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Le combat de cette mère pour sauver ses filles de l'excision

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Alors que la journée internationale de la tolérance zéro à l'égard des mutilations génitales féminines se tient ce jeudi, BFMTV.com s'est interrogé sur les moyens que se donne la France pour protéger celles qui risquent d'être excisées.

Fanta* et sa fille Bintou*, âgée d'à peine 2 ans, sont arrivées au mois de juin à Paris après un voyage cauchemardesque. Cette mère d'une trentaine d'années, excisée dans sa jeunesse au Mali, est sur le point de déposer une demande d'asile pour ne pas que son enfant subisse les mêmes mutilations et espère pouvoir trouver refuge en France après avoir passé plusieurs mois sur les routes, raconte-t-elle à BFMTV.com.

La traversée de la Méditerranée

Aujourd'hui, elle est seule avec sa fille. Mais il y a encore peu, elle vivait au Mali avec son mari, Aicha* sa fille aînée adolescente, ses deux fils et sa petite dernière à Bamako où Fanta tenait un restaurant. Lorsque les djihadistes sont arrivés dans la capitale et ont mis le feu à son établissement, tous les membres de la famille ont pris la fuite dans l'espoir de survivre.

Le voyage vers l'Europe, gage de sécurité, aura été long. Et meurtrier. Lors d'une des trois tentatives de traversée de la Méditerranée, le navire de fortune sur lequel se trouvent Fanta et les siens fait naufrage. Son mari et ses deux fils disparaissent dans les eaux. Les rescapés sont interceptés par une patrouille des autorités libyennes et sauvés à condition de payer. Comme l'a dénoncé le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits humains, dans ce pays, "les migrants sont considérés pour leur valeur marchande".

Rentrés à terre, les survivants - dont Fanta et ses deux filles - sont emprisonnés, sort commun aux migrants dans cet État en guerre d'Afrique du Nord, placés en centres de détention dont certains contrôlés par des milices. Sévices, actes de tortures, violences sexuelles, les atrocités sont quotidiennes. Moyennant finances, elle parvient en catastrophe à sauver Aicha de l'horreur des geôles libyennes et la renvoie au Mali.

L'horreur dans les camps en Libye

"Dans les prisons libyennes, le viol est généralisé, de la mère à l'enfant en passant par le bébé", raconte avec effroi à BFMTV.com Nadège Passereau, déléguée générale de l'Association pour le développement de la santé des femmes (ADSF). Elle assure avoir consulté des images et des vidéos de rescapées. "Il n'y a pas de mot. On ne supporterait pas le quart du tiers du commencement de ce qu'elles vivent. C'est insoutenable à voir et à entendre." Elle évoque notamment les blessures, la douleur et le désespoir d'une mère dont le bébé a été brûlé vif au lance-flammes dans ses bras. 

Après plusieurs mois passés dans un camp de rétention libyen, Fanta, enceinte, et sa fille Bintou parviennent à rejoindre l'Europe, puis la France. À Paris, elles passent plusieurs semaines dans les couloirs du métro dans le dénuement le plus total. Elles trouvent asile la nuit aux urgences d'un hôpital. Sur le point d'accoucher, Fanta se voit proposer une solution d'hébergement. "Rien que trouver de quoi manger, un endroit où s'abriter la nuit, les trois premiers jours de rue, c'est un enfer", ajoute Nadège Passereau.

Pour ces femmes seules, survivre devient un combat. "Souvent, elles tombent dans des réseaux et sont exploitées, leurs papiers confisqués, relate Nadège Passereau. Elles sont invisibles pendant plusieurs mois et nous arrivent en très mauvaise santé. D'autres acceptent le pire pour pouvoir payer le voyage à leur enfant resté au pays. Parfois d'ailleurs, l'enfant fait l'objet de chantage ou est menacé pour continuer à exploiter la mère. Elles feraient n'importe quoi pour le mettre en sécurité."

Le risque d'excision pour ses filles

Alors que la situation est toujours très compliquée au Mali, pas question pour Fanta d'y retourner. Elle craint pour ses deux filles: elle-même a été excisée et refuse qu'il en soit ainsi, comme la tradition l'exige, pour Aicha et Bintou. Elle est d'ailleurs très inquiète pour son aînée - prise en charge par d'autres membres de sa famille après son retour au pays - qui pourrait, dans les prochaines semaines, être excisée et mariée de force dans la foulée.

