"J'aurais aimé qu'on me dise la vérité": cette mère milite pour un "consentement à la maternité"

Dans son nouveau livre, la journaliste Renée Greusard milite pour un "consentement" éclairé à la maternité. - PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV
Non, avoir un enfant, ce n'est pas toujours que du bonheur. Dans son ouvrage Choisir d'être mère qui vient de paraître, Renée Greusard dénonce l'image "fantasmée" de la maternité bienheureuse - un "mensonge", une sorte de "secret" qui se diffuserait de génération en génération, et qui interroge selon elle sur l'absence de "consentement" éclairé des futures mères.
On parle peu, argue-t-elle, de la nuit de java des tous premiers jours de bébé à la maternité - une agitation et une sollicitation importante du nouveau-né la deuxième ou la troisième nuit après la naissance. De l'injonction à l'allaitement maternel. De la solitude des mères. Du manque de sommeil. Des phobies d'impulsion - la peur à l'idée de blesser ou brusquer son bébé. Ou encore de la dépression post-partum. Autant de tabous autour de la maternité sur lesquels la journaliste et autrice entend lever le voile.
"Les jeunes parents ne sont pas assez informés", estime-t-elle, interrogée par BFMTV.com. "Et c'est d'autant plus difficile pour les femmes qui, on le sait, sont les premières victimes des inégalités dans le couple, des attendus liés à la parentalité et des nombreuses injonctions de la mère parfaite qui n'existe pas."
Renée Greusard évoque notamment la réaction de sa propre supérieure lorsqu'elle lui parle de ses difficultés avec son bébé - "ne dégoûte pas trop les autres quand même". Ou encore le message reçu d'une infirmière puéricultrice, elle aussi désillusionnée après son accouchement: "Elle m'a dit que quand elle a demandé à sa collègue psy pourquoi on ne lui avait rien dit, elle lui a répondu 'c'est pour ne pas faire peur'."
Autant de non-dits qui font que, selon la journaliste, les femmes se lancent souvent dans l'aventure de la maternité à l'aveugle. Pas suffisamment bien équipées ni outillées pour affronter les difficultés que représente l'arrivée d'un nouveau-né.
"J'utilise souvent la comparaison du trek au Népal. C'est super un trek au Népal et c'est une aventure extraordinaire mais il faut savoir dans quoi on s'engage et avoir les bonnes chaussures. "
Véronique Borgel Larchevêque, psychologue clinicienne spécialisée en périnatalité, a remarqué cette absence de transmission autour de ces difficultés. Dans son cabinet bordelais, certaines de ses patientes s'interrogent sur le décalage entre l'image de la maternité - forcément épanouissante - qui leur a été transmise et la réalité - parfois décevante et douloureuse.
"Elles me disent qu'elles ne s'attendaient pas du tout à ça", observe cette thérapeute pour BFMTV.com. "Elle se demandent pourquoi leurs mères, leurs grand-mères et leurs amies ne leur ont pas tout dit. Si c'est parce qu'elles ont oublié les mauvais moments pour ne conserver que les bons ou si c'est parce qu'elles ont préféré éviter de leur en parler."
Les patientes de Véronique Borgel Larchevêque confient, comme Renée Greusard, "des silences" et "des non-dits" autour des aspects plus difficiles de la maternité. "Elles ont l'impression que tout a été édulcoré", poursuit cette psychologue.
Ce qui interroge, estime la journaliste et autrice Renée Greusard, sur ce qu'elle appelle le "consentement à la maternité". "Peut-on consentir à la maternité si on ne sait même pas de quoi elle est faite?" se demande-t-elle. Car faute d'être bien informée, difficile de se décider de manière éclairée, juge-t-elle: "J'aurais aimé qu'on me prévienne plus et qu'on me dise la vérité."
Un message parfois difficile à porter: la publication de l'ouvrage de Renée Greusard et plus particulièrement cette notion de "consentement à la maternité" ont suscité une certaine controverse sur les réseaux sociaux, alimentant par exemple un débat avec Cécile Duflot. "Chaque enfant étant si spécifique tu ne peux pas savoir exactement à quoi tu consens", a notamment argué l'ancienne ministre et députée, avant d'échanger "tranquillement" avec l'autrice dans un échange enregistré sur Twitter.
Une construction idéalisée
La vision "édulcorée" de la maternité évoquée par Renée Greusard relèverait d'une fabrication historique, explique à BFMTV.com Manuela Spinelli, maîtresse de conférences à l'Université Rennes 2 et spécialiste des études de genre. Un idéal qui remonterait au XIXe siècle, en parallèle de la seconde révolution industrielle et de la mise en place de politiques natalistes.
"Il fallait mettre au monde de la force de travail. L'image de l'homme pourvoyeur des besoins a été renforcée quand le rôle de la femme a été cantonné à la sphère privée. La maternité a ainsi été présentée comme le destin des femmes, comme si la grossesse allait de soi. La conséquence a été de taire tout ce qui ne rentrait pas dans cette vision idéalisée."
En plus de cet idéal, Manuela Spinelli - également co-fondatrice de Parents & féministes, une association qui milite pour une parentalité égalitaire - déplore les nombreuses injonctions parfois contradictoires et intenables qui s'imposent aux femmes: faire des enfants tout en faisant carrière, allaiter au sein et reprendre le travail...
"Quoi qu'elles fassent, les femmes sont toujours jugées", continue-t-elle. "Ce qui empêche le partage d'expériences et entretient les tabous. Et ce qui les isole encore plus."
Dans son ouvrage, Renée Greusard témoigne justement de l'isolement dont elle a souffert à la naissance de son fils et de la dépression post-partum qui en a suivi - dépression qui touche entre 15% à 30% des mères.
"J'ai eu l'impression d'être dans un tunnel de couches et de pleurs", se souvient-elle. "On parle de congé maternité, mais c'est loin d'être un congé. On ne se rend pas compte à quel point un nourrisson demande de l'attention. Pas le temps de se doucher, d'aller aux toilettes, de manger. C'est Koh-Lanta."
Au sujet de ce grand sentiment de solitude, Renée Greusard écrit d'ailleurs: "Quand je sortais avec mon bébé en poussette, je regardais les immeubles autour de moi et je pensais, désespérée, à toutes les femmes qui comme moi étaient seules dans un appartement. En train de pleurer face à un bébé qui pleurait."
Et avec en plus l'impression de devoir se taire. Ce qu'a également constaté Déborah Schouhmann Antonio, thérapeute en périnatalité, spécialiste de la maternité et de l'infertilité. Car quand certaines femmes ont parfois eu des difficultés à tomber enceinte, ont suivi un parcours de PMA, ont désiré et attendu leur enfant pendant plusieurs années, impossible pour elles de dire à haute voix qu'elles ne baignent pas dans un bonheur rose layette.
"On leur dit: 'tu l'as voulu ce bébé', ou 'tu pouvais t'en douter que ça allait être compliqué', ou alors qu'elles s'en sortiront comme toutes les autres avant elles qui sont passées par là", raconte à BFMTV.com la thérapeute. "Cette forme de banalisation de leur difficultés et de leurs souffrances, c'est d'une grande violence."
Il y a deux ans, avec le hashtag #MonPostPartum, de nombreuses femmes ont témoigné sur les réseaux sociaux des difficultés rencontrées pendant leur grossesse et après leur accouchement. Déborah Schouhmann Antonio se félicite de cette libération de la parole.
"C'est salutaire et déculpabilisant de découvrir que d'autres femmes vivent, ressentent, pensent la même chose que vous", pointe-t-elle encore. "Et c'est surtout nécessaire."
Depuis peu, cette thérapeute conjugale et familiale reçoit d'ailleurs en consultation, des femmes avant même qu'elles ne tombent enceintes, en prévision des difficultés à venir. Elle leur recommande notamment d'anticiper, avant même la naissance de l'enfant, des relais dans leur entourage.
Mais pour l'universitaire Manuela Spinelli, la solution ne relève pas tant d'une logistique personnelle et l'erreur serait d'individualiser ces difficultés. "Il n'est pas question de la capacité d'organisation d'une personne mais d'un système qui isole les femmes", estime la spécialiste. Pour elle, "la maternité, c'est une question politique et sociale."