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Quand les youtubeurs misent sur l'événementiel: un bon plan pour les créateurs et... pour les marques

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En 2024, plus d'une quinzaine d'événements de grande ampleur avec du public ont été organisés par des créateurs de contenus. Avec un objectif: fidéliser et agrandir leur communauté.

"J'en reviens pas qu'autant de gens soient venus pour un truc de culture générale", écrit le streamer Etoiles sur X, ex-Twitter. Le 19 septembre dernier, il organisait Culture Clash, un grand show de culture générale inspiré des jeux télévisés comme Questions pour un champion.

Diffusé en direct sur la chaîne Twitch du streamer devant des dizaines de milliers d'internautes, Culture Clash réunissait au même moment 2.300 personnes dans la salle du Grand Rex à Paris et plus de 100.000 spectateurs en simultanée sur Twitch. "C'était un rêve de dingue pour moi de faire ce show", lance en live le créateur de contenus suivi par 1,1 million d'abonnés.

Une exception française?

Car si les jeux vidéo commentés en direct restent le contenu de prédilection des vidéastes sur Twitch ou Youtube, les ponts entre le monde virtuel et les événements "sur place" se font de plus en plus nombreux. Courses sportives, talk-shows au Zénith, émissions de culture générale et avant-premières dans des cinémas... Les occasions de se réunir dans un cadre bien réel sont identifiées avec soin par les créateurs de contenus pour créer de l’expérience et de l’engagement auprès du public.

Tournois de tennis à Roland-Garros en mai avec Domingo, Petanque Explorer de Mcfly et Carlito en juin ou encore la diffusion au Grand Rex du documentaire d'Inoxtag sur son ascension de l'Everest: en 2024, on dénombre plus d'une quinzaine d'événements de grande ampleur avec du public. Comme un point d'orgue de cette nouvelle tendance, le mois de septembre a accueilli pas moins de cinq événements de vidéaste avec du public en septembre.

"Ça existe aussi à l’étranger. Mais il n’y a pas cette grande régularité, ce degré d’exécution avec des événements d’une telle ampleur, très professionnels dans leur organisation", confiait à Tech&Co Rachel Delphin, directrice marketing monde de Twitch. "Ce n’est pas unique à la France, mais c’est sans commune mesure dans les autres pays."

Ces expériences sont de plus en plus nombreuses et monumentales. En témoignent certaines opérations comme la deuxième édition du Grand Prix Explorer - une course de Formule 4 avec de nombreux vidéastes célèbres - qui a accueilli 60.000 personnes en 2023, ou le DTR Fight, un tournoi de boxe organisé en décembre prochain par RebeuDeter à Paris La Défense Arena devant 35.000 personnes.

Rien d'étonnant pour Jonathan Condessa, planeur stratégique à l'agence OTTA. Cette montée en gamme permet de répondre à un enjeu de taille: celui de la "découvrabilité", dans un monde de profusion où se distinguer des autres créateurs devient chaque jour un peu plus difficile.

"Les expériences hors des murs de Twitch et Youtube marquent les esprits. Cela permet aux streamers de renforcer leur légitimité", poursuit-il.

Un risque financier

Pour en mettre plein la vue, les streamers s'entourent souvent de professionnels du monde artistique. Pour son aventure en haut de l'Everest, Inoxtag a pu compter sur des dizaines de techniciens équipés de caméras, de drones et autres micros haut de gamme. Même son de cloche pour le DTR Fight de Billy.

"Il y aura des entrées spectaculaires qui, je l’espère, n’auront jamais été vues ailleurs", glisse Billy, alias RebeuDeter à RMC Sport. "Je travaille avec le scénographe Julien Mairesse, que m’a conseillé un mec de l’équipe de SCH. Il y aura de belles animations entre les combats."

"Se lancer dans l'événementiel, c'est prendre un risque financier", rappelle Jonathan Condessa. Les tarifs de ces événements s'envolent. Entre le matériel, les équipes de tournage, les décors, la location de salle... Les créateurs de contenus n'hésitent pas à investir des centaines de milliers d’euros dans la production d'événements, toujours plus ambitieux.

Billy chiffre la préparation de son événement à 3 millions d’euros. Un coût absorbé en partie par des marques comme Samsung ou Wilkinson, prêts à payer cher l'image du jeune homme. Même constat pour Inoxtag. Le documentaire a été financé par des sponsors comme Deezer, AirUp, Fitness Park ou le lobby des produits laitiers.

