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Manif pour tous, Jour de colère: vers un "Tea Party à la française"?

La Manif pour tous, dimanche 2 février à Paris.

La Manif pour tous, dimanche 2 février à Paris. - -

Un vent de contestation souffle sur la France. Mais la mobilisation qui tire son origine de questions sociétales portées par des collectifs tel celui de La manif pour tous ou Jour de colère, peut-elle s'ancrer durablement dans la politique française?

Qu'ils aient été 80.000 comme le dit la police, ou 500.000 comme le clament les organisateurs de la Manif pour tous, la mobilisation de dimanche, huit mois après la dernière manifestation, place les partis traditionnels dans l'embarras.

A gauche, certains pensent qu'il faudrait répondre par une contre-manifestation, tandis qu'à droite, on se demande comment et dans quelle mesure il faut s'associer à ce mouvement. Jour de colère, rassemblement hétéroclite des anti-Hollande et ses slogans extrêmes, pose la même question, dans un rejet encore plus virulent de l'establishment.

Dimanche dans les colonnes du Parisien, Robert Badinter a appelé à riposter vivement à ce mouvement par une "grande manifestation de protestation". L'ancien garde des Sceaux et ex-sénateur PS ne s'est pas trompé quant à l'importance sociale de ce mouvement et son influence grandissante au sein du paysage politique français. Pourquoi alors, comme l'avait annoncé Frigide Barjot, un temps égérie du collectif de la Manif pour tous et depuis écartée, ne pas faire de cet élan un courant politique durable, à l'instar de ce qu'a réalisé le Tea Party aux Etats-Unis, maintenant intégré au parti républicain? Après tout, le ministre de l'Intérieur Manuel Valls n'a-t-il pas lui-même dénoncé l'apparition d'un "Tea Party à la française"?

Aurélie Godet, auteure de Tea Party, portrait d'une Amérique désorientée (éditions Vendémiaire) et maître de conférence à l'université de Paris-Diderot, s'amuse de l'expression "Tea Party à la française", "prématurée" selon elle. Cependant, la spécialiste pointe des similitudes et notamment une "convergence thématique" et une volonté de "s'opposer à l'ingérence de l'Etat". De même, le Tea Party est lui aussi né d'une contestation agissant en marge des partis politiques traditionnels: "ni démocrate, ni républicains". Ce n'est qu'ensuite que cette formation a intégré le Parti républicain américain, qui s'est petit à petit droitisé. Autre point commun, les élites tant américaines que françaises n'avaient anticipé à aucun moment la montée en puissance de ce mouvement. A cette différence près, note l'universitaire, que "les élites américaines se sont ensuite adaptées beaucoup plus rapidement que les françaises".

Des limites de la stratégie à la Tea Party

En 2010, le Tea Party, fait remarquer Aurélie Godet à BFMTV.com, a perdu beaucoup de son influence, passant de "60% d'opinions positives à 19% en octobre 2013". Cette défaite, qui est aussi celle des Républicains, est celle d'une "stratégie d'opposition systématique, à Obama et à son Obamacare [NDLR: nouvelle couverture sociale mise en place par le président américain] et au refus de tout compromis". "L'opposition à tout crin ne séduit plus les électeurs américains". Autrement dit, si le Tea Party subsiste encore, c'est parce qu'il a intégré le Parti républicain.

En France, la Manif pour tous pourrait-elle suivre cet exemple et intégrer l'UMP? "Non, car la politique française semble moins ouverte aux mouvements sociaux. A condition de réunir les financements, ce type d'intégration se réalise beaucoup plus rapidement", note Aurélie Godet.

Financement et organisation au niveau national, voilà justement deux éléments qui manquent aux mouvements de contestation français pour passer à la vitesse supérieure. Aux Etats-Unis, des "think tank" financent à "hauteur de millions de dollars" le Tea Party. En l'absence de moyens aussi puissants en France, la spécialiste en civilisation américaine ne doute pas "de la force politique que représentent" ces mouvements, mais reste dubitative quant à leur capacité à "s'institutionnaliser pour s'inscrire dans la durée".

Comment le FN tire son épingle du jeu

Dans son numéro de janvier 2014, The Economist a fait un tour d'horizon des Tea parties européens. Selon le journal anglais, la version française n'était autre que le Front national. Dont acte. Cette appréciation invite à réfléchir sur la stratégie très habile du parti frontiste qui s'associe à ces mouvements, sans sombrer dans la plus évidente récupération.

La raison en est simple, "cet électorat [NDLR: ces manifestants] leur est acquis, le FN n'a rien à faire pour les convaincre", observe Aurélie Godet. Au contraire, en intervenant de manière trop ostentatoire, le parti "risquerait de casser l'image de respectabilité qui s'efforce de construite depuis des années".

Un Tea Party à la française, s'il peut un jour émerger, devra donc produire un "programme positif" et non plus rester dans une posture uniquement contestataire. Mais qu'il reste sur le terrain associatif ou se transforme en parti politique, le financement demeurera une question primordiale.

David Namias et Julien MIgaud-Muller et Rémi Pin