Suisse: une nouvelle loi antiterroriste prévoit l'assignation à résidence préventive dès 15 ans

La Suisse renforce son arsenal législatif en matière de terrorisme (photo d'illustration) - AFP
De l'ONU à Amnesty, beaucoup estiment que la nouvelle loi antiterroriste suisse, prévoyant l'assignation à résidence préventive dès l'âge de 15 ans, met en danger l'héritage du pays en matière de droits humains.
Souhaitant mieux protéger sa population après les attentats de Paris en 2015, Berne a créé une base légale, validée en 2020 par le Parlement, permettant à la police d'agir plus facilement à titre préventif face à un "terroriste potentiel". Quelques dizaines de cas par an seraient concernés, selon la police fédérale.
Jusqu'ici, la Suisse a été épargnée par les attentats jihadistes qui ont frappé l'Europe, mais la menace reste "élevée" selon les autorités qui soulignent qu'"en 2020 deux attaques au couteau, probablement à "motivation terroriste", ont eu lieu", à Morges et Lugano.
Les droits fondamentaux garantis d'après le gouvernement suisse
Les autorités observent également une "augmentation générale de l'intensité de la violence de l'extrême gauche" et voient l'extrême droite comme une menace. Les opposants de gauche ont recueilli assez de signatures pour la tenue d'un référendum, le 13 juin. Les premiers sondages montrent que la loi récolte un large soutien.
Le texte "ne remet pas seulement en question la crédibilité de la tradition humanitaire de la Suisse, mais pourrait également ouvrir la voie, au niveau international, à une politique sécuritaire qui se sert d'instruments punitifs à l'égard de personnes n'ayant commis aucune infraction pénale", explique Alicia Giraudel, juriste à la section suisse d'Amnesty International.
Le gouvernement assure que les droits fondamentaux seront garantis et fait valoir que les programmes de déradicalisation sont insuffisants face à la menace que représentent certaines personnes.
Guantanamo
Grâce à la loi, la police pourra mieux les surveiller, limiter leurs déplacements et les obliger à participer à des entretiens. Tout ceci dès l'âge de 12 ans. Et dès 15 ans, les personnes pourront être assignées à résidence pendant neuf mois, moyennant l'approbation d'un tribunal. Pour les opposants, ces mesures contreviennent à de nombreuses normes internationales en matière de droits humains, dont la Convention de l'ONU sur les droits de l'enfant, et vont nuire à la réputation du pays.
Car si la France est la patrie des droits de l'homme, la Suisse en est considérée la gardienne en tant que dépositaire des Conventions de Genève et siège du Conseil des droits de l'homme et du Haut-Commissariat des Nations unies. L'ONU est d'ailleurs très critique envers la loi.
"Nous sommes notamment préoccupés par l'élargissement de la définition des actes de terrorisme à des comportements non violents, tels que la "propagation de la crainte", a indiqué Liz Throssell, porte-parole du bureau des droits de l'homme de l'ONU.
Plusieurs experts indépendants de l'ONU ont averti Berne que cette définition trop large de l'activité terroriste risque "de servir de modèle aux gouvernements autoritaires qui cherchent à réprimer la dissidence politique".
La commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatovic, a aussi critiqué la définition vague de "terroriste potentiel" inscrite dans la loi "qui ouvre la voie à une interprétation large faisant courir le risque d'ingérences excessives et arbitraires dans les droits de l'homme".
Exemption humanitaire
Pour le groupe de réflexion suisse Foraus, selon lequel la loi nourrit l'illusion d'une sécurité absolue, la question légitime se pose de savoir sur quelles valeurs la Suisse souhaite s'appuyer à l'avenir pour affirmer son influence sur la scène internationale.
"En particulier dans la perspective de la candidature de la Suisse à un siège non permanent au Conseil de sécurité de l'ONU pour 2023/24, cet engagement en faveur du renforcement des droits fondamentaux et des droits humains est plus important que jamais", a commenté Nora Naji, de Foraus.
Patrie de la Croix-Rouge, la Suisse a accepté à la demande d'ONG que les organisations humanitaires actives dans des zones contrôlées par des groupes terroristes fassent l'objet d'une exception explicite.
"Sans exemption humanitaire, le simple fait de fournir de l'assistance humanitaire ou du soin médical, ou encore d'avoir été en contact téléphonique avec un membre d'un groupe armé, peut être considéré comme de la complicité et du soutien au terrorisme", a expliqué Françoise Bouchet-Saulnier, directrice juridique de Médecins Sans Frontières.