Guerre en Ukraine: pourquoi la prise de Tchassiv Iar est une victoire stratégique pour la Russie

Après des mois d'intenses combats, les Russes ont affirmé ce jeudi 31 juillet avoir conquis la ville de Tchassiv Iar dans l'oblast de Donetsk. L'Ukraine dément cette revendication et dénonce "un mensonge" auprès de l'AFP.
Pour Moscou, la prise de cette localité revêt une importance stratégique et symbolique. Un expert militaire cité par l'agence d'information publique russe, Tass, compare cette prise à celle de Bakhmout en mai 2023 et considère qu'elle ouvre la voie à "l'extension de nouveaux gains territoriaux pour la Russie en direction du nord, de l'ouest et du sud".
Un verrou stratégique
Pour appuyer ses déclarations, le ministère de la Défense russe a diffusé des vues aériennes de cette ville encore peuplée d'environ 12.000 habitants avant l'invasion en février 2022, désertée depuis et réduite à l'état de ruine.
Sur l'un de ces plans, un soldat fait flotter le drapeau russe. "Les Russes se livrent à une guerre de communication au profit de leur opinion publique à chaque fois qu'ils prennent n'importe quel hameau", souligne le Général Jérôme Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV.

Cette localité de Tchassiv Iar constitue une sorte de verrou sur Kramatorsk, une ville située à une trentaine de kilomètres à l'ouest de Tchassiv Iar, nœud ferroviaire important. L'ancienne place forte se trouve par ailleurs sur un terrain surélevé qui domine la vallée dans laquelle se trouve Kramatorsk.
Tchassiv Iar se trouve également à une soixantaine de kilomètres de la ville minière de Pokrovsk.
"Ça fait quasiment un an que les Russes essayent de prendre la ville de Pokrovsk qui constitue un hub logistique qui peut conduire très directement plus au sud sur Zaporijia, et on connaît le côté stratégique de Zaporijia", rappelle Jérôme Clech, ex-conseiller militaire en cabinet ministériel et consultant de BFMTV.
Des gains territoriaux à relativiser
En accentuant la pression sur les lignes ukrainiennes, l'armée russe obtient de maigres gains de territoire.
"C’est toujours un peu le même schéma avec de l’appui-feu, l’aviation pour arriver finalement à pilonner la ligne de front, les drones... Ce sont évidemment les tirs d’artillerie, toujours en nombre plus important, plus massifs que ce que peut faire l’Ukraine en riposte", illustre Jérôme Clech.
Cette stratégie occasionne de lourdes pertes et les résultats sont limités. "On estime qu'ils grignotent 20 kilomètres carrés par jours, soit l'équivalent d'un arrondissement parisien. Ce n'est rien à l'échelle du pays. Ces gains sont obtenus au prix d'un millier de pertes humaines quotidiennes", relativise le Général Pellistrandi.
En procédant à la destruction des localités qu'ils tentent de conquérir, les Russes ne peuvent pas capitaliser immédiatement sur leurs victoires revendiquées. C'est ce qu'a expliqué à l'antenne de BFMTV, Ulrich Bounat, analyste géopolitique, spécialiste d'Europe centrale et orientale.
"C'est toujours la même stratégie. Ils arrivent à prendre des villes après des combats très compliqués, les villes sont aplaties sous les bombes. Il n'y a pas de capacité à rebondir derrière".
"Dans le principe, ce n'est qu'une ville de plus pour les Russes mais elle tombe à un moment clé"
Dans l'oblast du Donestk que Moscou s'est donné pour objectif de dominer totalement, l'Ukraine contrôle toujours des villes importantes comme Kramatorsk, Kostiantynivka, ou Sloviansk. C'est cette région qui donne le plus de fil à retordre aux Russes. Quand ils contrôlent en moyenne 80% des oblasts convoités, ils n'ont obtenus que 65% de domination dans celui de Donetsk précise Jérôme Clech.
"Les Russes se rapprochent. Au rythme actuel, on a le sentiment que dans un, deux, trois ans, ils pourraient arriver aux frontières du Dombass si la situation reste comme ça et si les Américains et Européen n'acceptent pas d'augmenter l'aide militaire", prévient Ulrich Bounat.
Cette revendication de conquête de Tchassiv Iar intervient alors que Donald Trump a donné un ultimatum de dix jours à Vladimir Poutine, ce mardi 29 juillet, pour un accord de cessez-le-feu et la fin du conflit. Le Kremlin n'a pas officiellement répondu à la requête du président américain.
La perspective de futures négociations pour une paix encouragent Vladimir Poutine à intensifier les combats.
"Dans le principe, ce n'est qu'une ville de plus pour les Russes mais elle tombe à un moment clé puisque Vladimir Poutine essaye justement de prouver à Donald Trump qu'il n'est pas encore temps pour lui de négocier et que sa mauvaise volonté dans les discussions avec les Ukrainiens s'explique de cette façon", analyse Paul Gogo, correspondant de BFMTV en Russie.
"Poutine sait aussi que chaque kilomètre occupé sera hors négociations si ces négociations arrivent un jour. Alors il fait un vrai effort sur le Donbass et notamment la région de Donetsk (la région de Lougansk est considérée comme entièrement prise), c'est la région clé de 2014, Tchassiv Iar ce n'est qu'à quelques dizaines de kilomètres de Donetsk, d'où la Russie avait organisé sa déstabilisation du Donbass en 2014".