Un montant conséquent, donc, mais les retombées potentielles le justifient. Pour les marques, comme pour les vidéastes, l'objectif est le même: fidéliser et recruter un nouveau public. "La visibilité sur ce type d'événement est extrêmement bonne", souligne Jérôme Bloch, directeur marketing et stratégie Mobile eXperience de Samsung Electronics France. Le GP Explorer 2 de Squeezie sponsorisé par Samsung, a en effet enregistré un pic à plus de 1,3 million de personnes connectées pour le GP Explorer 2.

D'autant que les marques s'adressent souvent à une population plus jeune, très prisée des sponsors. "Billy est principalement suivi par la génération Z et Apha, qui partage nos valeurs de dépassement de soi", poursuit le directeur marketing. En bref, une population qui correspond à la cible de Samsung.

"Avec des événements comme le DTR Fight, on touche davantage nos consommateurs, car ils associent la marque à un projet qu'ils suivent de très près", poursuit-il. "Le taux d'engagement est particulièrement fort."

Tout l'enjeu est de respecter l'univers du vidéaste en inventant d'autres façons d'étendre l'expérience au-delà de Twitch pour satisfaire les communautés.

Renforcer les liens existants

Car en traversant l’écran, les vidéastes viennent au contact du premier vecteur de leur réussite, leurs fans. "Ils rassemblent leur communauté et renforcent leur lien de confiance avec leurs abonnés", ajoute Jonathan Condessa. Et le succès est au rendez-vous. L'an dernier, les 60.000 billets du GP Explorer 2, vendus une cinquantaine d'euros, se sont tous écoulés en moins d'une heure.

"Je regarde les vidéos de Mybetterself depuis que je suis adolescente et c'est un plaisir de pouvoir la soutenir", explique ainsi Inès, 26 ans, qui s'est rendue au Bataclan pour assister à l'enregistrement du podcast de l'influenceuse en septembre. "Pour la plupart, nous sommes de la génération qui a grandi avec les youtubeurs."

"Être avec d'autres fans qui regardent ses vidéos, partager ça avec du monde, c'est un moment fort", ajoute Iliès, 16 ans, qui a assisté à la projection au cinéma du film d'Inoxtag. "L'émotion est décuplée." L'avant-première de Kaizen: un an pour gravir l'Everest a attiré plus de 360.000 spectateurs lors de son unique journée de diffusion.

"1 an pour gravir l'Everest" : pourquoi le documentaire du Youtubeur Inoxtag est un tel succès?
"1 an pour gravir l'Everest" : pourquoi le documentaire du Youtubeur Inoxtag est un tel succès?
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Certains de ces fans sont venus avec leurs amis, ou des membres de leur famille, qui ne connaissait pas bien le youtubeur. "Je suis venue avec ma meilleure amie Océane", précise Lou-Anne, 17 ans. "Elle ne connaissait pas trop Inoxtag, mais je l'ai motivée à venir."

Recruter un nouveau public

Car ces expériences ont un autre avantage de taille. "En créant l'événement, les streamers captent un nouveau public qui ne se serait pas forcément intéressé au contenu plus classique du youtubeur", analyse Jonathan Condessa. C'est par exemple le cas avec le ZEvent, le marathon caritatif organisé chaque année par ZErator. Au fil des éditions, "on voit que l’engouement est plus intense, l’audience s’ouvre" confirme le streamer. "Au début, c'était notre niche. Maintenant, des gens de 7 à 77 ans nous en parlent alors qu’ils ne suivent aucun stream le reste de l’année."

Avec l'espoir, donc, de transformer les curieux en membres actifs de la communauté. Un pari réussi pour Inoxtag. Le nombre d'abonnés du vidéaste est monté en flèche après la sortie de son documentaire. Selon les données de Social Blade, l'alpiniste en herbe de 22 ans a ainsi gagné 440.000 abonnés sur Youtube en moins d'une semaine. Soit une hausse de 5,5%.

Forts de ces succès, certains vidéastes vont encore plus loin et crée leurs propres salles pour accueillir leurs événements. C'est le cas de Kameto. Le fondateur de l'équipe d'esport Karmine Corp a inauguré les Arènes d'Evry-Courcouronnes, ce 20 septembre. Une enceinte de plusieurs milliers de places où se disputeront en public des matches de la structure d'e-sport la plus populaire de l'Hexagone, désormais "club résident". Une rareté dans la discipline.

Salomé Ferraris