stéphane Audrand sur son compte X. "Il faut le même système pour l'Ukraine, pour que les garanties soient crédibles".
· Que se passerait-il en cas de nouvelle agression russe?
C'est la grande inconnue de ces garanties de sécurité: comment protéger l'Ukraine tout en évitant un affrontement direct avec l'armée russe? "Garantir la sécurité d'un pays signifie, à la fin des fins, une seule et unique chose: être prêt à se battre le cas échéant pour le sauver. C'est aussi simple que ça. Et c'est ce qui coince pour les Européens", avance Stéphane Audrand.
"La question majeure, qui n'est pas du tout évoquée par les responsables, et on comprend qu'elle ne le soit pas publiquement, c'est la doctrine d'engagement", abonde Nicolas Tenzer, auteur de Notre Guerre (Ed. de l'Observatoire, 2024).
En clair, "si vous avez des troupes françaises, finlandaises ou britanniques qui sont attaquées, ou si un immeuble, une école ou un hôpital ukrainien est bombardé à côté, ces troupes vont-elles intervenir?", interroge le spécialiste.
"Et intervenir, ce n'est pas uniquement activer la défense antiaérienne contre des drones ou des missiles, ce qui paraît indispensable, mais c'est éventuellement frapper pas seulement la flèche, mais l'archer qui peut se retrouver de l'autre côté de la frontière russe", poursuit-il.
Emmanuel Macron, qui avait provoqué un tollé en Europe l'an dernier en évoquant le premier l'envoi de troupes au sol, a rappelé dimanche que "ces forces-là n'ont pas vocation à tenir une ligne de front ni à être engagées sur un conflit chaud, mais à signer une solidarité d'un point de vue stratégique". "Mais la réalité, c'est qu'à un certain moment, elles peuvent avoir une nécessité de combattre et de s'engager. Il y a un moment où la question va se poser", estime Nicolas Tenzer.
· Qu'en dit la Russie?
Lors du sommet en Alaska, Vladimir Poutine a, pour la première fois, évoqué des "garanties" pour l'Ukraine. Une déclaration à relativiser car la Russie, qui rejette toute entrée de l'Ukraine dans l'Otan, s'est aussi s'opposée fermement au déploiement de troupes européennes sur le territoire ukrainien.
"Nous réaffirmons notre position de longue date consistant à rejeter sans équivoque tout scénario impliquant le déploiement de contingents militaires de l'OTAN en Ukraine, car cela risque d'entraîner une escalade incontrôlable aux conséquences imprévisibles", a déclaré la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères lundi dans un communiqué.
Ce mercredi, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a prévenu que toute discussion sur les garanties de sécurité occidentales à offrir à l'Ukraine qui ne prendrait pas en compte la position de Moscou ne mènera "nulle part".
"L'Occident comprend parfaitement que discuter sérieusement de garanties de sécurité sans la Russie est utopique, c'est une voie qui ne mène nulle part", a déclaré Sergueï Lavrov à l'issue de pourparlers avec son homologue jordanien à Moscou. "Nous ne pouvons accepter que les questions de sécurité collective soient désormais abordées sans la Russie", a-t-il ajouté.
Sur X, le spécialiste de la pensée stratégique russe Dimitri Minic affirme que "Moscou n'acceptera aucune garantie de sécurité solide pour l'Ukraine". "Poutine n'acceptera jamais aucune issue à la guerre qui laisse l'Ukraine libre et fonctionnelle. (...) Si Poutine semble accepter cela, c'est un piège", ajoute sur le même réseau social Janis Kluge, chercheur au think-tank géopolitique allemand SWP.