47 départements débarrassés du masque à l'école: cette mesure est-elle prise trop tôt?

Après un an de port du masque, depuis ce lundi matin, il n'est plus obligatoire pour les enfants du CP au CM2 dans 47 départements où le virus circule moins. Soit dans les zones "où le taux d'incidence est inférieur à 50 pour 100.000 habitants depuis au moins 5 jour", précise le site du gouvernement.
"Nous souhaitions retirer le plus vite possible le masque aux enfants des écoles primaires, c'est pour eux évidemment que c'était le plus nécessaire", expliquait la semaine dernière le ministre de l'Éducation Jean-Michel Blanquer, ajoutant que "chaque jeudi nous publierons la liste des départements" concernés par cette mesure.
Mais si les enfants concernés ont dû accueillir avec joie cette mesure, côté professionnels de santé, comme souvent au sujet des mesures sanitaires à l'école, les avis sont divisés. Car si retirer le masque c'est apporter un bien-être psychologique et pédagogique à l'écolier, cela entraîne, fatalement, un risque de transmission plus élevé.
"Une bonne nouvelle" pour les pédiatres
"On a ce taux d'incidence qui diminue, une saturation hospitalière et un taux de vaccination qui sont favorables", rappelait fin septembre sur BFMTV Anne Sénéquier, co-directrice à l'observatoire de la santé à l'IRIS. Cette décision prend "aussi en considération le facteur humain, le facteur psychologique, scolaire, et on a bien vu ces derniers mois, ça a été très difficile pour beaucoup d'élèves. On a eu des troubles de l'adaptation, des phobies scolaires...", rappelle-t-elle.
"Nous sommes bien entendu contents de voir dans les départements où la circulation virale est maintenant faible que cette obligation a été levée", abonde Fabienne Kochert, pédiatre et présidente de l'Association Française de pédiatrie ambulatoire, sur notre antenne. "C'est quand même compliqué pour les enfants de primaire de porter le masque dans les écoles. Donc pour la communauté pédiatrique, c'est une bonne nouvelle oui", déclare-t-elle.
Mais d'autres, comme l'épidémiologiste Antoine Flahault, se montrent plus sceptiques devant cette levée de restriction. Dans une tribune publiée dans L'Express, il souligne, - aux côtés de Cécile Philippe, économiste, et de Elisa Zeno, ingénieure de recherche et membre du collectif Ecole et Familles Oubliées - "qu'il est impératif de garder la main sur la dissémination d'un virus qui n'a pas cessé de nous prendre de court et dont on ne connaît pas encore tous les impacts à long terme".
L'épidémiologiste Arnaud Fontanet a lui aussi déjà alerté à plusieurs reprises sur la possibilité d'une reprise épidémique à l'automne, déclarant par exemple sur BMFTV que les enfants de 12 ans, qui ne sont pas vaccinés, représentaient un réservoir de contamination pour le virus.
Le calcul du taux d'incidence en question
Certains professionnels de santé s'interrogent ainsi sur le seuil retenu concernant le taux d'incidence de 50 pour 100.000 habitants par département. Ce dernier mélange en effet tous les âges, alors que l'on sait qu'il peut y avoir des disparités entre les différentes générations.
Ainsi, si le taux d'incidence est de 44 pour 100.000 habitants dans l'Yonne, quand on regarde uniquement la tranche des 6 - 10 ans, il est de 145. La même observation peut être faite dans le Cantal, avec 17,5 en population générale, mais jusqu'à 175 chez les 6 - 10 ans, même si en valeur absolue cela représente peu de cas. En tout, sur les 47 départements ayant levé le masque dans les écoles ce lundi, 24 présentent, selon les dernières données, une incidence supérieure à 50 pour 100.000 habitants chez les 6 - 10 ans.

Pour Fabienne Kochert, "il faut bien retenir que les enfants se contaminent plus à la maison, et que dans les écoles, les contaminations sont souvent des contaminations isolées d'un enfant qui amène à l'école un virus contracté à la maison". Elle rappelle la contagiosité plus forte du variant Delta, et souligne que "la contamination entre les enfants, ce n'est pas zéro, mais quand même moins qu'entre les adultes".
Le retrait du port du masque devrait "être conditionné à l'incidence très faible, mesurée chez les enfants de moins douze ans, avec un engagement explicite des autorités à réinstaurer les mesures barrières sitôt que les seuils seraient refranchis à la hausse en sens inverse", réclament de leur côté les trois signataires de la tribune dans L'Express.
"C'est vrai qu'un département peut repasser en niveau deux du protocole, mais je ne pense pas que cela se passera, ou se passera beaucoup", avait expliqué Jean-Michel Blanquer, "mais bien sûr nous restons pragmatiques, vigilants, prudents".
La crainte d'une nouvelle vague
Globalement, les réfractaires à cette levée du port du masque craignent une remontée de l'épidémie dans les semaines à venir, même si elle pourrait être moins forte que les précédentes, notamment grâce à la vaccination. L'école est en effet un lieu clos avec beaucoup de brassage de population, majoritairement non vaccinée, et des lieux de contamination importants, comme la cantine.
Il y aussi le fait que le dépistage à l'école ne se passe pas aussi bien que prévu, puisque dans la semaine du 20 au 27 septembre, près de 375.000 tests ont été proposés, pour 200.000 réalisés. Le gouvernement est donc encore loin de l'objectif des 600.000 tests par semaine chez les élèves, qui permettraient de retrouver et d'isoler plus largement les cas positifs à l'école.
Des professionnels de santé notent aussi que cet allègement des mesures intervient au début de l'automne alors que les températures refroidissent, ce qui jusque-là, a été bénéfique à la circulation du virus, mais aussi que d'autres infections respiratoires arrivent, avec des symptômes similaires à ceux du Covid-19. Le masque avait permis, jusque-là, de limiter également leur transmission et d'éviter d'encombrer les cabinets de médecine générale et de pédiatrie.
Le masque, "on a intérêt à ne pas le mettre trop loin"
"On range le masque dans certains endroits, mais on a intérêt à ne pas le mettre trop loin", préconise à l'AFP Stéphane Crochet, secrétaire général du SE-Unsa, pour qui "il y a une vigilance à avoir". S'il se dit content de la fin du masque pour certains enfants, Emmanuel Burgaud, président départemental FCPE des Deux-Sèvres, appelle sur BFMTV à plus d'investissements de l'État pour d'autres mesures barrières comme l'aération dans les classes ou le dédoublement des effectifs, afin que les enfants soient moins nombreux dans une même pièce.
"La suppression du masque à l'école devrait donc être envisagée dans le cadre de mesures préventives comprenant l'aération, le dépistage et les seuils", abondent les signataires de la tribune. "On ne peut pas se permettre de croire en un miracle alors que nous avons subi des confinements prolongés assortis d'un nombre de décès élevé et d'une économie durement touchée".
Selon le dernier point de situation au 30 septembre, 1692 classes étaient fermées à cause de l'épidémie de Covid-19, soit 0,32% des classes du pays, un chiffre en baisse sur les deux dernières semaines.
