"Vous nous prenez tous pour des idiots": à son procès, Frédéric Péchier inébranlable face à l'accusation

Croquis d'audience montrant l'ex-anesthésiste Frédéric Péchier à la barre lors de son procès à la cour d'assies du Doubs, le 8 septembre 2025 à Besançon - Benoit PEYRUCQ © 2019 AFP
Un calme olympien. Pris sous le feu roulant de l'accusation, l'ancien anesthésiste Frédéric Péchier continue de clamer son innocence, après un mois de procès devant la cour d'assises du Doubs où il est jugé pour 30 empoisonnements, dont 12 mortels.
"On a l'impression désagréable que vous nous prenez tous pour des idiots, monsieur Péchier, experts compris", a constaté, d'un ton policé, l'avocate générale Thérèse Brunisso, résumant l'impression de l'accusation et des avocats des parties civiles après plusieurs heures d'interrogatoire au sujet de trois empoisonnements présumés survenus à la Polyclinique de Franche-Comté.
L'homme de 53 ans est soupçonné d'avoir frelaté des poches de produits anesthésiants de patients âgés de quatre à 89 ans afin de provoquer un arrêt cardiaque, dans deux établissements de Besançon.
Son mobile présumé pour ces actes qui se sont produits entre 2008 et 2017: nuire à des collègues avec lesquels il était en conflit, pour des questions d'ego ou d'argent.
Depuis le début de ce procès d'une rare complexité, qui voit défiler à la barre des victimes ou des proches, d'anciens collègues, des enquêteurs et des experts, le docteur Péchier a subi deux longs interrogatoires.
"Vous savez que vous êtes foutu"
De nouveau interrogé ce mardi 7 octobre, à propos de trois arrêts cardiaques suspects en 2009, survenus à la Polyclinique alors qu'il était absent dans deux cas sur trois, il a contesté le fait qu'il s'agisse d'empoisonnements.
"L’admettre, c’est planter le dernier clou dans le cercueil de votre culpabilité. Vous savez que vous êtes foutu", martèle avec force Stéphane Giuranna, l'un des avocats des parties civiles. "Vous délirez complètement", rétorque l'accusé, toujours aussi calme.
"Vous vous êtes fixés absolument sur une histoire d’empoisonnement, vous vous êtes fait un film", a-t-il également dit à la seconde avocate générale, Christine de Curraize.
"Les poches polluées, les morts, les arrêts cardiaques, ce sont des films ?", l'a-t-elle repris. "Non, c’est de la médecine, ça arrive", selon lui.
L'accusation estime qu'il aurait pollué les poches de perfusion en amont des interventions, pouvant ainsi être absent au moment des faits et se forger des "alibis".
L'ex-anesthésiste a soutenu, malgré la démonstration d'un enquêteur, qu'il était "impossible" d'introduire des produits dans les poches de perfusion en amont des interventions.
Les 27 autres empoisonnements présumés ont eu lieu dans un autre établissement de Besançon, la clinique Saint-Vincent. Le fait que Frédéric Péchier soit le seul soignant à avoir exercé dans les deux établissements au moment des cas suspects est l'une des clefs de voûte de l'accusation.
"En 2008, clinique Saint-Vincent (où le docteur Péchier exerce), deux empoisonnements. Vous partez et arrivez à la Polyclinique en janvier 2009, trois arrêts cardiaques inexpliqués. Vous revenez à la clinique Saint-Vincent en juin 2009, de nouveaux EIG (évènements indésirables graves) ont lieu, et cela va durer jusqu'en 2017", a retracé Thérèse Brunisso.
Un accusé fragilisé
"Le seul dénominateur commun?: vous, Frédéric Péchier", a lancé l'avocate générale d'une voix forte, alors que le public retenait son souffle.
"Non, depuis mon départ il y a beaucoup de choses qui peuvent expliquer qu’il n’y a pas eu de nouveau EIG", a répondu l'accusé, sans jamais se départir de son calme olympien.
Frédéric Péchier a été interpellé en mars 2017 et plus aucun arrêt cardiaque suspect n'a été relevé dans les cliniques de Besançon.
"On est là pour savoir s'il y a des preuves" de la culpabilité de Frédéric Péchier, observe auprès de l'AFP son avocat Randall Schwerdorffer, qui réclame l'acquittement. Or, "depuis un mois, pour l'instant, cette preuve n'y est pas", souligne-t-il.
Jugé depuis le 8 septembre, l'ancien anesthésiste est apparu fragilisé par ses revirements, ses contradictions et ses affirmations parfois contraires à certains témoignages et certaines expertises.
"Pour nous, cela ne fait aucun doute que c'est la bonne personne qui est dans le box", a déclaré à l'AFP Frédéric Berna, avocat de nombreuses parties civiles.
Le médecin a manifesté peu d'émotion, contrairement aux autres soignants qui ont témoigné, tous profondément touchés par les arrêts cardiaques ou les décès de leurs patients. Bénédicte Boussard, qui avait 41 ans lorsqu'elle a subi un arrêt cardiaque en cours d'anesthésie en avril 2009, n'imagine pas l'accusé avouer. "Je pense que c'est enfoui au plus profond de lui-même et que ça ne sortira jamais".