"Pourquoi j'aurais honte?": contre la calvitie, ces hommes adoptent les prothèses capillaires

Il paraît loin, le temps où Olivier Dessart remettait compulsivement ses cheveux en place au moindre coup de vent, par crainte que le monde ne découvre ses golfes dégarnis. Depuis mai dernier, le jeune homme de 24 ans a décidé de se débarrasser de son complexe en portant "des prothèses" - encore appelés "compléments capillaires" au quotidien.
À l'image des perruques qui recouvrent la totalité du crâne, les compléments capillaires sont des solutions non chirurgicales utilisées pour camoufler la perte de cheveux. Fabriquées à partir de cheveux naturels ou synthétiques, ces membranes sont fixées sur le cuir chevelu à l'aide de clips, de colle ou de bandes adhésives.
Le tabou de la calvitie
Chaque jour, ce vendeur en animalerie se félicite d'avoir osé pousser la porte d'un salon de coiffure spécialisé de Bruxelles. Grâce à cet accessoire, le jeune Belge a retrouvé sa confiance en lui: "Je me préfère largement avec des cheveux."
"Depuis je ne suis plus gêné lorsqu'on me prend en photo, je ne marche plus tête baissée dans la rue, et à la piscine, j'ai moins d'appréhension quand je sors du bassin les cheveux mouillés", raconte-t-il.
Mais cette transformation physique a un prix, et pas des moindres. Il faut globalement compter plusieurs centaines d'euros par mois ou par trimestre, selon les instituts, pour la pose et l'entretien d'une prothèse de cheveux naturels. Olivier Dessart, par exemple, fait changer sa prothèse tous les six mois - pour un coût de 200 à 500 euros. Entre deux rendez-vous, il opte pour une solution économique: il entretient et repose sa prothèse lui-même, grâce à des tutoriels en ligne.
D'autres, comme Jules, sont prêts à faire des centaines de kilomètres régulièrement pour aller trouver leur coiffeuse. Tous les deux mois, le jeune Breton de 22 ans va faire recoller et entretenir sa prothèse à Orléans, pour 300 euros: une séance d'1h30 au cours de laquelle l'ancienne membrane est décollée avec des solvants spécifiques puis lavée ou remplacée. Son crâne est à son tour lavé, rasé avant que la prothèse ne soit repositionnée puis collée sur sa tête, où les côtés sont égalisés.
Les compléments capillaires lui ont permis de retrouver sa jeunesse, après qu'une chimiothérapie et une calvitie précoce lui ont fait perdre sa masse capillaire. "Avant tout le monde pensait que j'avais la trentaine", raconte-t-il. "Ça gratte un peu au début, mais on s'habitue vite et ça tient extrêmement bien. Ce que je peux dire, c'est que c'est agréable de se sentir enfin en adéquation avec son âge".
À force, Jules ne pourrait plus s'en passer: "Je le fais vraiment pour des raisons esthétiques mais bon, c'est un petit luxe que je m'accorde." "Certains partent en vacances au bout du monde, d'autres s'achètent des sacs de luxe, moi je m'achète des cheveux", plaisante-t-il.
Comme un "accessoire de mode"?
Prothésiste capillaire, Sabrina Galluret a ouvert il y a trois ans un cabinet spécialisé dans les prothèses - pour hommes comme pour femmes - à Orléans (Loiret). Dans son salon, qui connaît une croissance fulgurante, la quadragénaire carbure à 120 clients par mois, en majorité des hommes complexés.
Dans sa clientèle, le sujet est encore souvent "tabou". "Beaucoup vivent encore mal leur calvitie et certains n'assument pas du tout d'avoir recours aux compléments capillaires", déplore la responsable du salon Capill'Expert. Mais à l'inverse, de plus en plus de jeunes hommes assument pleinement et revendiquent même le port de ce qu'ils considèrent comme un simple "accessoire de mode".
