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Société

Les villes d'Europe en guerre contre "l’over-tourisme"

Des touristes dans les rues d'Amsterdam, en 2017.

Des touristes dans les rues d'Amsterdam, en 2017. - Robin Utrecht / ANP / AFP

De plus en plus de destinations touristiques imposent des mesures restrictives à leurs touristes, à l’image d’Amsterdam récemment.

Un petit week-end sur un coup de tête à Amsterdam? Dépêchez-vous, parce que ça risque de devenir compliqué. La ville néerlandaise a décidé d’avoir recours à tout un paquet de mesures destinées à mieux réguler le flot des 18 millions de touristes qui y déferlent chaque année, et qui grimpera à 30 millions en 2025. Dès 2019, les taxes touristiques seront relevées, les taxis circulant sur les canaux seront interdits, tout comme la location de segways. Les cars de tourisme n’auront plus accès au centre-ville, sans parler des restrictions sur les hébergements, qu’ils soient en hôtel ou via des plateformes comme Airbnb, rapportent Les Echos.

Et Amsterdam n’est pas forcément un pionnier en la matière. Il y a quelques semaines, Venise a testé un dispositif de tourniquets à l’entrée de certains secteurs très fréquentés par les touristes pour en réguler le flux. L’été dernier, des manifestations ouvertement anti-touristes s’étaient également déroulées à Lisbonne et à Barcelone. Dubrovnik, en Croatie, a imposé une limite de 4000 visiteurs par jour pour sa citadelle, alors que l’Unesco avait préconisé le chiffre de 8000 sous peine de faire sortir le site de sa liste.

"Pour certains chercheurs, ces mesures correspondent encore plus à une forme de 'musification' de la ville. Quelque part, cette limitation entérine le fait que nous ne sommes plus dans une ville normale habitée normalement, mais dans une sorte de ville-musée", explique Maria Gravari-Barbas, présidente de l’Equipe interdisciplinaire de recherche sur le tourisme (EIREST).

Le "tout début de la réglementation"

Longtemps vus comme des portefeuilles sur pieds, les touristes seraient-ils devenus indésirables? Pas nécessairement, selon celle qui est aussi directrice de la chaire Unesco "Culture, tourisme, développement".

"Il y a une volonté que le tourisme se produise différemment, notamment dans les territoires urbains. A priori, la plupart de ces villes veulent même davantage de touristes. Mais il faut comparer avec l’industrie: c’est difficile d’imaginer qu’on est contre le développement industriel de façon générale. Par contre, personne n’accepterait qu’il y ait une industrie polluante en centre-ville. Donc depuis longtemps, on planifie l’industrie. Mais dans le tourisme, ce type de choses n’avait pas été produit jusqu’à il y a récemment. C’est le tout début de la réglementation", indique-t-elle.

Selon la chercheuse, il faut faire une distinction entre le tourisme de masse présent depuis les années 1960 et le phénomène difficilement identifiable "d’over-tourisme", en plein développement depuis l’essor des compagnies low-cost et des plateformes d’hébergement en ligne comme Airbnb. "Ce phénomène est très lié aux Millenials. Ils ont des pratiques de tourisme qui sont spécifiques, en essayant justement de ne pas faire du tourisme de masse. En cherchant à faire comme les locaux, en essayant de se fondre autant que possible dans les quartiers, chez l’habitant, ils ont certainement produits plus de dégâts que le tourisme de masse", analyse Maria Gravari-Barbas.

En France, on en est pas encore là, "mais je ne vois pas pourquoi on y échapperait", estime Didier Arino, directeur de l’agence de conseils Protourisme. Selon lui, "le tourisme mondial bénéficie d’une croissance entre 4 et 5% par an. En Europe, il progresse d’environ 3% par an. En France c’est moins de 1%, donc ça reste un épiphénomène. Mais ce tourisme, dans certaines villes comme Bordeaux, connaît une croissance entre 5 et 10% depuis 10 ans". Et dans ce cas-là, un déséquilibre se crée entre l’activité touristique et "la vie normale des citoyens". "Les bruits de valisettes à roulettes, les gens totalement avinés dans les rues dont certains ne prennent même pas d’hébergement parce qu’ils ne viennent que pour faire la fête… Il y a des villes qui, si elles ne sont pas méfiantes, risquent de se retrouver avec les mêmes types de problèmes: Marseille, Bordeaux, Nice, Biarritz.".

"Vous aurez du mal à trouver une chambre à 30 euros"

Et ce souci va bien au-delà des nuisances sonores ou écologiques. L’impact des plateformes d’hébergements comme Airbnb sur le marché du logement a par exemple poussé Amsterdam à limiter à 30 jours le plafond de locations pour les particuliers. A Paris, il est désormais de 120 jours.

"Pour Paris, la bonne mesure, ça aurait été 60 jours, regrette Didier Arino. D’un côté on a des villes où c’est difficile de se loger quand on est salarié, étudiant ou retraité. Et de l’autre on a une espèce de spéculation avec des gens qui se disent qu’ils vont acheter pour faire de la location Airbnb. Il y a des villes où si vous louez 10 fois dans le mois, vous êtes sûrs que ce sera plus rentable que de louer à un étudiant. L’offre d’Airbnb a été multipliée par quatre à Bordeaux en quelques années, avec plus de 6000 logements, la plupart en centre-ville: ça pèse. Ce tourisme, il faut arriver à le réguler et ne pas se voiler la face".

Ce jour-là marquera sans doute la fin de la période du tourisme facile et débridé, ouverte lors du lancement des compagnies low-cost et prolongée par l’avènement des plateformes comme Airbnb. "Oui ce sera plus difficile de voyager du jour au lendemain, estime Maria Gravari-Barbas. Ce sera également difficile de voyager sans avoir intégré un certain nombre de règles de conduite, comme à Florence, où on ne peut plus manger de sandwichs dans certains espaces publics. Enfin, ce sera également plus difficile de voyager de façon abordable: si le jeu de l’offre et de la demande joue, vous aurez du mal à trouver une chambre à 30 euros. Ce qu’on appelle un peu naïvement le 'tourisme durable' ne peut pas être un tourisme totalement démocratique".

Antoine Maes