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"Il y a des dérives": dans les établissements privés, le sujet sensible des cours d’éducation affective et sexuelle

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Certains établissements privés sous contrat semblent tentés de réécrire le programme des trois séances "Evars" qui deviennent cette année obligatoire à l'école. D'autres envisagent de faire intervenir des associations non agréées.

C'est une nouveauté de la rentrée 2025. À partir de cette année scolaire, tous les élèves de la maternelle au lycée devront bénéficier de trois séances par an d'éducation à la vie affective et relationnelle (Evar) dans le premier degré, et d'éducation à la vie affective et relationnelle, et à la sexualité (Evars) dans les collèges et lycées.

L'objectif de ces séances, selon le ministère de l'Éducation nationale: "promouvoir des relations respectueuses et l'égalité de considération et de dignité entre les femmes et les hommes" mais aussi contribuer "à la prévention du harcèlement, à la lutte contre les discriminations et toutes les formes de violence, dont les violences sexistes et sexuelles".

Si de nombreux établissements privés sous contrat proposaient déjà ce type de prévention, notamment avec des associations agréées, dans certains établissements, le sujet semble sensible.

"Le directeur nous a dit clairement lors de la pré-rentrée qu'il faudrait qu'on fasse très attention à ce qu'on allait dire pendant ces séances, que quel que soient les reproches des parents, il prendrait fait et cause pour ceux qui se plaindraient", témoigne auprès de BFMTV une enseignante* de l'Immaculée Conception, un collège et lycée privé sous contrat de Pau (Pyrénées-Atlantiques).

"Quand il a demandé aux enseignants de lever le doigt s'ils étaient volontaires pour ces séances, personne n'a bougé. Forcément, on ne va pas s'y risquer. On se censure", ajoute-t-elle.

"Ils réécrivent le programme à la sauce catholique"

Dans certains établissements, la tentation serait forte de réécrire le contenu de ces séances.

"L'enseignement catholique appelle ces séances Ears (et non Evars, NDLR)", pointe pour BFMTV.com Franck Pecot, secrétaire général du Syndicat des personnels des établissements d'enseignement privés sous contrat (Snep-UNSA). "Et c'est un problème. Car il met en parallèle son programme et le programme officiel."

"Ils réécrivent le programme à la sauce enseignement catholique."

Au mois de juin dernier, le secrétariat général de l'enseignement catholique a publié un guide intitulé Comment grandir heureux? L'éducation affective relationnelle et sexuelle dans les établissements catholiques d'enseignement, ou Ears, pour "mettre en œuvre les programmes Evars". Il est notamment écrit que "homme et femme sont créés à l'image de Dieu, égaux en dignité, différents et complémentaires".

"Cette éducation révèle progressivement les richesses spécifiques de chacun, féminin ou masculin, tous deux 'appelés à exister réciproquement l'un pour l'autre’", peut-on lire.

Pas une seule fois le mot "consentement" n'apparaît dans ce document, pourtant au cœur de l'éducation affective et relationnelle du premier au second degrés. En ce qui concerne les violences, il est stipulé que le programme 3PF (le programme de protection des publics fragiles de l'enseignement catholique) "engage les établissements à prévenir les violences, repérer les signaux faibles, former les adultes à une posture de vigilance et instaurer des procédures de protection claires". Mais les violences sexistes et sexuelles ne sont pas évoquées.

"Endoctriner les enfants"

Le code de l'éducation précise pourtant que ces séances "contribuent à l'apprentissage du respect dû au corps humain et sensibilisent aux violences sexistes ou sexuelles ainsi qu'aux mutilations sexuelles féminines".

"Non, le texte 'Grandir heureux' sur les fondamentaux de la relation dans l'enseignement catholique n'a rien à voir avec un programme bis", s'est défendu lors de sa conférence de rentrée Guillaume Prévost, secrétaire général de l'enseignement catholique. "Oui, l'Evars est mise en œuvre", a-t-il ajouté.

Mais pour Franck Pecot, du Snep-UNSA, l'Ears de l'enseignement catholique a vocation à "endoctriner les enfants, faire du prosélytisme et les enfermer dans des stéréotypes de genre". "Et je ne parle même pas des sujets liés à l'homosexualité ou la transidentité". Sa crainte: que des associations non agréées se substituent au travail des enseignants.

C'est d'ailleurs ce qu'il s'est passé dans un lycée de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Il a été annoncé lors de la pré-rentrée que l'association Cycloshow-XY serait chargée des séances Evars. Une association fondée par Elisabeth Raith-Paula, connue pour ses positions contre la contraception et l'IVG. Dans le détail, il est question d'une intervention pour les filles "et leur maman' à destination des élèves de 6e, les fils "et leur papa" pour ceux de 5e, selon la Fed-CFDT.

Une association opposée à l'IVG

D'autres établissements pourraient être tentés de faire intervenir indirectement ce type d'association. Le directeur de l'institut Saint-Dominique, à Pau, a ainsi écrit un mail - consulté par BFMTV - aux autres directeurs d'établissement de l'agglomération afin que des membres "de qualité" du personnel soient formés au diplôme d'"éducateur à la vie" pour assurer des interventions "concernant l'estime de soi, l'éducation affective, relationnelle et sexuelle, les conduites à risques". Une formation assurée par l'association Cler, précise le mail.

Cette association a été fondée en réaction à la création du planning familial et est clairement opposée à l'IVG. Une association qui n'est pas agréée par le ministère de l'Éducation nationale pour travailler avec les écoles, collèges et lycées, selon la liste en ligne. L'association propose pourtant d'intervenir dans les établissements.

"C'est une association traditionaliste qui a une vision très traditionnelle de la famille", s'indigne auprès de BFMTV un enseignant* palois. "Ce que propose et diffuse l'association Cler, ça va à l'encontre du programme Evars."

Une brèche ouverte, selon lui, par le fait que les enseignants du privé n'aient pas accès aux formations de ceux du public. "On est censé dispenser les mêmes contenus d'enseignements mais on nous refuse les formations (le ministère indique en effet qu'un "important plan de formation est déployé" pour les séances Evars, NDLR). Ce n'est pas cohérent", regrette-t-il. Dans l'enseignement privé sous contrat, c'est le réseau Formiris qui est en charge des formations.

"On a un programme national et pourtant les établissements ont une autonomie et une liberté de mise en œuvre, ça dysfonctionne à tous les niveaux."

"Il y a des dérives dangereuses."

"On ne nous a parlé de rien depuis la rentrée, c'est encore assez flou", confie à BFMTV un autre enseignant* d'un établissement privé sous contrat de Saône-et-Loire. "On ne sait pas encore ce qui va être édulcoré. Mais ce qu'on craint, c'est que ça devienne un enseignement maison avec des valeurs qui ne sont pas celles d'Evars."

Aucun des établissements cités à Pau n'a répondu aux sollicitations de BFMTV.

*Les témoins ont souhaité conserver l'anonymat.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV