BFMTV
Société

Ces femmes artistes spoliées, épisode 3: Fanny Mendelssohn

Un atelier de fabrication de pianos à Lyon en 2020 (photo d'illustration)

Un atelier de fabrication de pianos à Lyon en 2020 (photo d'illustration) - Jeff Pachoud-AFP

3/5. Cet été, BFMTV retrace l'histoire de cinq artistes féminines dont le travail a été volé ou attribué à un homme. Troisième épisode de la série avec la compositrice Fanny Mendelssohn.

Quand on entend Mendelssohn, on pense plus souvent à Felix qu'à Fanny. Pourtant, cette compositrice allemande du XIXe siècle était tout aussi talentueuse que son frère. Mais l'interdiction par son père puis par son frère d'exercer son art ont entravé sa carrière et l'ont empêchée de devenir la grande figure de la musique qu'elle aurait dû être.

Devenir une bonne épouse

Fanny Mendelssohn naît dans une famille d'intellectuels berlinois. Très jeune, tout comme son frère Felix de trois ans son cadet, elle fait preuve d'un don pour la musique. Elle compose et se révèle une pianiste hors pair. À l'âge de 13 ans, elle joue par cœur plusieurs œuvres de Bach.

Les parents Mendelssohn organisent chez eux, le dimanche, des concerts pour un cercle restreint d'amis: ce sont les "sonntagsmusiken". Ce qui permet à Felix de tester nombre de ses compositions. À son départ pour le Royaume-Uni, ces concerts s'arrêtent. La carrière de la jeune femme va tourner court. Fanny doit se préparer à devenir une bonne épouse et une bonne mère. Elle est reléguée aux activités féminines de son milieu bourgeois et protestant.

"La famille Mendelssohn était alors une grande dynastie, le père était l'un des plus grands banquiers de sa génération, analyse pour BFMTV.com Charlotte Ginot-Slacik, docteure en musicologie. Ils avaient tout: la puissance sociale, culturelle. Fanny a eu la même éducation musicale que son frère mais si le milieu dans lequel ils évoluaient a aidé Felix, il s'est retourné contre elle. La dimension mondaine de cette famille s'est révélée un moteur contre les ambitions de Fanny."

"Elle est trop femme"

Son père lui écrit: "renonce à tes triomphes qui ne siéent pas à ton sexe et cède la place à ton frère", rappelle ainsi une chronique de France musique. Il lui demande encore de se former "plus sérieusement à (s)a vraie profession, la seule profession d'une jeune fille, celle de maîtresse de maison".

"Fanny était aussi douée que son frère, ça ne faisait pas débat, poursuit Charlotte Ginot-Slacik. Leur père le savait. S'il a refusé qu'elle devienne une compositrice professionnelle, c'est parce que cela ne se faisait pas dans leur milieu."

Felix, tout en estimant sa compositrice de sœur, souhaite néanmoins lui aussi qu'elle reste dans l'ombre. "L'encourager à publier quoi que ce soit, je ne le puis, car ce serait aller contre mes convictions, écrit-il. Fanny, telle que je la connais, n'a jamais souhaité devenir compositeur ni avoir une vocation pour cela; elle est trop femme. Elle dirige sa maison et ne pense nullement au public ni au monde musical, ni même à la musique, tant que ses premiers devoirs ne sont pas remplis. Publier ne pourrait que la distraire de cela."

Cantonnée à un cadre privé

Elle entretiendra cependant toute sa vie une relation étroite avec son frère. Il arrive d'ailleurs régulièrement à ce dernier de lui demander son avis pour ses compositions. "Il n'écrit pas une note avant de l'avoir soumise à mon approbation", écrit Fanny. Elle organisera également pour lui des concerts et des tournées et lui permettra de rencontrer Liszt, Clara et Robert Schumann.

Lorsqu'elle épouse à 25 ans le peintre Wilhelm Hensel, ce dernier l'encourage dans sa voie. Les "sonntagsmusiken" se tiennent toujours chez le couple. Pour Fanny, c'est l'occasion de se produire devant un public: elle dirige un orchestre ainsi qu'une vingtaine de choristes ou se produit comme pianiste. Bach, Beethoven, les œuvres de Felix ainsi que les siennes figurent au programme. Mais alors qu'il accède à la notoriété et à la reconnaissance internationale, la musique de Fanny se cantonne à un cadre privé.

Lors d'un séjour à Rome, en 1846, elle rencontre le compositeur Charles Gounod. Il l'incite à composer et à publier. "D'une certaine manière, il lui a redonné confiance en elle, remarque Charlotte Ginot-Slacik. Mais Fanny a toujours composé. C'est souvent la même chose avec les créatrices: si elles veulent composer des petites pièces, des lieder (un chant accompagné par un piano ou un ensemble instrumental, NDLR), d'accord. Mais des grandes symphonies, impossible. Et quand elles veulent sortir de l'espace intime, c'est non."

Une lente reconnaissance

Au total, Fanny Mendelssohn a écrit près de 400 lieders, pièces pour piano ou musique de chambre. C'est seulement un an avant sa mort en 1847 - elle est morte jeune, à 41 ans, d'un accident vasculaire cérébrale lors d'une répétition pour une "sonntagmusik" - qu'elle s'émancipe de l'interdiction de son frère et commence à publier sous son nom, comme le rappelle France musique.

Jusqu'alors, quelques-unes de ses œuvres s'étaient retrouvées dans le répertoire de Felix. C'était d'ailleurs souvent les morceaux qui rencontraient le plus de succès. Une anecdote est éloquente: un jour, la reine d'Angleterre félicite Felix pour l'un de ses lied. Il reconnaît tout de même que c'est l'œuvre de sa sœur.

Pour la docteure en musicologie Charlotte Ginot-Slacik, il ne faut pas non plus négliger la dimension antisémite dans l'invisibilisation de l'œuvre de Fanny Mendelssohn.

"Pour Fanny, c'est la double peine. Elle est une femme et il y aussi une certaine tradition antisémite dans la réception des œuvres des Mendelssohn. Si la famille était juive et s'est convertie au luthéranisme, certains critiques ont reproché un manque de caractère national, un reproche typiquement antisémite. Le compositeur allemand Carl Orff, auteur de Carmina Burana, a même réécrit Le Songe d'une nuit d'été, de Felix Mendelssohn, la partition ayant été interdite du fait de ses origines juives."

Une norme masculine

Ses premières publications sont saluées par la critique, à tel point que l'on se figure que c'est un homme qui les a écrites. "Un grand classique, pointe Charlotte Ginot-Slacik. La norme est exclusivement masculine. Donc si c'est bon, c'est que c'est un homme qui en est l'auteur."

Elle n'aura pas le temps de toutes les publier. Et de son vivant, elle restera largement méconnue de ses contemporains. Après sa mort, son mari poursuivra la publication de ses œuvres. Et ce ne sera qu'un siècle et demi plus tard que le catalogue des œuvres de Fanny Mendelssohn sera au complet.

Pour lire les autres épisodes de la série, c'est ici. Le premier est consacré à la sculptrice Camille Claudel. Le deuxième à Margaret Keane, la peintre des "big eyes". Le quatrième épisode revient sur l'histoire de la miniaturiste Marie-Anne Fragonard. Et le dernier retrace la courte vie de la photographe Gerda Taro.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV