"C'est un travail différent": avocat et non-voyant, il raconte son quotidien professionnel

"Je ne sais pas si je serais un meilleur avocat si je voyais". Me Matthieu Juglar est aveugle et il est aussi avocat en propriété intellectuelle à Paris depuis mars 2011. S'il reconnaît que son handicap peut avoir tendance à complexifier son quotidien, il montre également que celui-ci n'est nullement incompatible avec sa profession d'avocat.
"On n'a pas plus de travail, on travaille différemment, même si à certains égards cela peut prendre plus de temps. C'est un travail différent, une analyse différente", raconte Matthieu Juglar.
Avec le temps, cet avocat au barreau de Paris a appris à faire de son handicap une force. "Grâce à cette différence, peut-être que nous allons découvrir ou appréhender certains aspects du dossier qui auraient échappé à un oeil, aussi vigilant soit-il".
"C'est vrai que c'est une difficulté"
Lorsqu'on lui demande à quel niveau il rencontre des difficultés dans l'exercice de son métier, il répond la lecture des documents photo ou vidéo des dossiers: "C'est la prise de connaissance des dossiers parce qu'ils comportent de plus en plus d'images, de photographies, de vidéos." Dans ce cadre-là, Matthieu Juglar dit "avoir recours à des personnes pour l'aider": "je vais guider leur lecture en posant des questions extrêmement précises".
Alors qu'il se rend à un procès aux Assises - accompagné par BFMTV.com -, l'avocat explique que dans le dossier au cours duquel il s'apprête à plaider, "il y a un certain nombre de photographies, donc il y aura beaucoup de descriptions à faire". "Il faut être capable de poser la question: 'est-ce que vous pouvez me décrire la photographie?' et c'est très compliqué d'ailleurs car même si on va évidemment la faire la plus neutre possible, une description est nécessairement partisane".
Me Matthieu Juglar rappelle également que son handicap l'empêche de percevoir les éventuelles expressions, gestuelles et réactions des membres qui composent la salle d'audience. "Quand on plaide, c'est vrai que c'est une difficulté quand on ne voit pas", note-t-il d'abord.
"Concrètement je ne vois pas la réaction des juges et jurés. Par contre je les entends rire, écrire, parfois soupirer".
Un chien-guide "à la fois rapide et calme"
Toutefois, Me Matthieu Juglar estime "compenser" cette déficience visuelle par d'autres compétences: "On entend beaucoup de ce qui se passe quand on plaide. C'est tout de même un exercice intellectuel et pour le coup le regard peut faire le début mais il ne pourra faire que le début".
"Je ne sais pas si je serais un meilleur avocat si je voyais car je n'ai jamais vu, et je ne sais pas si vous poseriez cette question à un avocat voyant", répond le professionnel quand on l'interroge. "Je pense que ce sont deux façons d'appréhender la profession totalement différentes".
Chaque jour, l'avocat parisien se fait accompagner par un chien-guide du nom de Rider qui l'aide à naviguer entre les salles d'audience, les tribunaux et les rues de la capitale. "C'est un labrador qui va bientôt avoir 4 ans, mais c'est vrai qu'un chien guide pour un avocat, il y a un cahier des charges un peu compliqué".
"Il faut un chien à la fois rapide et calme", détaille l'avocat. "Le chien doit rester à sa place pendant des heures sans broncher, sans aboyer évidemment car il n'est pas question que le chien aboie."