Attentats de janvier 2015: comment les professeurs d'histoire en parlent à leurs élèves

Des élèves lors de la minute de silence en hommage aux victimes des attentats contre Charlie Hebdo en 2015. (Photo d'illustration) - Pierre Verdy - AFP
Le 7 janvier 2015, le terrorisme frappe la France de manière brutale. Douze personnes, dont huit membres de la rédaction de Charlie Hebdo, sont froidement assassinées par les frères Kouachi au nom du groupe terroriste al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA). Dans le même temps, leur complice Amedy Coulibaly assassine une policière municipale à Montrouge avant de prendre en otage des clients du magasin Hyper Cacher à Paris. Quatre personnes vont être assassinées.
"Le 7 janvier 2015, j'étais en formation", se souvient Fabien Salesse, professeur d'histoire-géographie en collège à Lyon. "Nos téléphones ne faisaient que sonner. Dès le lendemain, il fallait parler de cette attaque. C’était tellement atroce. Nos valeurs étaient attaquées, les enfants mais aussi les parents avaient des questions." S'est engagé alors pour les enseignants un "travail de contextualisation", poursuit-il. "Il y avait 2-3 choses à rétablir."
Un important travail de contextualisation
Dix ans plus tard comment parler de ces attaques aux jeunes générations, à l'école? Pour Fabien Salesse, le travail de contextualisation est le même. "Il ne faut pas lâcher des faits bruts qui ne feraient pas sens pour les élèves", tranche le professeur, également secrétaire général de l'Association des professeurs d'histoire et de géographie.
Les attentats de janvier 2015 peuvent être abordés dans le cadre de l'enseignement moral et civique, lorsque les thèmes de l’État de droit, de la liberté d’expression ou du droit de la presse sont évoqués.
"On part sur les grands principes puis on zoome sur la France. On explique comment la loi protège ces principes. Ces questions sont parfois contestées. Puis on en arrive à Charlie Hebdo et Samuel Paty, deux événements qui nécessitent un gros travail de contextualisation."
Depuis plusieurs années, la rédaction de Charlie Hebdo, à la ligne athée et anticléricale, était l'objet de menaces. D'autant plus après 2006, année où le journal publie douze caricatures de Mahomet, déjà parues dans la presse danoise. En 2013, le dessinateur et directeur de la rédaction de Charlie Hebdo, Charb, est directement désigné par AQPA comme une personnalité "recherchée vivante ou morte pour crimes contre l'islam" après la publication d'une BD sur la vie de Mahomet. Stéphane Charbonnier, de son vrai nom, fait partie des victimes des frères Kouachi.
"Quand je contextualise, je ne fais pas le déroulé heure par heure des attentats. Mais je me concentre sur le contexte. J’insiste sur les personnes qui ont perdu la vie, mais rentrer dans le morbide n’apporterait rien à l’analyse", poursuit Fabien Salesse.
Pour Amélie Hart, enseignante en lycée à Dijon et membre du SNES-FSU, l'objectif n'est pas d'"édulcorer les faits". "Il arrive très souvent que des élèves nous disent 'c’est horrible'. Il est important de s’en tenir aux faits. La question récurrente est le 'pourquoi'", explique la professeure. Pour elle, la priorité est plutôt d'aider ses élèves à "comprendre". "Le thème du terrorisme les intéresse, car il apparaît comme un acte de violence gratuit", estime-t-elle.
La nécessité de répondre aux questions des élèves
Pour les dix ans des attentats de janvier 2015, le ministère de l'Éducation nationale n'a envoyé aucune directive officielle aux enseignants. "Je pense que c'est important d'expliquer aux élèves ce que veut dire la liberté d'expression et la liberté de la presse dans notre pays", déclarait ce week-end sur BFMTV Élisabeth Borne, la ministre de l'Éducation nationale. "Oui on peut leur montrer les caricatures, ce n'est pas un sujet très simple pour les élèves, ça ne fait pas l'objet de cinq minutes mais d'un travail tout au long de l'année et qui sera partagé lundi", ajoutait-elle.
