Avec le réchauffement, va-t-on bientôt faire pousser des fruits tropicaux en France métropolitaine?

Des bananes vendues dans un magasin de Villenuve-d'Ascq (Nord), le 29 juillet 2020. - DENIS CHARLET / AFP
Andrea Passanisi produit - en plus de ses citrons - des mangues, des avocats, des fruits de la passion et des goyaves. Cela fait vingt ans maintenant que ce producteur sicilen de Giarre, au-dessus de Catane, a ajouté des cultures tropicales aux traditionnels agrumes de la région. S'il s'est tourné vers les fruits tropicaux "par hasard" après un voyage au Brésil, ce cultivateur avait aussi envie "de faire quelque chose de différent" et de se démarquer, témoigne-t-il pour BFMTV.com.
"J'ai d'abord pensé à tenter une expérimentation mais j'ai découvert que ces cultures avaient déjà été testées avec succès dans les années 1960. Mais elles n'avaient pas eu un grand écho commercial, ce n'était pas encore dans les habitudes de consommation."
Ce producteur fait partie d'un collectif de 32 exploitations qui cultivent "avec passion" des fruits tropicaux et subtropicaux sur un peu plus de 130 hectares. Et ce sont au total 1400 tonnes de produits labellisés bio qui sont vendues chaque année dans le pays ou exportées dans toute l'Europe.
Bananiers et cacaotiers
En Italie, certains agriculteurs délaissent en effet la traditionnelle culture des orangers et citronniers - en une quinzaine d'années, la production s'est effondrée d'un tiers pour les premiers, de 50% pour les seconds. À la place, en Sicile mais aussi en Calabre, il n'est désormais pas rare de trouver des bananiers, papayers, caramboliers, macadamiers, litchiers, caféiers et même cacaotiers.

Selon Coldiretti, une association italienne d'agriculteurs, ce sont au total 500 hectares qui sont dorénavant consacrés à la culture des fruits exotiques. La production a été multipliée par 60 en seulement cinq ans - une explosion que la confédération explique notamment par les effets du réchauffement et l'installation de ces cultures sur des terres souvent "abandonnées à cause des changements climatiques".
"Sur nos terrains, du temps de mon grand-père, il n'y avait pas les conditions pour cultiver des fruits tropicaux", explique Maruzza Cupane, une productrice de mangues de 35 ans, installée près de Messine, dans le nord-est de la Sicile, dans un article de L'Espresso relayé par Courrier international.
En France métropolitaine, le sorgho à la place du maïs
La France métropolitaine n'en est pas encore à cultiver des fruits exotiques à ciel ouvert. Si quelques exploitations se sont tournées vers les bananes, mangues, fruits de la passion et goyaves, elles sont rares et ces cultures poussent sous serres. Mais qu'en sera-t-il dans quelques années, quand les périodes de canicules seront plus longues et plus intenses?

Le changement climatique impose bel et bien de se tourner vers de nouvelles cultures, selon les spécialistes. "L'augmentation des températures ouvre des opportunités et des possibilités pour des cultures qui n'étaient pas possibles avant", estime Henri Bies-Péré, producteur laitier dans les Pyrénées-Atlantiques et vice-président de la FNSEA, interrogé par BFMTV.com.
Co-auteur d'un rapport d'orientation sur le changement climatique, Henri Bies-Péré évoque ainsi le sorgho, une céréale originaire d'Afrique moins gourmande en eau que le maïs, notamment destinée à l'alimentation du bétail. "Il y a quelques années, elle était encore confidentielle", assure-t-il. "Aujourd'hui, elle s'est développée et on atteint un rendement intéressant." Il cite encore le soja, dorénavant cultivé en Normandie - chose inimaginable à ses débuts.
"C'était impossible il y a quinze ans, les conditions météorologiques n'y étaient pas favorables. On peut avoir dans cette région des gelées très tardives. Mais on a maintenant des espèces qui sont adaptées avec des temps de pousse plus courts."
"De nouveaux ravageurs"
Dans son rapport, Henri Bies-Péré écrit qu'à l'horizon 2050, "les aires de productions vont se déplacer, les pratiques agricoles évoluer et les territoires seront profondément modifiés". C'est en effet une tendance: une remontée vers le Nord de la France de certaines cultures, dont la vigne. Des vignerons se sont ainsi déjà installés dans des territoires inhabituels, comme la Normandie, la Bretagne et même les Hauts-de-France.
"Mais on est encore loin d'une tendance forte", nuance pour BFMTV.com Juliette Grimaldi, enseignante-chercheuse en agronomie à l'Institut national polytechnique (INP) de Toulouse et à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Car selon cette spécialiste des effets du changement climatique sur l'agriculture, la priorité est ailleurs.
"L'urgence est plutôt à l'identification de variétés, céréales ou plantes fourragères, et porte-greffe, en arboriculture et viticulture, qui soient capables de résister aux évènements extrêmes, type sécheresse, canicule, gel ou pluies torrentielles, et aux nouvelles maladies et ravageurs qui accompagnent le changement climatique."
C'est également ce que pointe Henri Bies-Péré, de la FNSEA. "En matière de fruits, on a d'autres soucis à gérer que se lancer dans des cultures exotiques", poursuit-il, citant les maladies et parasites qui mettent régulièrement en péril les abricotiers, pêchers et cerisiers français.
"On fait face à de nouveaux ravageurs qu'on ne connaissait pas, habitués à d'autres latitudes, comme pour les humains le chikungunya (transmis par la piqûre du moustique tigre originaire d'Asie du Sud-est, NDLR). Avant, on avait dix à quinze jours de gel, ça tuait tous les ravageurs, en particulier le puceron pour la betterave. Maintenant, ces périodes ne sont pas assez longues pour réduire ces populations."
Diversification et monoculture
Face aux difficultés causées par le réchauffement climatique, Juliette Grimaldi, spécialiste des questions d'agroforesterie, d'agro-écologie et du changement climatique en agriculture, observe deux réactions opposées des producteurs. D'un côté une diversification des cultures, avec davantage d'espèces cultivées sur une même exploitation, voire parfois simultanément sur une même parcelle.
"C'est une stratégie qui consiste à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. C'est un mal pour un bien car cela contribue à une augmentation de la diversité des espèces cultivées et donc des services écosystémiques associés."

Mais l'autre tendance, c'est la monoculture - accusée d'appauvrir les sols et de mettre en péril la biodiversité. Avec pour conséquence des dépenses croissantes de la part des agriculteurs dans du matériel d'irrigation pour pallier au manque d'eau et à la transpiration des plantes, analyse Juliette Grimaldi. "L'investissement financier dans du matériel d'irrigation est important et nécessite d'être amorti en plusieurs décennies en maximisant les rendements."
Henri Bies-Péré, de la FNSEA, s'en défend. Selon lui, il n'y a pas de recette miraculeuse pour faire face au changement climatique. "La transformation de l'agriculture prendra du temps. C'est tout le système agricole qui doit s'adapter."
Lui appelle à se tourner vers "la recherche génétique", "une source d'innovation pour l'agriculture de demain", "afin de trouver des espèces plus adaptées aux températures élevées, moins consommatrices d'eau et d'azote alors que les terres arables diminuent et que la population augmente".
Un changement climatique "trompeur"
Si l'opération semble pour le moment gagnante pour les producteurs de fruits tropicaux italiens, certains appellent à la vigilance, à l'imagine de Rosolino Palazzoli, un jeune entrepreneur installé près de Palerme.
"Cette année, dans ces zones, la production de mangues sera en diminution de 80 % par rapport à 2020", assure-t-il à L'Espresso. "Car l'hiver a été trop chaud. Néanmoins, d'un autre côté, les cultures de papaye et de banane vont bien et les fortes chaleurs de cette année m'ont permis d'expérimenter la culture du cacao. Au vu du changement climatique, il faut savoir s'adapter."
"Le changement climatique est trompeur", abonde Andrea Passanisi auprès de BFMTV.com. À Giarre, là où il est installé, il estime même que "la surchauffe n'est en rien un avantage". "La terre est d'origine volcanique, le microclimat est doux même dans les saisons les plus rudes", détaille-t-il. "Ajouté aux précipitations constantes et abondantes, Giarre est l'une des municipalités les plus humides d'Italie, cela rend ce territoire particulièrement adapté pour nos cultures."
Mais jusqu'à quand? Le producteur de fruits exotiques constate avec inquiétudes "des fluctuations météorologiques annuelles qui pourraient compromettre tout le sort de l'agriculture en général".