C'est notamment le cas de Christopher Delahaye, créateur de contenu de 27 ans, qui parle librement de son expérience sur les réseaux sociaux.
"Pourquoi j'aurais honte d'en parler? Ce n'est pas un secret d'État", défend l'influenceur, dont les prothèses sont offertes par une marque dans le cadre d'un partenariat commercial.
Dans ses vidéos en ligne, il s'applique à populariser le port de ces compléments capillaires et à déconstruire les tabous qui y sont encore attachés. "La chevelure reste pour beaucoup très liée à la masculinité et ça ne paraît pas très naturel qu'un homme prenne soin de lui en ayant recours à des artifices comme une perruque. C'est pour ça que peu d'hommes osent encore sauter le pas: ils vont trouver que la démarche a quelque chose de féminin".
"C'est dommage, moi je trouve important de dire que la calvitie n'est pas une fatalité, qu'il y a des alternatives au crâne rasé", développe-t-il. "Les prothèses peuvent être un bon moyen d'aider les gens à se sentir mieux et ça n'est pas être superficiel de dire ça."
Un marché qui se construit discrètement
Aujourd'hui, le marché de la prothèse capillaire est encore confidentiel en France. "Étrangement, les professionnels du secteur ne se montrent pas car c'est un marché encore considéré comme exclusif, à l'image sérieuse et presque médicale", explique Sabrina Galluret, dans le métier depuis 18 ans. "Moi je trouve que c'est une activité tournée très mode et bien-être, mais il y a quelques années encore, dans mon ancien institut on faisait ça avec une blouse blanche, de façon un peu dissimulée."
Mais les professionnels du secteur sont conscients que les choses sont en train de changer. "On est encore très peu à proposer ça en France mais ça ne va pas durer", prédit Sabrina Galluret. "C'est vraiment en train de se démocratiser chez des hommes de plus en plus jeunes, car aujourd'hui ils s'intéressent davantage à l'image qu'ils renvoient."
"À 20, 30 ou 40 ans, ils n'ont pas envie de ressembler à leur grand-père", résume Isabelle Anglade, fondatrice de la marque Hair Elite international, spécialisée dans les techniques de reconstruction capillaire.
"Si avant les clients allaient chez leur prothésiste en catimini, c'est moins le cas aujourd'hui. Les jeunes sont dans une attitude décomplexée. On propose des coupes très tendances et certains en parlent même à leurs copains".
Nouveau tremplin pour les professionnels
En plus de vendre des perruques et autres extensions capillaires, l'entreprise parisienne s'appuie sur un réseau de 90 instituts partenaires à travers la France et propose plusieurs formations pour les professionnels, dont l'intérêt n'a cessé de croître ces dernières années. Isabelle Anglade fait état d'une hausse de 30% de la demande l'an dernier par rapport à 2023.
L'attrait est le même au sein de l'institut capillaire Joceli à Nantes, racheté l'an dernier par Sébastien Motte. "Il y a de plus en plus de demandes en France et pas encore suffisamment de professionnels formés", regrette le prothésiste, qui a initié une cinquantaine de coiffeurs ou barbiers à la pose l'an dernier. Selon lui, "le marché des compléments capillaires pour hommes évolue de 20% par an".
"Ça reste très niche et difficile d'accès, alors qu'il y a un potentiel de développement énorme. Et malheureusement même si on y travaille, les formations courtes comme les nôtres ne sont pas souvent prises en compte par le CPF (Compte personnel de formation)".
"Auparavant la calvitie était peut-être perçue comme quelque chose d'inéluctable, mais ce n'est plus le cas", conclut Sabrina Galluret, qui se réjouit du côté "magique" de son métier. Commerciaux, banquiers, maçons, agriculteurs, étudiants... "Ils arrivent dans mon salon stressés et complexés, et repartent avec le sourire, car j'ai la réponse à leurs problèmes". D'autant qu'il s'agit d'une solution totalement réversible, contrairement aux coûteux et invasifs implants capillaires.