Coronavirus: comment la crise sanitaire va changer notre rapport à la ville

Photo du Domino Park à Brooklyn le 15 mai 2020 - JOHANNES EISELE / AFP
La semaine dernière, des photos d'un parc de Brooklyn (New York, États-Unis) avaient intrigué. Sur ses pelouses, d'inhabituels cercles blancs ont été peints au sol, espacés de deux mètres. Le but: que les promeneurs puissent s'asseoir dans l'un d'eux, et profiter de leur sortie en plein air tout en respectant la distanciation sociale, règle sanitaire souveraine en pleine pandémie de Covid-19. Et ces aménagements inusuels sont apparus un peu partout.
Car si cette crise sanitaire est sans précédent de par son incidence mondiale, elle a également eu un impact inédit sur le visage de nos villes. Des traçages au sol sont apparus devant les magasins, dans les cours de récréation ou les gares pour faire respecter la distance sociale, les rues se sont vidées, des voies de voitures ont fermé et les pistes cyclables ont été multipliées afin de palier l'usage des transports en commun ou de la voiture.

"La crise du coronavirus est venue accélérer un processus déjà en place"
Moins polluées, plus calmes, les villes ont présenté une autre facette pendant cette crise, et des besoins se sont distingués: la nécessité d'espaces publics de taille suffisante - afin de se déplacer tout en respectant les distanciations sociales, mais aussi, sur un pan plus psychologique, de retrouver de l'espace après l'enfermement - et celle de la présence de la nature.
Ces modifications de l'urbanisme sont "absolument nécessaires par rapport à la transition écologique qui arrive, ça c’est un évidence", déclare Christine Leconte, présidente du Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Île-de-France, contactée par BFMTV.com.
"Face au changement climatique, il y avait déjà un mouvement qui s’était mis en marche pour repenser l’urbanisme notamment dans les villes, qui sont envahies dans l’espace public par les véhicules", explique Carlos Moreno, directeur scientifique de la Chaire Entreprenariat Territoire Innovation, à l'Université Panthéon Sorbonne, contacté par BFMTV.com. "La crise du coronavirus est venue accélérer un processus qui était déjà en place".
Le vélo, "un mouvement irréversible"
Soutien d'Anne Hidalgo à la mairie de Paris, il applaudit la création de pistes cyclables supplémentaires, car "face à cette pandémie virale et son pouvoir de propagation et de nuisance, la seule possibilité pour limiter les contacts de proximité c’était de créer des conditions pour faciliter une mobilité avec laquelle les gens ne sont pas serrés les uns contre les autres, comme avec le métro et les transports de masse".
La ville de Milan, capitale de la Lombardie et capitale économique de l'Italie, a été durement touchée par le Covid-19. Son maire a lancé fin avril une stratégie d'adaptation de la ville à la pandémie. Parmi les mesures phares, la création d'un réseau de rues pédestres et cyclables, et la promotion de l'utilisation des vélos, scooters électriques ou encore véhicules partagés.
Pour le déconfinement, la mairie de Paris a de son côté déclaré vouloir doubler la surface du réseau cyclable. De nombreuses autres villes ont également lancé la création de pistes à l'issue du confinement, des voies expérimentales pour le moment, qui pourraient se pérenniser, comme à Grenoble, Nice ou Mulhouse.
Mais Carlos Moreno espère également que ces nouvelles mobilités "éviteront de retourner à la voiture". Une étude italienne a souligné un possible lien entre l'accélération de la propagation du coronavirus et la pollution de certaines zones aux particules fines. Une autre étude, américaine, lie la pollution de l'air à des taux de mortalité de Covid-19 plus élevés.
Il y a eu "beaucoup d’opposition à mesure que les travaux étaient faits pour donner de la place au vélo" dans les villes, rappelle Carlos Moreno, "des gens s’y opposaient, par rapport au fait que ces mesures chassaient les voitures. Le coronavirus est venu simplement mettre un point final à toutes ces discussions là". En ce sens, "les moyens de mobilité active comme le vélo sont devenus un mouvement irréversible".
