Les Vieux Fourneaux: ce qu'il faut savoir sur la BD à succès au million d'exemplaires vendus

Les Vieux Fourneaux tome 4 - Dargaud 2017
Débarquée en 2014, la série Les Vieux Fourneaux (Dargaud) du dessinateur Paul Cauuet et du scénariste Wilfrid Lupano rencontre un étonnant succès. Au mois de décembre, cette BD qui raconte les tribulations entre Paris et le Sud-Ouest des seniors Antoine, Emile et Pierrot a dépassé le million d’exemplaires vendus.
Un succès inattendu pour une série qui n’est ni une franchise comme Astérix ou Titeuf et ne retrace pas la vie d’une personnalité comme Depardieu ou Thomas Pesquet. Pour comprendre l'origine des Vieux Fourneaux et les raisons de son succès, BFMTV.com a pu rencontrer Wilfrid Lupano, scénariste et de la série et de son adaptation cinématographique en salles le mercredi 22 août 2018.

L’origine du titre de la série
Wilfrid Lupano a trouvé le titre de la série dans une chanson de Georges Brassens, Le Temps ne fait rien à l'affaire: "Quand ils sont tout neufs, qu'ils sortent de l'œuf, du cocon, tous les jeunes blancs-becs prennent les vieux mecs pour des cons. Quand ils sont devenus des têtes chenues, des grisons, tous les vieux fourneaux prennent les jeunots pour des cons".
Ces quelques paroles de Brassens résument parfaitement l’esprit de la série pour Lupano: "Avec Paul [Cauet], on s’est dit très tôt que l’on voulait faire le portrait d’une génération, pas se moquer des personnes âgées. Pour nous, l’âge n’est pas une identité, mais un état. Tu deviens âgé, mais tu as été jeune et donc éventuellement con". Lupano et Cauet centrent ainsi chaque album sur "des personnages qui ont merdé dans leur vie, qui ont évolué et qui doivent assumer ce qu’ils ont fait dans le passé". Un fil narratif qu’il mêle à des considérations plus actuellement, comme les ZAD dans le quatrième tome, La Magicienne, sorti en novembre.
Pour trouver les personnages d’Antoine, d’Emile et de Pierrot, Wilfrid Lupano a concocté un savant mélange: "Il y a plein de petits bouts de vie: des gens que j’ai pu croiser quand je travaillais derrière le comptoir, mais aussi des histoires de famille, des lectures... C’est de la pure fiction. Il n’y a personne derrière Les Vieux Fourneaux", assure-t-il. Il concède toutefois s’être inspiré des philosophes Edgar Morin et Michel Serres et du diplomate Stéphane Hessel pour imaginer leur personnalité:
"Quand on a commencé Les Vieux Fourneaux, Stéphane Hessel venait de publier Indignez-vous! C’était le succès d’édition du moment. Il avait 91 ans et disait aux jeunes de se choisir un sujet d’indignation et de se bouger. Michel Serres venait de publier Petite Poucette, un ouvrage qui parle de la génération portable, et Edgar Morin La Voie, qui aurait pu devenir le manifeste de la gauche moderne pour la campagne de François Hollande mais a été ignoré - pour le résultat que l’on connaît. Bref, on avait l’impression que ceux qui montraient la voix en terme d’engagement social et environnemental, de foi dans l’avenir et les jeunes, c’était des mecs issus de la gauche qui avaient plus de 90 balais. On a voulu retranscrire cet état d’esprit".

Le fils spirituel d’Audiard?
Une des réussites des Vieux Fourneaux réside dans les dialogues de Lupano, que beaucoup de critiques ont comparé à ceux de Michel Audiard. "J’ai un langage assez fleuri et j’aime bien écrire en argot avec des expressions imagées", glisse l’intéressé. "Pour autant, Audiard n’est pas ma source d’inspiration principale". Outre dans les brèves de comptoirs, il puise en effet dans ses maîtres à penser: le romancier et scénariste Alphonse Boudard, déjà le modèle d’Audiard, et George Brassens.
A ces références, Lupano ajoute quelques vannes sur Nadine Morano ou Jean-François Copé. Mais avec parcimonie seulement: "J’essaye de ne pas trop mettre de personnes réelles", prévient-il. "Comme mon souhait le plus cher est que ces gens soient très vite oubliés, je tiens aussi à ce que quelqu’un puisse lire cet album dans vingt ans sans que cela lui pourrisse sa lecture. C’est tentant d’en parler, mais il faut avoir conscience que c’est mieux de rester du côté de la fiction".

