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Handicap: la crise du Covid-19 a-t-elle accéléré l'accessibilité de l'information?

Emmanuel Macron et une interprète en langue des signes française lors d'une visite dans une usine de masques à Saint-Barthélemy-d'Anjou, près d'Angers, le 31 mars 2020 (photo d'illustration)

Emmanuel Macron et une interprète en langue des signes française lors d'une visite dans une usine de masques à Saint-Barthélemy-d'Anjou, près d'Angers, le 31 mars 2020 (photo d'illustration) - Loïc Venance-AFP

Traduction des annonces gouvernementales en langue des signes, sous-titrage ou encore documents en français facile à lire et à comprendre: les messages se sont voulus davantage accessibles depuis le début de la crise du Covid-19.

Prises de parole officielles traduites simultanément en langue des signes (LSF), sous-titrage, attestation de déplacement dérogatoire en français facile à lire et à comprendre: la crise du Covid-19 semble avoir donné un coup d'accélérateur à l'accessibilité des messages. "Beaucoup d'efforts ont été faits, imposés par la nécessité d'informer tous les citoyens dans un contexte de pandémie", souligne pour BFMTV.com Fabienne Martin-Juchat, professeure en sciences de la communication à l'Université Grenoble-Alpes.

"Symboliquement, c'est très fort"

Ce que confirme à BFMTV.com Marie-Anne Sallandre, professeure de sciences du langage au département de linguistique des langues des signes à l'université Paris 8. "Pour la première fois, un grand événement national et international a été vraiment interprété en langue des signes." Ce qui a est vécu "très positivement" par la communauté.

"Tous les citoyens, qu'ils soient sourds ou malentendants, ont pu avoir accès à l'information. Pour comparer, cela n'avait pas été le cas dans les années 1980 avec l'épidémie de sida, même si les moyens d'informations n'étaient pas les même. À l'époque, la communauté sourde avait été très mal informée. Avec la Covid, la communauté s'en est tout de suite emparée."

Nouveauté liée à l'urgence de la situation: les interprètes ont souvent été installés directement à côté du locuteur, qu'il s'agisse d'Emmanuel Macron ou de Jérôme Salomon, le Directeur général de la santé, plutôt que placés dans une vignette dans un coin l'écran, la traduction effectuée en cabine.

"Symboliquement, c'est très fort que l'interpète se trouve à côté du président de la République. Et visuellement, pour les téléspectateurs sourds, c'est beaucoup plus compréhensible, les vignettes sont parfois trop petites ou partiellement recouvertes d'autres éléments de l'écran, comme du texte."

L'augmentation des documents en Falc

Davantage de documents ont également été transcrits en français facile à lire et à comprendre (Falc), un ensemble de règles qui permettent de simplifier le message, alliant pictogrammes et vocabulaire concret. Des retranscriptions qui s'adressent aux personnes en situation de handicap mental mais aussi à toutes celles qui maîtrisent mal la langue française.

Bruno Le Maire, administrateur de l'Unapei - une fédération d'associations de représentation et de défense des intérêts des personnes handicapées mentales et de leurs familles - et l'un de ses vice-présidents en charge de l'accessibilité, se félicite ainsi pour BFMTV.com que pour le second confinement, l'attestation de déplacement dérogatoire ait été immédiatement proposée en Falc sans que les principaux intéressés n'aient à la réclamer.

"Il y a tellement de publications en Falc, aussi bien dans le domaine de la culture, de la santé, de la vie sociale ou de la citoyenneté, que nous n'arrivons pas à toutes les répertorier!"

Il salue une croissance "exponentielle" après les débuts balbutiants du Falc il y a une dizaine d'années. Des publications qui concerneraient près de 900.000 personnes en situation de handicap mental, selon lui. "Mais en réalité, c'est beaucoup plus que ça, précise Bruno Le Maire (homonyme du ministre, ndlr). Il faut ajouter les personnes illéttrées et celles d'origines étrangères qui ne maîtrisent pas la langue française."

"Il faut aller plus loin"

S'il y a bien eu "une explosion" de supports accessibles depuis le début de la pandémie, "ce n'est pas la crise sanitaire qui en est à l'origine", pointe pour BFMTV.com Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH).

"Emmanuel Macron avait déjà commencé à traduire ses discours en LSF lors de la crise des gilets jaunes, explique-t-il à BFMTV.com. Le sous-titrage était également amorcé depuis le précédent quinquennat. C'est en réalité le résultat de mois de mobilisation. Mais avec l'accélération et la multiplication des messages, c'est vrai qu'il y a eu une montée en charge."

Mais il faut, selon lui, "aller plus loin". "L'accessibilité, ce n'est pas que quand il y a le Covid, c'est tout le temps", insiste ce représentant du CNCPH. Il cite notamment la traduction en langue des signes de toutes les prises de parole, qu'ils s'agisse des représentants du gouvernement ou des différentes formations politiques, ou encore le respect des normes visuelles pour que les malvoyants puissent éditer les documents avec leurs propres outils qui restent à améliorer.

"Il y a encore des trous dans la raquette, poursuit Jérémie Boroy. Bien sûr, s'il y a du bon à garder de cette crise, il faut que ce soit ça. Mais on n'en est pas encore à ce que l'accessibilité soit automatique, alors que ça devrait être le cas."

Les inégalités creusées

Et selon Fabienne Martin-Juchat, professeure en sciences de la communication à l'Université Grenoble-Alpes, malgré les efforts d'accessibilité, la crise aurait redistribué et creusé un peu plus les inégalités avec les personnes porteuses d'un handicap. "Les corps de tous ceux qui ont mis en place des routines, des rituels et des habitudes pour s'adapter aux exigences de la société sont mis à l'épreuve". Elle cite notamment certains de ses élèves qui bénéficiaient de tiers-temps ou d'assistants d'éducation.

"Je vois bien que pour eux, les cours sur Zoom, c'est compliqué. Que les difficultés soient motrices, psychiques ou sensori-motrices, ces personnes auront besoin de temps pour retrouver de nouvelles routines. Et c'est d'autant plus compliqué alors que la situation n'arrête pas de changer, avec des évolutions souvent brutales."

Cette universitaire, auteure de L'Aventure du corps, cite notamment l'utilisation massive des écrans, que ce soit dans le cadre des études, du travail, ou des relations sociales, imposée par le confinement. "C'est très discriminant pour ceux qui ont des difficultés visuelles mais aussi pour ceux qui ont des difficultés avec ce type de relations à autrui. Cela génère une véritable contention corporelle qui peut représenter un nouvel obstacle à surmonter."

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV