Ukraine: pourquoi le chef de la diplomatie russe accuse Macron de censurer une journaliste française

Lors de sa nouvelle allocution à propos de l'invasion russe en Ukraine mercredi soir, Emmanuel Macron a dénoncé une guerre "nourrie d'une lecture révisionniste de l'Histoire de l'Europe". "La Russie n'est pas agressée, elle est l'agresseur", a déclaré le chef de l'État.
Des propos qui ont rapidement fait réagir Moscou, par le biais du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, qui a notamment accusé le président français de censurer une journaliste, sur la question des tirs de l'armée ukrainienne sur la population civile dans le Donbass, en pleine invasion russe en Ukraine.
"Le président Macron s'est exprimé et il a dit qu'il ne fallait pas accuser Zelensky (le président ukrainien, ndlr) mais une journaliste française lui a répondu. Elle, qui s'est rendue au Donbass, a publié ses observations des pilonnages des écoles, de meurtres de deux femmes qui travaillaient dans ces écoles et a appelé les Occidentaux à regarder la vérité en face. Elle n'a pas eu le droit de faire sa publication", a-t-il ainsi estimé à l'occasion d'une conférence de presse.
Dans le Donbass, une guerre qui dure depuis 8 ans
Cette sortie du chef de la diplomatie russe fait référence à l'intervention, sur la chaîne CNews, d'Anne-Laure Bonnel, qui couvre le conflit dans le Donbass, en cours depuis 2014. Cette dernière explique que dans cette région, "les bombardements sont Ukrainiens", et visent notamment les civils.
Patrick Sauce, éditorialiste spécialiste de la politique internationale chez BFMTV explique qu'"on a oublié que la guerre dure depuis 2014 et dans une guerre, il faut être deux". "Dans le Donbass, la population se retrouve en étau entre les tirs des séparatistes pro-russes et les tirs de l'armée ukrainienne. Donc, c'est un fait, les Ukrainiens tirent depuis huit ans sur des civils", rappelle-t-il.
Le correspondant du Monde en Russie, Benoît Vitkine, a lui-même réagi sur Twitter après la diffusion de cette séquence. "Cette guerre a été fomentée sciemment par la Russie, sur la base d'inquiétudes réelles des populations du Donbass après Maïdan. Les premières armes (= la guerre) sont apparues dans les mains d’agents russes en avril 2014. L’armée russe est intervenue directement en soutien des séparatistes à l’été 2014 et à l’hiver 2015", rappelle-t-il.
"Depuis, il y a des bombardements des deux côtés. Les civils souffrent et meurent des deux côtés. Probablement un peu plus coté séparatiste, plus urbanisé. On en parle moins en ce moment parce qu’une guerre d'une toute autre ampleur a été déclenchée, le focus a changé", a-t-il écrit.
Pour Benoît Vitkine, il n'y a donc pas de raison de douter de la parole d'Anne-Laure Bonnel, qui parle de tirs et bombardements ukrainiens sur des civils, dans le Donbass.
Une vision pro-séparatiste
Toutefois, Benoït Vitkine et Patrick Sauce regrettent la vision de la reporter, qui "a été instrumentalisée", notamment sur des sites complotistes, jusqu'à faire réagir le Kremlin.
"Cette vision est totalement déformée parce qu'elle (la reporter) est amenée sur les zones par les responsables des anciennes Républiques, qui sont aujourd'hui des territoires séparatistes", analyse Patrick Sauce.
Selon le correspondant du Monde, D'après lui, le premier film de la reporter sur cette guerre, qui date de 2017, était "sans doute sincère mais dramatiquement naïf".
"Elle était trimballée dans les territoires séparatistes par… des responsables de ces mêmes territoires. C'est eux que l’on entendait, dans le film, poser des questions aux témoins, pas la journaliste", explique-t-il. Dans ce film, les témoins racontaient "d'horribles exactions de l’armée ukrainienne: femme enceinte décapitée, retraités aux oreilles coupées, exécutions de masse… Des choses fausses, qui ont été démontées à maintes reprises, des fables concoctées par la TV russe et que les guides d’Anne-Laure Bonnel lui mettaient magiquement sous le nez".
Patrick Sauce, qui a couvert la guerre dans le Donbass et est allé dans ces territoires, résume: "Il y a évidemment des choses que vous pouvez faire uniquement guidés par ces gens-là mais derrière, il y a la lucidité qu'on nous demande pour ne pas déformer".