Port du masque, confinements et distanciation: les enfants de la génération Covid

La génération Covid - Pierre Oscar Brunet
Alors qu'Emmanuel Macron a annoncé mercredi soir l'extension des mesures de restrictions à l'ensemble du territoire et la fermeture des écoles pour trois semaines, BFMTV.com s'interroge sur ces enfants de la génération Covid qui découvrent le monde à l'aune de la pandémie, des confinements, couvre-feu, gestes barrières et distanciation sociale.
Ils ont entre 2 et 6 ans, apprennent à parler ou à lire, découvrent les émotions ou les premières lettres de l'alphabet. Quelles traces laissera ce contexte sanitaire exceptionnel? Ces enfants seront-ils durablement marqués par la nouvelle vie du monde d'après?
Sans le masque, "il n'a pas reconnu sa maîtresse"
Pour certains et certaines, les choses ne semblent pas si difficiles. C'est le cas de Sophie*, une ingénieure de 35 ans, mère d'un petit garçon de 3 ans et demi scolarisé en petite section de maternelle. Cette jeune femme, qui réside en proche banlieue parisienne, assure que son fils ne fait pas grand cas de la pandémie et des gestes barrières. "Au tout début, il regardait les masques de façon intriguée, explique-t-elle à BFMTV.com. Mais aujourd'hui, il n'y fait plus attention." Il a tout de même voulu une fois porter un masque, "pour faire comme nous". Mais le petit garçon s'est rapidement lassé de ce jeu et n'y est plus revenu.
"J'ai l'impression qu'il a une attitude assez détachée par rapport à tout ça et que ça ne l'inquiète pas, que ça ne l'affecte pas, confie encore Sophie. Il n'en parle pas. Pour lui, c'est une donnée d'entrée comme une autre."
Une chose tout de même a marqué la jeune femme: sur la photo de classe de son fils, les deux maîtresses, non masquées, affichent leur plus beau sourire. "Il ne les a pas reconnues sans le masque." Mais à 3 ans et demi, on est encore trop petit pour se souvenir de la vie d'avant, "il est beaucoup dans le présent". Il n'en reste pas moins qu'il sait et comprend qu'il y a un couvre-feu "à cause du Covid", explique-t-il lui-même. Que les lieux de loisirs qu'il fréquentait auparavant sont fermés "à cause du Covid" et qu'il ne peut plus voir son cousin "à cause du Covid".
"Il n'a jamais été très tactile, détaille Sophie. Il n'a jamais aimé qu'on lui touche les mains ou qu'on l'embrasse. Même quand c'est moi qui lui fait un bisou, il s'essuie la joue. Du coup, le contact physique ne lui manque pas."
La pandémie a tout de même modifié les habitudes de cette famille. Durant le premier confinement et l'été qui a suivi, faute de crèche et du fait que ses parents devaient travailler, le petit garçon a séjourné longtemps chez ses grands-parents. "Quand il parle de chez nous, il dit 'chez toi maman', comme s'il n'avait pas la notion que c'est aussi chez lui, que c'est son foyer, comme s'il n'avait pas de sentiment d'appartenance."
Des interactions langagières plus pauvres
Dans une récente tribune publiée par Le Figaro signée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, des psychologues s'inquiètent des conséquences du port du masque par les adultes sur les enfants. Ils craignent qu'il ne se traduise par un retard de l'acquisition du langage ou de la sociabilité. "Ne confondons pas adaptation et résilience: les enfants vivent et progressent malgré les difficultés, mais chaque entrave à leur développement a un coût, que ce soit en termes de retard, de secteurs délaissés ou de poids émotionnel", écrivent-ils.
Une enquête publiée en début d'année par l'Université de Grenoble menée auprès de 600 professionnels de la petite enfance a par ailleurs pointé des interactions langagières plus pauvres depuis la généralisation du masque.
Une précédente étude réalisée par des chercheurs chinois lors de la pandémie de SRAS de 2003 était même parvenue à des conclusions encore plus alarmantes, évoquant en plus des retards langagiers des retards moteurs et sociaux ainsi qu'une réduction des courbes de poids.
Armêl Mattmann-Jacques, psychologue et psychanalyste, considère elle aussi que le port du masque - même s'il semble bien accepté de prime abord par les enfants - n'est pas négligeable dans leur développement. "On se parle sans se voir, la relation est entravée", observe-t-elle pour BFMTV.com. Car pour cette psychanalyste, avoir accès au visage de l'autre et lire ses émotions participe pleinement à la construction émotionnelle de l'enfant.
"Pour un petit, être confronté à un visage masqué, c'est le mettre en face d'une énigme. Cela le coupe de l'expression des émotions et barre l'accès à la réalité corporelle et sensible de l'autre."