"La seule solution, quand il y a un risque d'excision, c'est de demander l'asile, explique Nadège Passereau à BFMTV.com. Mais il y a une liste de justificatifs longue comme le bras à fournir." 

Si le Conseil d'État a reconnu que les enfants et adolescentes non mutilées constituaient un "groupe social" protégé au sens de la convention de Genève - "dans une population dans laquelle les mutilations sexuelles féminines sont couramment pratiquées au point de constituer une norme sociale" - il reste en effet nécessaire de fournir "l'ensemble des éléments circonstanciés, notamment familiaux, géographiques, sociologiques, relatifs aux risques" encourus personnellement "de manière à permettre à l'Office français de protection des réfugiés et apatride (Ofpra) d'apprécier le bien fondé de sa demande".

Une tradition dans certaines régions

Julien Boucher, son directeur général, assure cependant à BFMTV.com qu'il "n'y a pas de document qui soit incontournable". "On n'attend pas d'un demandeur d'asile qu'il établisse par écrit la réalité de ses craintes compte tenu des conditions dans lesquelles il a dû fuir." Selon lui, c'est avant tout l'entretien individuel qui prime. Mais, comme pour Fanta, une mère qui serait excisée - "bien que ce ne soit pas une condition", nuance Julien Boucher - qui demanderait l'asile pour sa fille serait un élément "fort".

Une autre difficulté peut s'ajouter si le pays condamne officiellement l'excision mais qu'elle demeure une tradition (indépendante de toute religion) dans certaines régions, voire certains villages. Mais pour Julien Boucher, "le fait qu'un pays ait dans sa législation des dispositifs qui prohibent l'excision ne nous conduit pas à considérer qu'il n'y a aucun risque en cas de retour".

De même, pas de présomption d'absence de risque dans les pays présentés comme sûrs, déclare le directeur général de l'Ofpra. Et selon lui, la prévalence de l'excision serait un élément aussi important que la situation individuelle du demandeur. Car là où l'excision est pratiquée, même localement, ce sont rarement les parents qui décident du sort de leur enfant.

"Ça peut aller très vite, déplore pour BFMTV.com Violaine Husson, responsable des questions genre et protections à La Cimade. La mère se rend au marché et quand elle revient, sa fille n'est plus là. Ce sont d'autres femmes de la famille, une tante, la grand-mère, ou l'exciseuse du village qui interviennent."

Selon l'Organisation mondiale de la santé, entre 100 à 140 millions de filles et de femmes dans le monde ont déjà subi des mutilations sexuelles. Et chaque année, ce sont 3 millions de petites filles supplémentaires qui risquent de subir cette violence. En France, le nombre de 60.000 femmes excisées est évoqué bien que certains estiment qu'il soit largement sous-évalué. Marlène Schiappa, la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, a annoncé ce jeudi matin sur Europe 1 une étude sur le sujet pour connaître leur nombre exact et leur profil.

Des situations inextricables

En France, quelque 9000 fillettes et jeunes femmes sont placées sous la protection de l'Ofpra pour risques de mutilations génitales. "Dans la majorité des cas, les demandes concernent des fillettes, voire des bébés", précise à BFMTV.com Julien Boucher, son directeur général. Si certaines d'entre elles sont nées en France, la plupart ont des parents de nationalités ivoirienne, malienne, guinéenne ou sénégalaise. 

Marion Jobert, déléguée générale de l'association Kali - qui accompagne des femmes étrangères ayant subi des violences - est avocate et assiste régulièrement ces dernières dans leurs démarches. En principe, le risque de persécution en cas de retour au pays et l'absence de protection de cet État sont deux critères permettant d'obtenir l'asile. Mais dans les faits, les situations semblent parfois inextricables face à l'inflexibilité de l'administration.

"Je défends actuellement une femme ivoirienne qui vient d'une région où l'excision est pratiquée mais dont la demande d'asile a été rejetée au motif que le père de sa fille est de nationalité ivoirienne et italienne, détaille-t-elle pour BFMTV.com. Pourtant, il ne s'occupe absolument pas de l'enfant. Elle doit donc prouver la défaillance du père et l'impossibilité pour sa fille d'avoir accès à la nationalité italienne."

Le droit à l'unité des famille

Quand une petite fille bénéficie du statut de réfugié ou d'une protection subsidiaire, grâce au droit à l'unité des familles, le père et la mère peuvent demander une carte de résident ou de séjour pluriannuelle. "L'intérêt supérieur de l'enfant et le droit à mener une vie de famille normale impliquent que ses parents puissent résider en France avec lui", indique Julien Boucher, de l'Ofpra.