Une BD pour toute la famille
La série s’adresse autant aux adultes qu’aux enfants. “C’est notre objectif depuis le début”, insiste Lupano, qui a conçu avec l'illustratrice Mayana Itoïz un spin-off des Vieux Fourneaux, Le Loup en slip. "On essaye de faire des ouvrages que l’on peut se refiler. Celui pour les petits, les grands peuvent le lire. Et inversement", explique Lupano. "J’essaye de faire en sorte qu’un enfant de huit ou de dix ans puisse lire Les Vieux Fourneaux. Je le teste sur mon fils de 11 ans".
Le personnage du Loup en slip, présent dans Les Vieux Fourneaux, est en réalité une invention de l'illustratrice Mayana Itoïz, l'épouse de Wilfrid Lupano. Le scénariste en raconte l'origine: "Elle a créé le personnage pour la chambre de notre fils aîné qui avait peur du loup. Elle a dessiné des loups en slip pour le détendre un peu. Comme il fallait un nom pour le théâtre dans la BD, j’ai repris ce personnage pour lui faire un clin d’œil". A travers Le Loup en slip, Lupano espère aussi conserver "l’esprit revendication sociale des Vieux Fourneaux, avec un côté irrévérencieux et ancré critique sociale".
Les raisons d’un succès
Quand on pose à Lupano l’inévitable question des raisons du succès des Vieux Fourneaux, sa réponse est laconique: "Il y a un joli engouement depuis la sortie du tome 4. C’est important de voir que l’on n’a pas déçu les lecteurs et qu’ils continuent d’y trouver un intérêt", dit-il, avant d'ajouter:
"Je n’ai pas vraiment d’explication. Je crois pas mal que l’on arrive avec un projet qui, à un moment donné, s’inscrit dans ce que les gens attendent. Ça comble un vide, tu vises juste sans t’en rendre compte. Je ne crois pas que les auteurs soient les mieux placés pour comprendre ce genre de choses. C’est parfaitement réjouissant de rencontrer un succès pareil avec ce genre de bouquin. A la base, le sujet n’est pas gagné. Si tu le proposes à un éditeur en disant ça va être l’histoire de trois vieux à la campagne, il commence à avoir une crise d’apoplexie".
La suite
Un cinquième tome, Bons pour l'asile!, sortira le 19 novembre 2018. L’intrigue se déroulera en partie à Paris. En attendant, l’adaptation cinématographique débarque avec Eddy Mitchell, Pierre Richard, Roland Giraud et Alice Pol dans les rôles principaux. Lupano s'est inspiré des premier et troisième tomes, tout en ajoutant une partie d’inédits. "Je trouve important que les gens qui lisent Les Vieux Fourneaux et vont au cinéma découvrent autre chose que ce qu’ils connaissent", explique Lupano. Le film, très fidèle à la BD (parfois à la virgule près), devrait ravir les fans de la première heure.
Lupano ignore combien de tomes durera encore la série. Les personnages principaux étant âgés, le temps passe d’un album à l’autre et fatalement les héros vieillissent et se rapprochent de la mort. "La série a commencé par un enterrement. Dans le tome 3, un des Vieux Fourneaux passe l’album à l’hôpital après un malaise. "On fait quand même planer l’ombre de la mort en permanence sur cette série", indique Lupano. "C’est une manière de rester honnête avec le sujet que l’on traite: la fin de la vie". Malgré cet fatalité, Les Vieux Fourneaux restent la BD la plus drôle et la plus optimiste que vous lirez cette année.