Cannabis, cocaïne... Comment deux députés proposent de radicalement changer notre politique sur la drogue

Des mesures chocs. Le député LFI Antoine Léaument et le député macroniste Ludovic Mendes présentent ce mardi 18 février, à l'Assemblée nationale, un rapport d'information "visant à évaluer l'efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants". Il contient plusieurs propositions qui, si elles étaient mises en place, changeraient radicalement la manière dont la France aborde la question des stupéfiants.
Les députés appellent à créer un "modèle français de régulation des stupéfiants" et "prennent acte de l'échec du tout répressif" en la matière.
La France compte chaque année 5 millions de consommateurs de cannabis, sur 22 millions dans l'Union européenne, selon l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). La part des 18-64 ans ayant expérimenté la cocaïne est passée de 5,6% en 2017 à 9,4 % en 2023, d'après ce groupement d’intérêt public.
Antoine Léaument et Ludovic Mendes proposent donc de changer de paradigme face à "l'échec institutionnel" de la lutte contre le trafic de stupéfiants en France.
• Légaliser le cannabis récréatif
La mesure phare de leur rapport est la légalisation de l'usage et la détention du cannabis "à des fins personnelles", aussi dit "récréatif", selon "un modèle étroitement régulé par l'État".
"Il ne s'agit pas de contester la nocivité de cette substance, mais d'offrir une réponse pragmatique", alors que le cannabis est déjà très accessible, expliquent-ils.
Les députés proposent la création d'une "autorité de régulation du cannabis" chargée de "délivrer les licences professionnelles aux producteurs et aux détaillants", contrôler les normes restreignant la vente, ou encore "planifier la production et fixer les prix". Sur le modèle de l’Agence nationale des jeux (ANJ), elle permettrait à l'État de "reprendre la main sur un marché qui aujourd'hui est totalement illégal", a décrit le député Ludovic Mendes sur BFMTV ce lundi.
Les deux rapporteurs divergent en revanche sur certaines modalités: Antoine Léaument préfére un prix fixé par l'État et une interdiction de vente aux mineurs, quand Ludovic Mendes privilégie une fixation par le marché et une interdiction aux moins de 21 ans. Ils s'accordent toutefois pour donner la "priorité" à la "santé publique", ce qui doit se traduire, entre autres, par "un accompagnement spécifique pour les consommateurs dépendants" et par "une politique de prévention ambitieuse vis-à-vis des publics jeunes (âgés de moins de 25 ans) sur les dangers de la substance".
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), une assemblée consultative composée de responsables économiques, syndicaux et associatifs, avait fait une recommandation similaire en 2023, soulignant que "les politiques publiques françaises prohibant le cannabis à usage dit 'récréatif' font preuve de leur échec". D'autres pays, comme le Canada, l'Allemagne ou Malte ont déjà emprunté cette voie.
Elle va toutefois à l'encontre de la ligne tenue par certains ministres actuels. Gérald Darmanin a par exemple vu lundi dans cette proposition des députés "un coup de poignard donné à la société". "Ce que vous vendrez dans des boutiques ne sera pas du niveau de THC qu'utilisent les consommateurs aujourd'hui", a-t-il déclaré en marge d'un déplacement à Condé-sur-Sarthe, jugeant que les consommateurs continueront de s'approvisionner sur le marché illégal.
• Cocaïne, champignons... Dépénaliser en dessous de 3 grammes
Autre recommandation importante dans le rapport: la dépénalisation de l'usage simple de stupéfiants (cocaïne, ecstasy/MDMA, champignons hallucinogènes, etc.) La dépénalisation consiste à alléger, voire supprimer, les sanctions pénales liées à un délit, là où la légalisation revient à lever l'interdit lui-même, résume l'OFDT.
Dans leur rapport, Antoine Léaument et Ludovic Mendes estiment que "la pénalisation n’a pas l’impact dissuasif attendu sur la consommation de drogue". "Pire, elle participe à la stigmatisation du consommateur - ce qui est un obstacle à l’entrée dans un parcours de soin et aux politiques de prévention les plus efficaces".
Ils suggèrent donc la dépénalisation pour toute détention inférieure à trois grammes de stupéfiants, mais divergent sur la mise en œuvre de cette proposition. Antoine Léaument préconise "le passage par la voie judiciaire qui permet des compositions pénales et des parcours de soin" au-delà de trois grammes de drogue détenus. Il propose pour cela la suppression des amendes forfaitaires délictuelles (AFD), qui permettent de prononcer une sanction pénale en l'absence de procès. Ludovic Mendes, lui, propose de maintenir des AFD pour des possessions de drogues comprises entre trois et six grammes et ne propose une voie judiciaire qu’au-delà.
"C'est une faiblesse de l'esprit, pour ne pas dire une trahison de l'esprit, que de proposer la dépénalisation", a là encore critiqué Gérald Darmanin lundi.
• Renforcer la lutte contre les trafics
Les députés souhaitent aussi renforcer les moyens alloués à la lutte contre le trafic de stupéfiants. Ils veulent augmenter les effectifs judiciaires dédiés à ce sujet, au sein des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) et de la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO).
Le rapport recommande aussi de renforcer les moyens de lutte contre l'entrée de ces produits en France, en généralisant le recours aux scanners dans les ports par exemple. "Bref: faire l’inverse de ce qui n’a, jusqu’à aujourd’hui, pas fonctionné", résume Antoine Léaument dans une synthèse du rapport.