Mais il y a la théorie et la pratique. "J'ai déjà vu des parents, venus en France pour protéger leur enfant, déboutés alors que l'asile avait été accordé à la petite fille, c'est d'une grande hypocrisie", s'indigne Nadège Passereau, la déléguée générale de l'ADSF. Sans compter les délais. "Une demande d'asile, c'est un ou deux ans d'attente pour qu'au final on vous dise non. On ne peut pas faire ça aux gens."

Violaine Husson, de La Cimade, accuse quant à elle certaines administrations de vouloir freiner les procédures.

"La loi permet bel et bien la régularisation des parents d'un enfant protégé. Mais certaines préfectures n'appliquent pas le droit et ajoutent des obstacles pour ne pas délivrer de titre de séjour. On vous demande des justificatifs que la loi ne prévoit pas, on remet en cause la validité de documents ou on enregistre la demande d'asile au nom de l'enfant, ce qui ne permet pas aux parents de bénéficier de l'ADA (l'allocation pour demandeur d'asile, NDLR)."

En principe, sont aussi protégés tous les membres mineurs de la fratrie. "C'est la procédure de réunification familiale, sans condition de ressources ni de logement, cela n'a pas de sens de séparer les familles", poursuit Julien Boucher, de l'Ofpra. Mais ce n'est pas toujours si simple.

"Fournir des photos pour prouver la filiation"

À l'exemple de Mana A., réfugiée érythréenne, dont la bataille pour faire venir ses enfants en France a été racontée par Le Monde. Si ces procédures relèvent des postes consulaires à l'étranger et ne sont donc pas de son ressort, Julien Boucher remarque tout de même que ces problèmes peuvent résulter de la difficulté à "établir la composition familiale dans des pays où l'état civil est défaillant". 

Si Fanta ou sa cadette obtient une protection, il n'est ainsi pas pour autant certain qu'elle réussisse à faire venir en France son aînée. "La procédure pourrait prendre des années", pointe Marion Jobert.

"L'administration française trouve tout un tas de raisons pour vous refuser le visa, je le vois régulièrement, dénonce cette avocate. On vous dit que l'acte de naissance de l'enfant est un faux, que les chiffres du document ne devraient pas être écrits en lettres, que le tampon est du mauvais côté. Et au final, le droit étranger est interprété dans le sens qui l'arrange. On en est parfois à fournir des photos de l'enfant à sa naissance pour prouver la filiation."

Marion Jobert, de l'association Kali, se dit quant à elle "désespérée" face aux "refus" des administrations d'appliquer le droit.

"Est-ce qu'on ne préférerait pas que cette femme ait un titre de séjour, travaille, consomme et ait accès à la santé plutôt que d'engendrer des coûts supplémentaires liés à l'aide juridictionnelle et aux services d'urgences? Sans même entrer dans des considérations humanistes, économiquement, l'équation n'est pas gagnante."

"Tous les jours" des histoires comme celle de Fanta

Sur les 1043 femmes âgées de 14 à 92 ans accompagnées par l'ADSF en 2018, un quart présentait un ou des problèmes de santé liés à une excision, indique Violaine Husson. Bien plus étaient excisées.

Des situations comme celle de Fanta, Nadège Passereau, de l'ADSF, assure en rencontrer "tous les jours". "Beaucoup de femmes arrivent seules, violées, excisées, ayant refusé un mariage forcé. Elles ont tout quitté du jour au lendemain et elles sont passées par l'horreur."

Pourtant, quels qu'aient été les tourments vécus par Fanta et Bintou, cela ne jouera pas dans leur demande d'asile, constate Violaine Husson. "Qu'elle ait perdu sa famille dans la Méditerranée, qu'elle ait été torturée en Libye et que son parcours migratoire ait des conséquences sur sa sécurité en cas de retour au pays, notamment pour les femmes violées mises au banc de la société, cela n'entre pas en ligne de compte."

Il y a parfois des histoires qui finissent bien, comme cette femme qui a quitté son pays, sa famille et son travail après avoir été excisée, battue et laissée pour morte le jour de son mariage. Arrivée seule en France et sans un sou en poche, à la rue, elle a été mise en sûreté, obtenu l'asile et retrouvé un emploi.

"Les femmes, il faut juste les mettre à l'abri, confie Nadège Passereau. Avec un petit coup de pouce, elles se redressent toutes seules."

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Céline Hussonnois-Alaya