Entre recommandations et revirements, les débuts chaotiques du vaccin Astrazeneca en France

Avant d'atteindre la veine du bras gauche du Premier ministre Jean Castex ce vendredi après-midi, le vaccin AstraZeneca a connu une histoire tourmentée en France et en Europe.
D'abord autorisé fin janvier à circuler sur le marché européen, mais réservé de préférence en France aux personnes âgées de 50 à 64 ans, il a ensuite été suspendu dans de nombreux pays, dont le nôtre, devant la crainte d'effets secondaires particulièrement néfastes. Jeudi, l'Agence européenne des médicaments a cependant rendu un avis favorable à son administration, qualifiant le vaccin de la société suédo-britannique de "sûr et efficace", entraînant la reprise de son inoculation en France dès ce vendredi.
Sa "sûreté" n'empêche pas qu'en raison d'un "possible surrisque" de troubles de la coagulation et de formation de caillots, la Haute Autorité de Santé hexagonale a décidé de changer le public visé par les doses AstraZeneca: désormais ses destinataires seront les personnes âgées de 55 ans et plus. Retour sur un feuilleton sanitaire qui dure déjà depuis un mois et demi en France.
Bémol début février: brouillard autour des 65 ans et plus
Le 29 janvier, le vaccin AstraZeneca bénéficie d'une autorisation de mise sur le marché conditionnelle en Europe. Il devient le troisième vaccin ayant cours en France, après ses aînés Pfizer / BioNTech et Moderna, qui utilisent tous deux la technologie de l'ARN messager, contrairement à lui qui, plus classique, se fonde sur une base d'adénovirus.
Vite, cependant, le manque de données auprès d'un secteur de la population amène un bémol. Et hélas, ce secteur recouvre les patients les plus vulnérables de la société. Ainsi, en France, le 2 février, la Haute Autorité de Santé exclue les plus âgés de la cible attribuée à AstraZeneca: "Les données actuelles ne permettant pas d’apprécier le niveau d’efficacité que ce vaccin procure chez les personnes de plus de 65 ans."
En conséquence, elle poursuit: "La HAS recommande aujourd’hui de l’utiliser pour les personnes de moins de 65 ans en commençant par celles de 50 à 64 ans et qui présentent des comorbidités ainsi que pour l’ensemble des professionnels du secteur de la santé et du médico-social de moins de 65 ans."
Dont acte. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, âgé de seulement 40 ans mais médecin urgentiste de profession, reçoit une piqûre d'AstraZeneca à l'hôpital de Melun le lundi 8 février.
L'extension avant le soupçon
La vaccination AstraZeneca va alors son train dans le pays. Selon les chiffres rappelés ce vendredi 19 mars par la Haute Autorité de Santé dans son nouvel avis, 1,4 million de doses d'AstraZeneca ont ainsi été injectées dans les bras français.
Le 1er mars, armée de nouvelles données en provenance du Royaume-Uni où on vaccine avant tout les 65 ans et plus avec AstraZeneca, la Haute Autorité étend même le périmètre d'action de ce dernier à ces séniors (pourvu que leur âge ne dépasse pas 75 ans). L'ère du soupçon arrive bientôt cependant, et début mars, on ne compte qu'un tiers de soignants ayant reçu l'inoculation.
Le vaccin ne convainc pas les soignants: alors, pourquoi pas les jeunes?
Au même moment, les pharmaciens assurent que faute de médecins inscrits ou venus récupérer les doses qui leur ont été allouées, 400.000 d'entre elles dorment dans leurs frigos.
Un contretemps qui suscite une controverse parmi les acteurs de la Santé et agitent les observateurs de la classe politique. Le 5 mars, Jean-Christophe Lagarde, président de l'UDI et député élu en Seine-Saint-Denis, demande ainsi qu'on délivre les flacons inemployés aux jeunes, comme l'a signalé ici Le Parisien:
"Notre jeunesse vit un véritable drame avec la crise. Le nombre de ceux en dépression a doublé et les vacciner leur permettrait de finir leurs études plus correctement, de retourner le plus rapidement possible à l’université et de se sentir mieux. (...) On a des doses AstraZeneca dans les frigos, utilisons-les!"
Olivier Véran a une autre idée, comme il le confie le même jour à notre journaliste Jean-Jacques Bourdin: "Nous demandons que ces doses puissent être récupérées par les centres de vaccination pour les proposer à la population générale, âgée de 50 ans et plus, atteintes par des maladies qui les exposent à des risques de forme grave."
