Aide aux migrants: le Conseil constitutionnel consacre le "principe de fraternité"

Cédric Herrou le 15 novembre 2017. - ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
Au délit de solidarité, le Conseil constitutionnel répond par le "principe de fraternité". Ce vendredi, la haute juridiction a affirmé qu'une aide désintéressée au "séjour irrégulier" ne saurait être passible de poursuites, au nom du "principe de fraternité". Par le passé, de nombreuses personnes ont pourtant été condamnées pour avoir aidé des migrants, soit en les transportant, soit en les logeant et en les nourrissant. C'est le cas notamment de Cédric Herrou, agriculteur devenu le symbole de l'aide aux migrants à la frontière franco-italienne.
"Il découle de la fraternité la liberté d'aider autrui"
Cette décision du Conseil constitutionnel, qui s'inscrit dans un contexte politique tendu autour de la question des migrants, répondait d'ailleurs à une demande de l'agriculteur, qui avait appelé à abolir le "délit de solidarité".
Pour expliquer sa décision, le Conseil rappelle que "la devise de la République est 'Liberté, Egalité, Fraternité'' et que la loi fondamentale se réfère à cet "idéal commun". "Il découle du principe de fraternité la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national", selon le texte de la décision, qui censure des dispositions de l'actuel Code de l'entrée et du séjour des étrangers.
Devant le Conseil constitutionnel, Cédric Herrou et un autre militant de la vallée de la Roya, tous deux condamnés pour aide au séjour irrégulier, avaient attaqué deux articles du Code de l'entrée et du séjour des étrangers.
L'aide à l'entrée sur le territoire reste sanctionnée
Ils visaient l'article 622-1, qui punit l'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irrégulier de cinq ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende, et l'article 622-4, qui précise que cette aide ne peut donner lieu à des poursuites lorsqu'elle est le fait de la famille ou "de toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte".
Le texte précise ensuite que cette aide autorisée consiste notamment "à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux (...) ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique". Un texte "trop vague" pour les défenseurs des militants, qui permettait de sanctionner l'aide humanitaire de la même façon que la criminalité organisée des filières de passeurs.
Désormais, toute aide humanitaire au "séjour" comme à la "circulation" des migrants n'est plus passible de poursuites. En revanche, "l'aide à l'entrée irrégulière" reste sanctionnée.
Collomb se "félicite" de la décision
"Le principe de fraternité est reconnu. La main tendue à l'étranger, si elle est désintéressée, ne doit pas être punissable", a réagi Patrice Spinosi, l'avocat de Cédric Herrou. Il a salué "une immense victoire", tout en regrettant que la décision du Conseil constitutionnel n'ait pas été étendue à l'entrée sur le territoire.
Le ministre de l'Intérieur s'est "félicité" de cette décision, allant jusqu'à estimer qu'elle "confortait" la position tenue par le gouvernement lors de l'examen du projet de loi asile et immigration. En première lecture, l'Assemblée nationale avait assoupli à une très large majorité, le "délit de solidarité" pour certaines personnes venant en aide aux migrants sans que celle-ci ne s'étende "à l'aide apportée dans un but militant ou aux fins de faire obstacle à l'application de la loi ou à l'action de l'Etat", selon le communiqué du ministère publié sur Twitter.
Colère de LR
"L'aide à la circulation sans but lucratif n'est pas un délit. Nous l'avions inscrit et voté dans le texte. Le Sénat l'a supprimé, je vais évidemment proposer de le reprendre", a réagi pour sa part la députée LaREM Elise Fajgeles. Pour son collègue du Maine-et-Loire Matthieu Orphelin, "la solidarité sur le territoire français ne doit plus pouvoir être condamnée".
Saluée par la majorité comme par la gauche, cette décision sans précédents du Conseil constitutionnel a été critiquée par Les Républicains, qui jugent que le Conseil se "substitue au législateur". Les deux députés Eric Ciotti et Guillaume Larrivé ont estimé que la décision "affaiblissait la lutte contre l'immigration de masse".