Squeezie, Inoxtag... Pourquoi les vidéos des youtubeurs sont devenues des superproductions

La date est à marquer d'une pierre blanche. Après quatre mois de pause, Squeezie, le premier vidéaste de France fait son grand retour sur la plateforme de vidéos de Google. "De retour sur YouTube samedi 18 mai", a sobrement indiqué le créateur de contenu star dans une courte vidéo partagée le 11 mai dernier sur X, ex-Twitter.
Sur une bande-son digne d’un film hollywoodien, on y aperçoit une compilation de ses plus gros succès sur Youtube, comme "Qui est l'imposteur", avec Eric et Ramzy, ou "Derrière la porte il y a?". Bref, que des surproductions, qui donnent le ton pour les mois à venir.
Mais Squeezie est loin d'être une exception. Les créateurs de contenus sont de plus en plus nombreux à réduire leur rythme de production, pour proposer des vidéos de plus en plus spectaculaires. Inoxtag partage ainsi des vidéos où il escalade le Mont-Blanc, recrée un décor post-apocalyptique pour simuler une attaque de zombies et dort dans une forêt hantée. Revers de la médaille, sur les douze derniers mois, Inoxtag a ainsi divisé par deux ses vidéos, passant de 34 à 16 contenus en un an. Aminematue, lui, est passé d'une trentaine de contenus par an, à un peu plus d'une dizaine de vidéos.
Quel que soit le youtubeur, le principe est toujours le même: faire des vidéos toujours plus spectaculaires, à coup d'équipes de tournage, de décors ultra-réalistes et de défis un peu plus fous chaque jour. A la clef, plusieurs millions de vues et l'espoir de fidéliser les spectateurs. "Il y a une surenchère constante", constate Caroline Mignaux, créatrice du podcast Marketing Square.
Le sensationnel pour se démarquer
"Depuis quelques années, il ne suffit plus d'allumer sa webcam. Pour fidéliser son audience dans un environnement de plus en plus concurrentiel, il faut rentrer dans une course à l'extraordinaire", poursuit-elle.
En effet, le nombre de créateurs de contenus a explosé ces dernières années. En 2023, ils étaient près de 150.000 en France selon la dernière étude de l'agence d'influence Reech. "Aujourd'hui, de plus en plus de vidéastes proposent de nouveaux contenus. Mieux vaut, donc, être inventif et savoir se renouveler pour tenter de sortir du lot et capter le peu de temps disponible qu'ont les internautes", confirme Yannick Pons, responsable de la stratégie chez Reech.
D'autant que sur les plateformes, l'algorithme et l'audience fixent les règles du jeu. Il suffit de jeter un oeil aux chiffres. Dans le top 10 des vidéos YouTube les plus visionnées en 2023, seules les grosses productions arrivent en haut du classement. Le concept de Squeezie "Qui est l'imposteur?" caracole à la première place du podium. En seconde position, la vidéo d'Inoxtag "48 heures pour survivre à une invasion zombie". De la même manière, les contenus face caméra de Squeezie, ou il raconte des anecdotes, font en moyenne deux fois moins de vues que ses vidéos concepts.
Pour Yannick Pons, les vidéos spectaculaires offrent ainsi un double avantage.
"Les concepts improbables séduisent les spectateurs et font du clic. Résultat, ces vidéos attirent les annonceurs, principale source de revenus des youtubeurs, qui augmentent en conséquence les budgets alloués aux influenceurs."
Et, qui dit vidéo concept, dit contenus relativement longs. "Ce sont des formats mis en avant par l'algorithme de Youtube, car ils favorisent la retention de spectateurs", ajoute Jonathan Condessa, planneur stratégique à l'agence OTTA.
3,5 millions de dollars pour une vidéo
Problème, ces vidéos ne se tournent pas en un claquement de doigts. "On ne produit pas un cache-cache géant aussi rapidement qu'un thread horreur face caméra dans son bureau", rappelle Jonathan Condessa. L'expert invoque notamment des contraintes techniques.
"Une vidéo face caméra, c'est déjà une semaine de travail. Les grosses productions demandent beaucoup plus de temps. Parfois plusieurs semaines, voire plusieurs mois", abonde Yannick Pons. Les deux vidéos "Qui est le meurtrier" de Squeezie, qui voient dix youtubers lâchés de nuit dans un château pour un jeu de rôles, ont ainsi nécessité des semaines de préparation et trois jours d'installation.
Des contenus chronophages, donc, et particulièrement coûteux. Entre le matériel, les équipes de tournage, les décors, la location de salle... Les créateurs de contenus n'hésitent pas à investir des centaines de milliers d’euros dans la production de vidéos, toujours plus ambitieuses, pour rester en haut de la chaîne alimentaire de Youtube.
A titre d'exemple, le coût total de production des vidéos d'Amixem s'élevait à près de 1,5 million d'euros en 2021. Montant encore plus flou pour Squeezie. "En 2023, je crois qu’on a dépassé les 3 millions investis par Lucas juste dans la création de contenu", révèle ainsi Théodore Bonnet, le réalisateur de Squeezie interrogé par Libération. De son côté, le vidéaste américain MrBeast a dépensé 3,5 millions de dollars pour recréer les épreuves de la série Squid Game. Une vidéo de 25 minutes qui a coûté plus cher qu’un épisode d’une heure produit par Netflix.
Freiner la cadence
Face à ce constat, peu de choix s'offrent aux créateurs. "Soit alterner les superproductions avec des vidéos plus simples, mais qui font moins d'audience, soit multiplier les concepts fous, et ralentir le rythme de publication", insiste Jonathan Condessa. C'est cette dernière option qu'ont donc choisie la majorité des ténors de Youtube.
Aminematue a ainsi expliqué mettre de côté les vidéos discussions ou gaming pour se consacrer exclusivement aux contenus concept, qui lui prennent "tout son temps". Après la sortie, vendredi 19 janvier, de son documentaire "Merci internet", Squeezie a, lui, annoncé ralentir ses activités sur la plateforme et publier moins souvent des vidéos.
Avec un avantage: après plusieurs semaines, voire plusieurs mois sans nouvelle vidéo, la sortie de chaque nouvelle méga production devient un véritable événement.
"Les créateurs de contenu cultivent la rareté de leurs vidéos pour attirer les internautes", observe Jonathan Condessa.
La preuve avec Inoxtag. En ne publiant aucune image de son périple en haut de l'Everest, il attise l'impatience de ses abonnés, et crée une grosse attente autour de son documentaire sur son ascension de l'Everest. Une stratégie gagnante, à condition de ne pas décevoir les attentes, toujours plus hautes, des internautes.