Variole du singe: la France doit-elle reconstituer ses stocks de vaccins antivarioliques?

Un vaccin (Illustration). - JOEL SAGET © 2019 AFP
Après le Royaume-Uni, l'Espagne, le Portugal, la Suède, l'Italie, le Canada et les États-Unis, c'est au tour de la France de confirmer ce vendredi qu'un premier cas de variole du singe a été détecté sur son territoire, en Île-de-France. L'apparition de nombreux cas de cette maladie en Amérique du Nord et en Europe inquiète, alors qu'elle est normalement cantonnée au continent africain.
Deux virus de la même famille
L'Espagne a en tout cas décidé de prendre les devants. Alors que le taux de létalité de l'infection est fixé entre 1 et 10%, le royaume ibérique a indiqué jeudi préparer l'achat de milliers de vaccins antivarioliques, normalement destinés à lutter contre la variole, maladie d'une extrême gravité que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) avait déclaré éradiquée en 1980.
"Nous devons trouver un moyen pour acheter rapidement ces vaccins car c'est un outil très précieux pour arrêter l'épidémie", a commenté auprès du quotidien madrilène El Pais Elena Andradas, la directrice générale de la santé publique de la communauté de Madrid.
"La variole et la variole du singe sont des virus qui appartiennent à la même famille, celle des orthopox", détaille pour BFMTV.com l'épidémiologiste Yves Buisson, membre de l'Académie de médecine. Expliquant ainsi l'efficacité du vaccin antivariolique sur la variole du singe. Selon l'OMS, le taux d'efficacité serait de 85%.
La décision espagnole se justifie d'autant que la population mondiale est vulnérable face à la variole et ses dérivés depuis l'arrêt de la vaccination qui a suivi l'éradication de la maladie. En 1977, le dernier cas de variole était détecté en Somalie après une campagne mondiale massive de vaccination, et l'OMS déclarait l'infection officiellement éradiquée en 1980. Dans l'Hexagone, il a été décidé en 1979 de ne plus imposer la primo-vaccination contre la variole, avant que l'obligation vaccinale ne soit définitivement levée en 1984.
"En France, les personnes qui ont bénéficié de ces vaccins sont plutôt celles qui ont aujourd'hui plus de 50 ans. C'est une protection croisée contre les différentes infections liées à la variole, comme la variole du singe. Mais à l'échelle totale de la population, nous n'avons qu'une protection très relative", analyse Yves Buisson.
Un stock stratégique en France
La France possède néanmoins un stock stratégique de vaccins contre la variole, si le virus venait à être lâché dans la nature dans un acte de bioterrorisme.
"Pour achever ce processus d’éradication de la variole, les États ont été invités à détruire leurs stocks de virus de la variole et les stocks de virus restants ont été confiés à deux laboratoires de sécurité: le Centre for Disease Control (CDC) situé à Atlanta aux États-Unis, et le laboratoire de microbiologie de Kolstovo situé en Russie dans la région de Novossibirsk. Il est cependant possible, bien qu’aucune information concrète ne vienne officiellement confirmer ce risque, que des virus aient été conservés ou obtenus de façon illégale", détaille un document daté de 2006 du ministère de la Santé, intitulé Plan national de réponse à une menace de variole.
Le même document précise que "plus de 70 millions de doses" de vaccins antivarioliques sont présentes sur le territoire français. Un nombre qui serait monté à 82,3 millions en 2015, selon les informations de La Tribune. Il s'agit de vaccins utilisés en France avant les années 80, pour certains fabriqués durant les années 70, qui ont été contrôlés par l'Agence française de sécurité des produits de santé, jugés "stables" en 2006.
Ainsi, ces doses, normalement pensées pour faire face à une menace biologique, pourraient être utilisées si une flambée des cas de variole du singe venait à se produire sur le territoire national, comme l'envisage aujourd'hui l'Espagne. Madrid ne prévoit cependant pas de vacciner toute sa population, mais uniquement les cas avérés et leurs proches.
"Si des vaccins contre la variole sont disponibles dans le pays, la vaccination des contacts étroits à haut risque doit être envisagée après une évaluation du rapport bénéfice/risque", a souligné jeudi le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies dans un point sur la variole du singe.
"Nous possédons des stocks stratégiques qui ont été reconstitués après les attentats du 11 septembre, notamment contre la variole, une maladie qui fait très peur, et dont on sait qu'il reste des souches. On a donc de quoi vacciner si besoin", abonde pour BFMTV.com Yves Buisson.
De nouveaux vaccins sur le marché
Mais malgré l'éradication de la maladie, de nombreux laboratoires ont continué à travailler sur des vaccins antivarioliques, d'autant que les vaccins de première et deuxième génération étaient porteurs de certains effets indésirables. Les vaccins que l'Espagne souhaite se procurer sont de troisième génération. Il s'agit du vaccin Imvanex, développé par la société de biotechnologie danoise Bavarian Nordic, développé pour le compte du ministère américain de la Santé dans le cadre du programme BioShield, visant à lutter contre le bioterrorisme. La première commande a été passée en 2009.
L'Agence européenne du médicament a déjà autorisé l'Imvanex, comme le témoigne son site web, pour le traitement de la variole. Aux États-Unis, commercialisé sous la marque Jynneos, il est autorisé pour lutter contre la variole mais aussi contre la variole du singe, comme l'indique le site de la Food and drug admnistration.
Mais pour Yves Buisson, avant d'envisager de passer commande pour ces vaccins de troisième génération, il est primordial de comprendre les voies de transmission actuelles de la maladie.
"C'est utile d'avoir des vaccins antivarioliques, mais ce qui presse actuellement c'est de comprendre les voies de pénétration de la maladie qui se transmettait généralement de l'animal à l'homme. Dorénavant, il semble se transmettre de manière interhumaine. C'est la première fois que l'on voit ça, et il faut prendre d'immenses précautions", met-il-en garde.
Le Royaume-Uni a en effet indiqué que tous les cas confirmés de variole du singe sur son sol étaient des hommes ayant des relations homosexuelles. Laissant craindre une propagation par voie sexuelle de la maladie, bien que cette piste doive être étayée, comme l'a rappelé l'OMS.