ENQUÊTE BFMTV - La collapsologie, entre prophétie de l'apocalypse et catastrophisme éclairé

Alors que le réchauffement climatique pourrait atteindre 7 degrés à la fin du siècle, entraînant des changements irréversibles dès 2 degrés d'augmentation, que les catastrophes naturelles se multiplient et qu'un million d'espèces animales et végétales sont menacées d'extinction, l'idée selon laquelle la civilisation est en péril gagne du terrain. Pour les collapsologues, elle est même sur le point de s'effondrer.
"Une société entière qui s'effondre"
Pablo Servigne, ingénieur agronome et auteur de Comment tout peut s'effondrer, est l'une des figures de proue de la collapsologie - de l'anglais "collapse" qui signifie s'effondrer - dont il est le théoricien. Une idée qui n'est pas nouvelle. En 1972 déjà, des chercheurs du célèbre Massachusetts institute of technology (MIT) rédigeaient le rapport Meadows, qui prévoyait l'effondrement pour 2030.
"Il y a des choses qui sont en train de s'effondrer ou qui se sont déjà effondrées, indique Pablo Servigne à BFMTV. La collapsologie, c'est l'étude de tout ça. Les oiseaux, les insectes, les écosystèmes, le climat. Et il y a la possibilité que tout ça s'entrechoque dans une sorte d'effet domino (…) que tout s'emballe dans ce que les historiens du futur pourront nommer un effondrement."
Depuis plusieurs années, Pablo Servigne multiplie les conférences. Il prône le retour à la nature et l'entraide dans un monde qui, selon lui, ne pourra plus fournir eau, électricité et nourriture à tous. Parmi son auditoire, de nombreux jeunes adultes, tous convaincus par son discours. Comme Mélina, 34 ans, en charge du développement durable dans une grande entreprise. "Cela fait quelque temps que je suis de plus en plus consciente de l'effondrement, que je me renseigne beaucoup, que ça m'habite de plus en plus", assure-t-elle à BFMTV.
Ces préoccupations interrogent jusqu'au plus haut sommet de l'État. Lors d'un échange avec des internautes entre Édouard Philippe et Nicolas Hulot - alors ministre de la Transition écologique et solidaire - en juillet 2018, le Premier ministre évoquait l'effondrement. "Cette question me taraude beaucoup plus que certains ne peuvent l'imaginer (…) Si on ne prend pas les bonnes décisions, c'est une société entière qui s'effondre littéralement, qui disparaît."
Panneaux solaires, cuve de récupération d'eau de pluie
Yves Cochet, ancien ministre de l'Environnement de Lionel Jospin en 2001, est lui aussi un collapsologue convaincu. Il a quitté la capitale pour s'installer dans une ferme en Bretagne, persuadé que les ressources naturelles viendront à manquer. Un endroit stratégique choisi pour lui fournir de l'eau, du bois de chauffage et de quoi se nourrir. Panneaux solaires, cuve de récupération d'eau de pluie, chevaux et attelage: tout est prévu pour survivre coupé du monde.
"Je regarde les rapports du Giec (groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, NDLR) et des savants qui nous disent que la Terre est en train de mourir. Trop d'extraction de matières premières, de pétrole, trop de pollution, trop de changement climatique, trop de perte de biodiversité. Dans cinq ans, dans dix ans, dans quinze ans, tout cela va finir par péter", s'inquiète-t-il pour BFMTV.
Mais il y a onze ans, Yves Cochet, également fondateur de l'Institut Momentum - un groupe de réflexion sur l'imminence de l'effondrement de la civilisation industrielle - prévoyait déjà la baisse des réserves pétrolières pour 2009. S'il admet aujourd'hui une erreur de calcul, certains reprochent ainsi aux collapsologues un catastrophisme parfois fait d'approximations et de confusions.
Qu'en est-il vraiment? Francis Perrin, chercheur à l'Iris, spécialiste des hydrocarbures, se veut rassurant. "Depuis à peu près un siècle, un certain nombre de personnes, de personnalités ont annoncé la fin du pétrole. Le pétrole est toujours là et il y en a encore beaucoup. Aujourd'hui, les compagnies pétrolières font des forages jusqu'à 3000 mètres de profondeur (et) repoussent les limites par le progrès technologique."
Le scénario du pire
Pour les collapsologues, au-delà de l'épuisement des ressources naturelles, c'est aussi le changement climatique qui menace l'humanité. Ils s'appuient notamment sur une étude australienne publiée en juin dernier, qui prévoit la fin de la civilisation pour 2050. Des scénarios extrêmes, nuance Henri Waisman, climatologue du Giec.
"La vision des collapsologues est une vision dans laquelle, finalement, à chaque fois qu'on aura une décision à prendre on va prendre la mauvaise, remarque-t-il pour BFMTV. C'est un scénario du pire où à chaque étape, à chaque opportunité de faire quelque chose, de contrôler le climat, on ne le fera pas."
Même analyse pour le climatologue Jean Jouzel. "Pablo Servigne se fonde sur des travaux scientifiques solides, mais en les tirant à l'extrême", pointe-t-il pour Libération. Plutôt que d'effondrement, ce dernier évoque un accroissement des inégalités risquant d'augmenter les conflits liés à l'accès à l'eau ou aux migrations.
Elle quitte la ville pour une ferme à la campagne
Jean-Baptiste Fressoz, chargé de recherche au CNRS spécialiste de l'histoire environnementale, remarque par ailleurs que si le mot "collapsologie" est nouveau, "ce qu'il désigne, à savoir l'étude de l'effondrement des civilisations, est un problème qui obsède l'Occident depuis au moins deux siècles", assure-t-il dans une tribune au Monde.
"Des écrivains évoquant les ruines du passé ou anticipant celles du futur aux historiens racontant la 'chute' de telle ou telle civilisation, des hommes politiques brandissant l'effondrement comme une menace aux militaires cherchant à briser l'économie de l'ennemi: cela fait longtemps que l'on pratique la collapsologie sans le savoir. La popularité du discours de l'effondrement tient tout d'abord à sa banalité. L'idée d'une chute brutale suivie d'une renaissance pénible rabat la complexité des dynamiques environnementales contemporaines et de leurs conséquences économiques, sociales et géopolitiques."
Quoi qu'il en soit, pour certains, il est urgent d'agir. En Moselle, dans la banlieue de Metz, une famille entière s'apprête à changer de vie. Isabelle, mère de cinq enfants, a décidé de quitter sa petite maison de ville pour s'installer dans une ferme à la campagne. Sur ses cinq hectares de terrain, elle prévoit de pratiquer agro-foresterie et permaculture et de s'organiser en communauté. "Le but, confie-t-elle à BFMTV, c'est d'être auto-suffisant."