"Parfois, le soir, il est en pleine crise"
Marie, une metteuse en scène francilienne de 35 ans qui a souhaité que son prénom soit modifié, s'inquiète davantage du manque d'interactions sociales pour son fils de 2 ans. "On voit beaucoup moins nos amis, nos familles, témoigne-t-elle pour BFMTV.com. Mon fils est très sociable mais là, dès que l'on voit quelqu'un, ce qui est de l'ordre de l'exceptionnel, il est très excité, peut-être un peu trop."
Le petit garçon, gardé en journée chez une assistante maternelle, a récemment rencontré quelques difficultés avec l'un de ses camarades. "Les pulsions d'agressivité sont normales à cet âge-là et c'est difficile de savoir dans quelle mesure le contexte du Covid joue, s'interroge Marie. Mais je me demande si ce truc de taper les autres, ça ne vient pas de là."
Son assistante maternelle avait l'habitude de se réunir avec les enfants qu'elle garde dans une salle dédiée avec d'autres professionnelles de l'enfance afin de participer à des activités, éveil musical ou motricité. Elle se rendait également régulièrement à la bibliothèque. Ce qu'elle ne fait plus aujourd'hui.
"Les trois enfants restent en vase clos avec elle ou alors ils vont au square et ils y restent deux heures, explique Marie. Mon fils n'en peut plus de faire toujours la même chose. Parfois, quand je le récupère le soir, il est en pleine crise."
Pour la psychologue et psychanalyste Armêl Mattmann-Jacques, ce nouveau contexte sanitaire serait loin d'être anecdotique pour des enfants en bas âge en entraînerait des bouleversements majeurs. "Un enfant de 2 ou 3 ans a déjà vécu la moitié de sa vie avec le Covid, ce n'est pas rien." Elle craint ainsi que leur construction du rapport à l'autre ne soit biaisée.
"Les enfants se soumettent toujours car ils n'ont pas d'autre choix, poursuit Armêl Mattmann-Jacques qui a dénoncé dans une tribune pour Libération les risques que représentent ces nouvelles conditions de vie scolaire et sociale. Il est difficile de pronostiquer quelles seront les séquelles à long terme mais aujourd'hui, on leur propose un monde où les liens entre humains sont distendus, avec de nombreuses règles de vie restrictives et où il faut se tenir à distance les uns des autres. Où le corps des autres peut être contaminant et leur propre corps dangereux."
"Maman, c'est quand que ce sera comme avant?"
Pour d'autres familles, le quotidien est plus compliqué. Comme chez Carole*, une professeure de danse de 43 ans qui habite dans un petit village de Seine-et-Marne. Elle est la mère de deux garçons âgés de 3 et 6 ans. Elle avait déjà témoigné pour BFMTV.com de l'infiltration de la pandémie dans l'imaginaire de ses enfants. Elle se demande aujourd'hui dans quelle mesure le port du masque pourrait nuire à l'apprentissage de la parole de son cadet.
"Je ne sais pas si c'est lié au contexte ou si c'est juste la fainéantise de mon fils, s'interroge-t-elle pour BFMTV.com, mais il met beaucoup plus de temps que son frère aîné à parler correctement. Il n'articule pas bien, ne place pas bien sa langue, c'est plus long."
Dans les jeux de ses enfants, le Covid est toujours très présent. "Au début, il était question de soigner les nounours, se souvient-elle pour BFMTV.com. Aujourd'hui, ils ont des pistolets et il faut tuer le virus, l'écrabouiller, ils font le geste avec le pied, poursuit Carole. Ils ne jouent plus qu'à ça." Si le plus jeune se contente de reproduire ce que fait l'aîné, pour ce dernier les choses seraient un peu plus difficiles. Scolarisé en CP, il se montre très nostalgique du monde d'avant.
"Il me dit souvent: 'tu crois qu'un jour ça redeviendra comme avant?' ou 'Maman, c'est quand que ce sera comme avant, tu sais, quand on allait dans cet endroit où on mange des trucs bons mais ce n'est pas toi qui prépare le repas?' Il voulait parler des restaurants. Il a intégré le masque à son quotidien, et parfois, il le garde même à la maison, il oublie qu'il le porte, 'je suis tellement habitué', me dit-il. Mais tous les jours il me dit qu'il en a marre qu'il veut vivre la vie d'avant."
Cette mère de famille raconte encore que son petit garçon de 6 ans lui a fait acheter un cadeau d'anniversaire pour son meilleur copain, convaincu qu'il serait invité à la fête. "Je n'ai pas encore osé lui dire qu'il n'y aurait pas d'invitation cette année." Carole se demande ainsi ce que ses enfants vont retenir de la pandémie.
"Il ne faut pas que ça dure et je vais tout faire pour leur faire oublier au plus vite. Ne plus s'embrasser, garder de la distance avec les autres, vivre chacun dans son coin, c'est tellement loin de mes valeurs. Et ce n'est pas l'éducation que je voulais leur transmettre."
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