BFMTV
Egypte

EDITO - Al-Qaïda nous parle, sachons l'écouter

Ayman al-Zawahiri.

Ayman al-Zawahiri. - -

Le chef d'al-Qaïda a transmis un message sur le Web à ses partisans, dans lequel ils les invite à continuer leur guerre contre l'Amérique en l'attaquant sur son sol ou ailleurs, afin de la pousser dans toujours plus de dépenses sécuritaires. Un message qui a déjà visiblement été entendu.

Ayman al-Zawahiri, successeur de Ben Laden, a émis un message audio le 11 septembre, qui a fini par être divulgué par un site Web spécialisé ("SITE") puis deux jours plus tard Aljazeera. Le chef d'al-Qaïda a appelé à attaquer et à boycotter les États-Unis, lisons ses paroles:

"Nous devons économiquement saigner l'Amérique en poussant le pays à poursuivre ses immenses dépenses pour sa sécurité... l'économie est le point faible de l'Amérique et elle est déjà chancelante à cause de toutes ses dépenses militaires engagées pour sa sécurité".

"Pour maintenir l'Amérique sous tension et en état d'alerte, il faut quelques attaques par-ci par-là. Nous avons déjà gagné la guerre en Somalie, au Yémen, en Irak et en Afghanistan, nous devons donc poursuivre cette guerre sur ses propres terres". Il a invité "ses frères" à agir seul ou en groupe pour "mener ces attaques disparates". C'est ce que l'on appelle les attaques de "loups solitaires", les plus difficiles à prévoir et à déjouer.

Concernant l'Égypte, Ayman al-Zawahiri a un mot très particulier à dire, lui dont le frère y a été arrêté pour son soutien au président islamiste déchu Mohamed Morsi. La légitimité d'un gouvernement ne vient pas de la démocratie mais de la charia, nous rappelle Ayman Z. Est-ce un encouragement aux actions armées de certains partisans de Morsi aujourd'hui? On doit le supposer.

Nous ne sommes pas des terroristes

Dans son message de 72 minutes, bourré de subtilités et de messages cryptés qui m'échappent, Zawahiri a affirmé que les membres d'al-Qaïda n'étaient pas des "terroristes assoiffés de sang". Sur ce point il ne livre aucun message à l'Occident, mais peut-être qu'il rassure ses partisans, sur le mode d'Adolf Hitler qui disait "je n'aime pas tuer les animaux, et je ne tue les hommes que parce que c'est absolument nécessaire".

Zawahiri a recommandé à ses fidèles de consolider les cellules existantes dans les états musulmans dans le but d'instaurer des États islamistes, mais comment peuvent-ils réussir face à des États qui se défendent? Nul ne sait.

Il a également fait référence au double-attentat du marathon de Boston qui, en avril, avait fait 3 morts et des dizaines de blessés, comme une bonne action. C'est là un rappel qu'il peut frapper en Amérique, même si l'envergure est bien médiocre et les auteurs bien pitoyables.

Et de manière plus rituelle, il a crié à la mort des "valets et laquais" des Américains, partout où ils se trouvent. Si le Kenya a été la cible d'une cellule de Shebabs, plus ou moins somaliens (c'est toujours bon de mélanger les nationalités dans la pensée qaïdiste), c'est qu'ainsi la lettre de Zawahiri a déjà trouvé son application.

Dix foyers de terrorisme, huit depuis le message de Zawahiri

Il est utile de remarquer que huit endroits ont fait l'objet d'actions djihadistes lourdes, et plus particulièrement au Nigeria, au Yémen, au Pakistan.

Le Yémen: vendredi 20 septembre 2013, des attentats visant des soldats coûtent la vie à 56 âmes. Al-Qaïda dans la Péninsule arabique marque sa pérennité.

Le Nigeria: le 12 septembre, l'armée nigériane affirme avoir tué 150 militants de Boko Haram, groupe djihadiste sanglant, au prix de 16 soldats tués. Remarquons la date: le lendemain du message de Zawahiri. Quelques jours plus tard Boko Haram tue plus de 140 personnes, essentiellement des civils abattus aux barrages routiers du groupe.

Enfin le Pakistan: un attentat suicide devant une célèbre église chrétienne (anglicane pakistanaise) à Peshawar, ville pachtoune, tue autour de 80 paroissiens. Les chrétiens pakistanais sont essentiellement issus des conversions du 19e siècle. Les Talibans ont revendiqué l'acte, comme si c'était nécessaire. Je crois qu'ils ont plutôt crâné.

Le chapelet d'États en proie à la terreur d'al-Qaïda

Bref, si on ajoute les combats sporadiques en Égypte contre les forces de sécurité, très souvent au Sinaï, et si on y ajoute le Mali, la Syrie et l'Irak, où les violences précèdent de loin le dernier appel de Zawahiri, l'on commence à se faire une idée d'un châpelet de terreur islamiste. Le Kenya n'est pas un phénomène isolé.

Dernière remarque sur le génie d'al-Qaïda: dans chaque pays, al-Qaïda "central" comme j'aime l'appeler, réussit à intégrer une rébellion locale à son monde idéologique. Boko Haram est essentiellement anti-chrétien et anti-armée dans ce Nigeria toujours torturé par les dissensions tribales internes. Le Mali est une rébellion touareg qui a été infiltrée et dévoyée par les Qaïdistes. Le Kenya est une zone d'action des Shebab somaliens, eux-mêmes en guerre civile, mais sans que la société kenyane se soit radicalisée. Le Pakistan est un monde où le nationalisme éthnique pachtoune (qui sévit également en Afghanistan) atteint des sommets hallucinants.

Bref, al-Qaïda est un système très abouti, qui secoue la moitié du monde. Saura-t-on un jour apprendre de ces fanatiques, pour neutraliser leur formule? Le risque de l'Occident est de rester dans le tout répressif, sans contrer les ruses de la nébuleuse imaginée par Ben Laden. La force permanente d'al-Qaïda restera cependant sa fascination pour le sacrifice meurtrier de soi. Difficile de trouver une parade, mais si on n'essaye pas on ne saura jamais.

Harlod Hyman