Savoir se réapproprier l'espace public
Il n'est pas certain en revanche que les traçages au sol marquant la distanciation sociale perdurent, mais ils ont souligné la nécessité sur certaines zones d'un espace entre les personnes, un espace public suffisant pour tout le monde. Christine Leconte pose par exemple la question de la nécessité que "devant toutes les écoles il y ait des voitures qui passent alors qu’on aurait besoin d’endroits apaisés".
"Souvent on réduit les tailles des espaces publics, qui ne sont pas des espaces qui rapportent de l’argent. Et ce que montre ce virus, c’est qu’on ne peut plus marchandiser l’espace, parce que l’espace c’est notre survie", explique-t-elle.
Désormais, "deux mètres (mesure de distance sociale), ce pourrait être la nouvelle unité que nous utiliserons lorsque nous réfléchirons aux villes et aux parcs publics", suppose auprès du média américain CNN Sara Jensen Carr, professeur d'urbanisme à la Northeastern University (Massachusetts, Etats-Unis). "L’importance de l’espace public, c’est de pouvoir y être sans le saturer", souligne Carlos Moreno. Selon lui, la crise sanitaire a renvoyé "au besoin de désaturer l’espace public, c’est à dire rendre le maximum l’espace public disponible pour les gens".
L'agence d'architecture tchèque Hua Hua a par exemple mis en place pendant le confinement un projet de tables et de chaises disposées à distance les unes des autres dans l'espace public, afin que les personnes puissent se réunir en respectant les règles sanitaires.
Christine Leconte note également la réappropriation de la rue par les habitants pendant le confinement: "on voit en ville sur les trottoirs, des gens qui avaient sorti de leur appartement des petites tables et qui faisaient leur repas du midi à même le trottoir". Elle rappelle qu'on a aussi "vu réapparaître des animaux en ville" et qu'en "absence d’élagage, tout d’un coup la nature a repris sa place".
Renouer avec la vie de quartier
Le confinement a contraint la population à se limiter à une zone restreinte, et donc à découvrir ou redécouvrir son quartier ou sa commune. Et malgré la distanciation sociale, selon Carlos Moreno le confinement a aussi permis de créer une intensité sociale avec les personnes à proximité: "On découvre que la voisine chante, que le voisin d’en face joue du piano, parle anglais, que les gamins d’en bas jouent au football".
"Les pistes vélo ne sont pas une fin en soi c’est un moyen pour rendre une ville beaucoup plus apaisée, pour pouvoir offrir une proximité heureuse, accéder à 10/20 minutes à de nouveaux services", souligne Carlos Moreno. "On accompagne le vélo d’un mouvement urbanistique pour que les rues soient plus apaisées, que le mobilier urbain soit un mobilier de rencontres, de la végétalisation, de l’apaisement au niveau des écoles..."
C'est le projet de la ville du quart d'heure. "La ville des 15 minutes ou du quart d’heure, c'est la ville où on peut tout faire à pieds ou en vélo dans un cercle concentrique de proximité", où se trouvent par exemple les commerces nécessaires, explique Christine Leconte. "Ce qui est sûr c’est que l’on va privilégier le rapport à la proximité, et ça c’est plutôt une bonne chose, et ça doit peut-être nous faire prendre conscience de ce que l’on a auprès de chez soi".
Si ces besoins de changements dans les villes ont pu être ressentis à travers le monde, "l’urbanisme ça met des années à se fabriquer, on ne change pas une ville en dix minutes, ni en deux ans", rappelle Christine Leconte.
A travers le monde on ne compte plus les changements et initiatives locales pour modifier la ville et la rendre plus adaptée à une pandémie: la généralisation des portes automatiques ou encore la création d'ascenseur auto-nettoyant avec des boutons assez gros pour pouvoir appuyer dessus à l'aide du coude, comme le note par exemple CNN.
"L’intelligence urbaine repose sur la capacité des humains à s’adapter", déclare Carlos Moreno, et face à ce cas extrême de crise sanitaire, "nous allons nous adapter à ce mode vie comme on a su s’adapter à des modes de vie qui étaient menaçants dans d'autres circonstances".