"La France dans les yeux" - À la rencontre des habitants de territoires délaissés

"On se sent oubliés", "on a beau essayer de s’en sortir, on n’y arrive pas", "on n'est pas assez bien?". Les inégalités et les fractures sociales en France sont sur le devant de la scène depuis plusieurs mois, mis notamment en lumière par le mouvement des gilets jaunes. Fermetures de services publics ou désertifications diverses appauvrissent des communes qui peinent aujourd'hui à redevenir dynamiques.
BFMTV est allée à la rencontre de ces Français en territoires ruraux, qui, à l'ombre des grandes villes attractives, se sentent délaissés par l'État mais se battent pour garder leurs commerces, leurs écoles, leurs médecins ou encore leurs transports.
"Tout s'en va, le travail il n'y en a pas"
Les Ardennes font par exemple partie des dix départements français perdant le plus d'habitants. A Revin, la population a été divisée par deux en cinquante ans. En cause, une communauté vieillissante et un taux de chômage de presque 25% - trois fois plus élevé que la moyenne nationale - qui n'encourage pas de potentiels habitants à s'installer, mais plutôt à fuir le coin.
Les panneaux "à vendre" se succèdent dans les rues de cette commune, pour des prix dérisoires - parfois à moins de 500 euros le mètre carré - mais ne trouvent pas facilement preneur. Les usines et les fonderies qui faisaient vivre le territoire ont fermé les unes après les autres, laissant des travailleurs locaux sur le carreau. Hervé travaillait pour Electrolux, une des dernières entreprises à avoir fermé ses portes. La firme a délocalisé ses activités en Pologne.
"En 2014 quand la première annonce a été faite, l'État ne nous a pas aidé, au contraire, ils ont laissé partir l'entreprise", déclare-t-il. "Tout s'en va, le travail il n'y en a pas".
"Est-ce qu’on ne risque pas d’isoler ces jeunes-là?"
Difficile pour la jeunesse d'imaginer un avenir dans ces zones. Le fils d'Hervé travaille dans l'armée de Terre, à Besançon (Doubs), à près de 500 kilomètres de chez ses parents. Dans le département voisin des Vosges, le directeur d'un établissement scolaire est également préoccupé pour l'avenir de ses jeunes élèves.
Raphaël Thomassin, directeur d'un lycée privé qui prépare aux métiers de la sécurité à Bruyères, s'inquiète surtout du manque de transport. La fermeture de la ligne régionale reliant Épinal à Saint-Dié contraint le quotidien de plusieurs de ses élèves, qui arrivent en retard et font jusqu'à deux heures de transport par jour pour se rendre en cours.
"Est-ce qu’on ne risque pas d’isoler ces jeunes-là dans des petites villes où, de par un problème purement matériel, [ils ne pourront] pas choisir le métier qu’ils voudront faire", déclare le directeur. "A l’heure actuelle il y a des moments où on se sent oubliés".
La sensation d'abandon par le gouvernement reste très forte sur ces territoires en difficulté. "On a la sensation que les grandes décisions se prennent dans les grandes villes sans penser qu’on a une vie à côté", continue Raphaël Thomassin. Emmanuel Macron a promis la réouverture de cette fameuse ligne, mais l'origine des financements est encore inconnue.
"Les patients ne sont pas assez biens? Pas assez huppés?"
Avec des transports publics rares, et à peine quelques milliers d'habitants par commune, ces zones sont peu attractives pour des travailleurs comme les professionnels de la santé. En France 2/3 des maternités ont disparu en 40 ans et actuellement 326.000 femmes vivent à plus de 45 minutes de leur lieu d’accouchement. Des distances qui peuvent s'avérer dangereuses pour la santé de la mère, comme du nouveau-né.
La Nièvre a par exemple perdu trois maternités en dix ans, a priori en raison d'un manque de personnel, ce qui mettait en danger les patientes. De façon plus générale, le délais d'attente pour un rendez-vous avec un spécialiste peut atteindre presque un an. Les médecins généralistes ne sont pas non plus faciles à trouver: il y a 236 médecins pour 100.000 habitants.
"Pourquoi ils ne veulent pas venir à la campagne? Les patients ne sont pas assez biens? Ils ne sont pas assez huppés ? Ils ne sont pas assez intelligents? Ils sont malades comme tout le monde", déclare une habitante de Pouligny, qui doit attendre trois mois, sauf urgence, pour un rendez-vous avec sa médecin généraliste.
"Plus de commerce, aucune épicerie, tout a été fermé"
En Corrèze, la moitié de la population vit dans des communes de moins de 2000 habitants, où la désertification s'observe également au niveau des cafés et des commerces fermés, faute de clients. C'est la solidarité locale qui prend alors le relais. Isabelle, qui travaille dans une boulangerie de Saint-Privat, parcourt 100 kilomètres quatre jours par semaine pour livrer du pain, mais aussi des produits d'entretien, des conserves et autres denrées d'épiceries, absentes des petite communes qu'elle traverse.
Cette activité n'est pas rentable pour la boulangerie, mais "si on ne passe pas, qui va les servir? Il n'y a plus de commerce, là où je passe il n'y a aucune épicerie, tout a été fermé".
A 81 ans, Céline laisse son café ouvert dans la petite commune de Darazac, alors qu'elle rentre tout juste dans ses frais. Mais "c’est l’âme du village", expliquent les clients, "c'est le dernier commerce qui reste, on est loin de tout maintenant".
"On a beau travailler, essayé de s’en sortir, on n’y arrive pas"
La disparition progressive de ces services crée un cercle vicieux: moins de commerces et d'écoles entraîne une baisse de la population, qui à son tour entraîne la fermeture de services. Les habitants de ces territoires, devenus peu attractifs, se sentent alors délaissés. Ainsi, 541 communes sont encore aujourd'hui classées en zone blanche en France, ce qui signifie que la 3G et le réseau téléphonique y sont très faibles, voire complètement inexistants.
"Il y a tellement peu de personnes chez nous que ça ne les intéresse pas forcément quoi", déclare Sébastien, habitant de Rilahc, commune de Corrèze en zone blanche. La fibre devrait être installée d'ici trois ans dans sa ville.
Cette impression d'abandon générale dans ces territoires a grandement participé à lancer le mouvement des gilets jaunes, retrouvé dans plusieurs villes de l'enquête BFMTV. Comme à Revin, mais aussi à Béziers (Hérault), ville classée parmi les plus pauvres de sa région, où un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté.
"On doit toujours se serrer la ceinture, on doit toujours faire attention, (...) Si on fait une erreur de parcours malheureusement ça ne pardonne pas", déclare un bénéficiaire du Secours Populaire de Béziers. "C’est surtout de la colère. On a beau travailler, on a beau essayer de s’en sortir, on n’y arrive pas", déclare une autre.