Des cas rares mais aux lourdes retombées
Mais les sujets de préoccupations s'amoncèlent encore. Dans divers pays, on rapporte des cas de problèmes de coagulation, de formation de caillots de sang, d'hémorragies cutanées chez des personnes ayant reçu une dose d'AstraZeneca. Toutefois, ramené au nombre d'injections, le nombre des complications reste modique et le lien avec le produit lui-même n'est pas avéré.
Qu'importe le faible contingent des effets secondaires et des drames ou l'absence de preuve à ce stade d'un lien entre AstraZeneca et ceux-ci, le principe de précaution commence à l'emporter un peu partout. C'est d'abord le Danemark, la Norvège et l'Islande qui choisissent de suspendre la diffusion du vaccin AstraZeneca à leurs populations.
Plus tard, la Bulgarie, les Pays-Bas, l'Italie, l'Espagne, le Portugal en font autant. Puis l'Allemagne et enfin la France, lundi, optent pour interrompre les administrations d'AstraZeneca.
"A la date du 16 mars 2021, 18 cas de thrombose veineuse cérébrale (TVC) et 7 cas de de coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) ont été signalés à l’Agence européenne des médicaments par les États membres et le Royaume-Uni sur environ 20 millions de personnes vaccinées par le vaccin AstraZeneca. Ces 25 événements ont entraîné le décès dans 9 cas. (...)
En France, au 16 mars 2021, un cas de CIVD (femme de 26 ans) deux cas de TVC sans thrombopénies associées (homme de 51 ans et femme de 24 ans) ont été signalés pour 1,4 million doses du vaccin AstraZeneca administrées", comptabilise ainsi la Haute Autorité de Santé (HAS) dans son avis de ce vendredi.
L'avis favorable mais prudent de l'Europe
Tous refilent la patate chaude à l'envoyeur, c'est-à-dire à l'Agence européenne des Médicaments. Jeudi à 17 heures, celle-ci rend son arrêt, par la bouche de sa directrice, Emer Cook, lors d'une conférence tenue à Amsterdam. Qualifiant le vaccin de "sûr et efficace", elle affirme qu'il n'est "pas associé" à un risque plus élevé de formation de caillot sanguin.
Prudente, elle ajoute pourtant: "Nous ne pouvons exclure définitivement l'existence d'un lien entre la formation de caillots sanguins et le vaccin." Elle fait alors la balance: "Ses avantages dans la protection des personnes contre le Covid-19, avec les risques associés de décès et d'hospitalisation, l'emportent sur les risques possibles."
Dans la foulée, Jean Castex, durant sa conférence de presse jeudi soir, annonce que la campagne de vaccination AstraZeneca va reprendre dès ce vendredi après-midi. Et le Premier ministre a pour l'occasion payé de son corps, offrant son avant-bras à la seringue d'une infirmière de l'hôpital de Saint-Mandé ce vendredi sur les coups de 14h30.
55 ans, nouveau seuil
Pour autant, les turbulences autour d'AstraZeneca tardent à s'apaiser. Dans un avis livré ce vendredi, la Haute Autorité de Santé a préconisé de réserver le vaccin aux personnes âgées de 55 ans et plus.
"La HAS recommande à ce stade de n’utiliser le vaccin AstraZeneca que pour les personnes âgées de 55 ans et plus, qui constituent la très grande majorité des personnes prioritaires actuelles", écrit-elle, se justifiant: "L’EMA a toutefois identifié un possible surrisque de thrombose veineuse cérébrale et de coagulation intravasculaire disséminée chez les personnes de moins de 55 ans." On précise que ce sont à nouveau des "données complémentaires" qui font défaut.
La Haute Autorité de Santé a en revanche souligné que cette patientèle était appelée à grandir à nouveau, et à redescendre la pyramide des âges. Mais la date de ce nouveau rendez-vous d'AstraZeneca avec les Français n'est, elle, pas encore connue.
"Cet avis sera revu prochainement, en collaboration étroite avec l'Agence nationale de sécurité du médicament, en fonction des données de pharmacovigilance à venir, avec davantage de recul sur le vaccin AstraZeneca, en particulier chez les personnes de moins de 55 ans", se borne en effet à lâcher le communiqué en conclusion.