Pour Fabien Salesse, impossible de passer à côté. "Il est hors de question de laisser ce sujet de côté. C’est aussi montrer aux élèves que les principes et valeurs de la République ne sont pas partagés par certains groupes."
Pour sa collègue professeure d'histoire-géographie à Dijon, rien n'est certain. "Je ne prévois pas d’en parler cette semaine", explique Amélie Hart, responsable du groupe histoire-géographie au SNES-FSU national. "Mais nous sommes toujours dans l'ambiguïté. S’il y a des questions des élèves sur les attentats de janvier 2015, j’y répondrai. J’ai revu mes fiches pour pouvoir être capable de leur répondre."
Le lien avec Samuel Paty
Que ce soit dans le cadre du programme ou non, les professeurs d'histoire-géographie sont "habitués à réagir aux faits d'actualité". Pour autant, l'enseignante à la longue carrière ne fait pas de cet événement marquant pour la société une obligation de son enseignement.
"La question de la liberté d’expression peut s’aborder à travers ces attentats mais avec plein d’autres événements aussi, avec des questions plus proches de l’intérêt de nos élèves", poursuit-elle, évoquant "la question de la manipulation des opinions sur les réseaux sociaux" ou "la question des deepfake, de la manipulation des vidéos".
En octobre 2020, les attentats de janvier 2015 sont tragiquement revenus dans l'actualité avec l'assassinat de Samuel Paty, ce professeur d'histoire-géographie des Yvelines qui avait montré des caricatures de Mahomet pendant l'un de ses cours.
"Les collègues y pensent", reconnaît la représentante SNES-FSU. "On ne va pas s’obliger à montrer telle caricature car elle a marqué la société. En face de nous, on a des élèves. Le dessin de presse s’utilise en fonction de l’âge des élèves, dans un but pédagogique. Il ne s’agit pas de montrer pour montrer."
Fabien Salesse abonde. Il ne s'agit pas de "montrer" les caricatures tel un acte de revendication mais bien de les "utiliser" dans un but pédagogique. "Certains élèves sont sensibilisés chez eux, d’autres ne sont pas du tout sensibilisés et d’autres trouvent que ce n’est pas respectueux. Il s’agit de décentrer le regard. Ce regard est choqué, c’est normal. C’est à l’enseignant de les accompagner. Je rappelle que les caricatures touchent toutes les religions et que le but n’est jamais de blesser les croyants. Il y a un travail de méthodologie", appuie-t-il.
Des élèves qui n'ont pas connu les attentats
Les enseignants se retrouvent aussi confrontés à la question générationnelle. En janvier 2015, les collégiens d'aujourd'hui avaient entre 2 et 5 ans, les lycéens actuels entre 6 et 8 ans. De fait, ils abordent les attentats en 2025 quasiment comme un fait historique.
"Plus on avance dans le temps, plus le travail de contextualisation est important", reconnaît Fabien Salesse. Quand le professeur en parle à ses collégiens, leur réaction est toujours la même. "C'est la surprise, ils me disent 'on ne peut pas tuer pour des dessins.' Il y a toujours des choses qui heurtent."
Mais plus le temps avance, moins le thème est abordé par certains enseignants. "J’en ai beaucoup parlé immédiatement car c’était proche", détaille Amélie Hart. "Le sujet venait naturellement, les questions des élèves aussi. Plus les années passent, moins on en parle, car malheureusement il y a d’autres actualités. L’erreur serait de dire que ce qui nous touche émotionnellement doit toucher nos élèves." La professeure se souvient de l'assassinat de Samuel Paty, intervenu la veille de deux semaines de vacances scolaires.
"Nous avons été très nombreux à constater qu’à la rentrée des élèves ne savaient pas de quoi on parlait. Tout dépend de quelles informations leurs parents regardent, peut-être qu’ils les protègent de certaines informations. Certains élèves n'en avaient pas entendu parler alors que ça s'était passé deux semaines plus tôt, alors imaginez dix ans après..."