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"Je ne conseillerai à personne de faire ça": pourquoi la fonction de directeur d'école n'attire plus

Une enfant accroche son sac à dos dans une école à Valence, en France, 4 septembre 2023 (photo d'illustration)

Une enfant accroche son sac à dos dans une école à Valence, en France, 4 septembre 2023 (photo d'illustration) - Photo par NICOLAS GUYONNET / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Rémunération insuffisante, cumul des tâches sans fin, manque de reconnaissance des parents et des institutions... Face à ces différentes difficultés, les directeurs d'écoles sont de moins en moins nombreux. Et ceux qui veulent le devenir, encore moins.

"J'étais arrivée au point de non retour. Psychologiquement, je ne pouvais plus", témoigne pour BFMTV Hélène*. Au mois de juin dernier, cette quinquagénaire décide d'arrêter d'occuper la fonction de directrice qu'elle occupe depuis dix ans dans une école maternelle de l'Ain.

"J'avais perdu le goût du travail, j'étais à la limite du burn-out."

Deux ans avant la retraite, avec pour conséquence une baisse de sa future pension, Hélène redevient donc enseignante. Elle s'occupe désormais d'une classe de CM1. "Tout le temps que je consacrais comme directrice, je le consacre désormais à mes élèves."

Comme Hélène, beaucoup de directeurs et directrices d'école renoncent à occuper cette fonction. Difficile d'avoir des données précises mais au mois de juin dernier, de nombreux personnels de direction manquaient à l'appel.

Selon un sondage du Syndicat des directeurs et directrices d’école (S2DÉ), entre 20 et 30 directeurs et directrices d'école faisaient défaut par département après la première étape du mouvement, le processus qui confronte les demandes de mutation du personnel enseignant aux places disponibles.

"Pour sauver ma peau, il fallait que j'arrête"

"Beaucoup jettent l'éponge", observe pour BFMTV Florence Comte, directrice d'une école élémentaire dans le Var et secrétaire du S2DÉ. Ce qu'a fait Hélène. "Mes journées étaient devenues trop intenses, tout devenait trop compliqué." Des journées qui se résumaient à une succession de problèmes à gérer, parfois insolubles.

Comme le manque d'AESH (accompagnants d'élèves en situation de handicap) pour plusieurs enfants de l'école qui en avaient pourtant besoin, ou les absences non remplacées d'Atsem (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles) - "et je peux vous assurer qu'avec une classe de petite section, la journée est longue".

"Le téléphone qui sonne, quelqu'un à la grille, la photocopieuse en panne, vous êtes constamment sollicités. J'avais l'impression de ne rien faire bien, d'être constamment polluée par plein de choses. Ce qui m'affectait beaucoup. Pour sauver ma peau, il fallait que j'arrête."

Un événement tragique a récemment mis en lumière le mal être de certains directeurs et directrices d'école: le suicide le 1er septembre dernier, jour de la rentrée, de Caroline Grandjean, directrice d'école dans le Cantal victime de harcèlement lesbophobe. Un événement dramatique qui a révélé les difficultés plus larges que beaucoup de ces personnels rencontrent.

"Je ne conseillerai à personne de faire ça", met en garde pour BFMTV Laurent Hoefman qui vient de prendre sa retraite après vingt-quatre ans de direction d'école. Il se dit aujourd'hui "soulagé". "Je me rends compte maintenant à quel point c'était chronophage et surtout à quel point la charge mentale était importante."

"Je me réveillais la nuit en me disant: 'il faut que je pense à ça' ou 'il faut que je fasse ça'. J'avais même un calepin sur ma table de nuit pour ne pas oublier."

"Un nombre incalculable de casquettes"

En deux décennies et demie comme directeur d'école, Laurent Hoefman a vu ses responsabilités augmenter et surtout la pression s'accentuer. "On nous demande d'impulser et de piloter des projets, de rédiger le plan particulier de mise en sûreté alors qu'on n'est pas des spécialistes, de communiquer sur l'espace numérique de travail, de mettre en place des plans notamment contre le harcèlement scolaire ou pour l'égalité entre les filles et les garçons. Tout cela représente plusieurs dizaines de mails par jour."

"Il faut être sur tous les fronts avec un nombre incalculable de casquettes."

Dont celle d'enseignant. Car la plupart des directeurs et directrices d'écoles sont aussi responsables d'une classe. Un peu plus d'un tiers des directeurs et directrices d'école n'ont d’ailleurs aucune décharge d'enseignement ou sont très faiblement déchargés, selon une note d'information de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) publiée en 2023. Et pour 38%, c'est seulement une journée par semaine.

"Le directeur est responsable de tout en n'ayant que très peu de temps pour le faire", regrette Laurent Hoefman, également vice-président du Syndicat national des écoles (SNE).

Quand elle était directrice d'une école de six classes, Hélène avait un jour de décharge par semaine plus une journée toutes les trois semaines. Elle consacrait ainsi de nombreuses heures en dehors de ses heures de classe et une partie de ses vacances. "Il faudrait être totalement déchargé de classe."

"Ou on enseigne, ou on dirige, mais on ne peut pas faire les deux. À un moment, forcément, l'un en pâtit. Moi, ça m'a beaucoup essoufflée."

Des lourdeurs administratives

Beaucoup de directeurs et directrices d'école ont aussi l'impression de perdre une partie de leur temps dans des lourdeurs administratives. "On doit répondre à des évaluations sur le quart d'heure lecture ou une enquête sur telle action culturelle, mais aussi demander l'autorisation de l'inspecteur pour prendre un stagiaire alors qu'on pourrait gérer ça facilement de notre côté", pointe Florence Comte. "Rien n'est fait pour simplifier la vie des écoles."

"La charge administrative est considérable", abonde pour BFMTV Philippe Ratinet, président du SNE. "Sur une petite école, c'est parfois disproportionné par rapport au temps dévolu."

"Quand je fais la somme de toutes les tâches que j'ai effectuées dans la journée", constate Florence Comte, "je me dis que je n'ai pas consacré tant de temps que ça à faire réussir les élèves."

"Ça ne fait plus rêver"

La difficulté supplémentaire ces dernières années, c'est une forme d'ingérence des familles dans la vie de l'école. "Certains parents ont tendance à remettre en cause les décisions de l'équipe enseignante et de la direction", déplore Florence Comte. "Comme s'ils consommaient l'école comme ils font leurs courses."

Un sentiment largement partagé. Un personnel sur trois en école déclare avoir subi de l'arrogance ou du mépris de la part des familles, selon le rapport de la Depp L'État de l'école publié en 2024. Et un directeur d'école sur trois a rencontré un refus ou une contestation d'enseignement.

Enfin l'autre point noir, c'est le salaire. "C'est très stressant, c'est beaucoup de responsabilités et ça prend beaucoup de temps pour une rétribution financière qui n'est pas à la hauteur", dénonce Philippe Ratinet, du SNE. En clair, l'indemnité est de 300 à un peu plus de 500 euros mensuels selon la taille de l'école. Insuffisant, juge Florence Comte, au regard de l'engagement que la fonction représente.

"On a la responsabilité de tout, tout le temps, et on est seul. Les collègues se disent que le jeu n'en vaut pas la chandelle." Pas étonnant, conclut Laurent Hoefman, que "la direction d'école, ça ne fasse plus rêver".

*Le prénom a été changé à la demande du témoin.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV