Xavier Bertrand « Cotiser 41 ans… c’est à envisager ! »

« Cotiser 41 ans… c’est à envisager ! » - -
J-J B : Les complémentaires santé, les mutuelles ou autres, ne risquent-ils pas d’augmenter leur tarif à cause de la franchise ?
X B : Je ne vois pas pourquoi ce serait le cas. Justement, ce qui a été précisé hier par Roselyne Bachelot : pour les contrats responsables, il n’y aurait pas de prise en charge de cette franchise. Parce que la volonté c’est à la fois de responsabiliser et surtout de trouver des recettes supplémentaires pour financer le nouveau plan Alzheimer, les soins palliatifs et la recherche contre le Cancer et sa prise en charge. Contrairement aux grands discours habituels, on veut trouver des moyens supplémentaires. Donc les franchises ne vont pas servir à combler le trou de la Sécurité Sociale mais à financer les dépenses nouvelles. C’est un engagement du Président.
J-J B : Donc il est certain que ça ne servira pas à combler le trou de la Sécurité Sociale ?
X B : Autrement il y aurait eu des franchises avec un niveau exceptionnellement élevé de façon à complètement faire disparaître le trou de la Sécu ! Ce qui montre bien que ce n’est pas cette logique-là.
J-J B : Pour combler le trou de la Sécurité Sociale, ne faut-il pas par exemple restreindre la liberté d’installation des médecins, comme l’avait évoqué M. Sarkozy lorsqu’il était candidat ?
X B : La question s’adresse plus à l’ancien Ministre de la Santé que je fus, je crois. Il y a aujourd’hui la possibilité de s’installer partout, c’est la liberté d’installation et la liberté de prescrire. Aujourd’hui on s’aperçoit qu’il y a beaucoup plus de médecins au Sud et pas beaucoup au Nord. Je suis par exemple élu en Picardie, endroit en France où il y a le moins de médecin généraliste par habitant. On avait lancé l’incitation de payer plus les médecins quand ils s’installent justement dans les zones sous-médicalisées. Entre le moment où l’on a pris la décision et le moment où l’assurance maladie et les syndicats de médecins se sont mis d’accord, il a fallu plus d’un an et demi ! Ces mesures-là ont à peine commencé à se mettre en place. Il faut aller beaucoup plus vite dans l’application des mesures.
J-J B : Mais alors peut-on dire que c’est votre faillite ?
X B : On peut aussi dire que le déficit de l’Assurance Maladie serait de 20 milliards d’euros (ndlr : au lieu des 8 milliards annoncés) sans la réforme de 2004. Ce n’est pas moi qui l’indique, les chiffres sont clairs et tout le monde peut les vérifier. Il s’est donc quand même passé quelque chose parce que les français ont joué le jeu du médecin traitant et il y a eu davantage de contrôles sur les arrêts de travail.
J-J B : Alors pourquoi n’est-on pas à l’équilibre ?
X B : Tout simplement parce qu’on n’est pas allé assez loin, notamment dans la lutte contre les fraudes. Quand j’ai enfourché à l’époque ce cheval de bataille, certains m’en ont fait le reproche. Mais j’assume que dans un système de solidarité il faut de la responsabilité et qu’il faut lutter contre les abus, les gaspillages et les fraudes. Je ne suis pas certain que tout le monde ait vraiment compris que c’était une priorité. Vous avez aujourd’hui 6 à 8 milliards d’euros de dépenses inutiles par an. Un examen médical sur six qui est fait en double et qui ne sert à rien… Je préférerais que tout cet argent-là nous serve à réduire les déficits, à les supprimer.
J-J B : Vous êtes d’accord avec la mise en place d’une cotisation sur les stocks-options ?
X B : Si un membre du Gouvernement a ça comme point de vue alors que ce n’est pas dans le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale, il y aurait une incohérence. Maintenant la question de savoir si c’est un débat intéressant, on va l’avoir au Parlement. Parce que j’ai vu qu’il y a au moins deux parlementaires qui nous disent qu’il faut aborder la question. Moi je trouve intéressant justement de regarder s’il n’y a pas en dehors du salaire, d’autres pistes de financement. Mais il faut faire attention, ça n’est pas les stocks options qui régleraient tous le problème de financement de la Sécurité Sociale, il faut se méfier des recettes trop simples.
J-J B : Le décret de l’application des heures supplémentaires sera publié quand ?
X B : Dans les prochains jours, avant la fin de la semaine. Mais ce qui est surtout important c’est qu’entre le 30 septembre et le 1er octobre il va se passer quelque chose pour les salariés. Vous prenez par exemple celui qui aujourd’hui fait des heures supplémentaires, du jour au lendemain, il va gagner plus. Quelqu’un qui est au SMIC aujourd’hui, qui fait quatre heures supplémentaires par semaine, à la fin du mois d’octobre, il aura 133 euros de plus. C’est-à-dire que tous les grands discours que l’on a entendu, sur les mesures de l’été qui profiteraient à on ne sait qui, vont finalement profiter aux ouvriers et aux salariés dans ce pays. Ça veut dire aussi que ça va donner du pouvoir d’achat.
J-J B : Sauf que dans les PME et PMI il existe des systèmes de primes et que ça ne va pas changer grand chose pour beaucoup de salariés des petites entreprises, on va donc transformer leur prime en heures supplémentaires. Est ce que le pouvoir d’achat de ces salariés de ces petites entreprises va vraiment augmenter ?
X B : Si les primes deviennent des heures supplémentaires la réponse est claire : oui ! Parce qu’il n’y aura pas de charges sociales sur ces heures supplémentaires.
J-J B : Est ce qu’on va taxer les pré-retraites ?
X B : Evidemment. Je veux sortir de la logique de la politique qui est dans les grands discours : aujourd’hui nous allons taxer beaucoup plus lourdement les pré-retraites afin que les entreprises qui ne jouent pas le jeu, qui utilisent les pré-retraites pour les faire sortir de l’entreprise soient pénalisées.
J-J B : Donc Alcatel et Airbus seront taxés ?
X B : Si l’on parle bien des pré-retraites maison oui. C’était taxé à 24%, ça sera taxé à 50%. Les entreprises qui mettent à la retraite d’office les salariés âgés, par exemple à 65 ans, seront donc également pénalisées parce que j’estime que quand on a 65 ans, qu’on veut travailler et qu’on le peut, pourquoi nous empêcher de le faire ? Il faut bien comprendre que l’on rentre dans une logique concrète en cherchant des mesures pour changer les comportements. Aujourd’hui un français de plus de 55 ans sur trois seulement est en activité. En Suède, 70% des plus de 55 ans sont en activité. On est loin du compte.
J-J B : Il va falloir mobiliser les entreprises pour embaucher les plus de 55 ans. J’entends déjà les auditeurs de plus de 55 ans qui cherchent du travail et qui n’en trouvent pas parce qu’on préfère embaucher un jeune qui est moins cher évidemment…X B : Oui sauf que ça ne marche pas comme ça. L’idée du partage du travail, où l’on pensait à une époque qu’en faisant sortir d’une entreprise un salarié âgé, on pourrait en faire entrer un jeune, on sait que ça ne marche pas comme ça. Je cherche d’autres moyens avec Christine Lagarde, pour favoriser l’emploi des seniors, et j’ai quelques idées en tête que j’ai pu observer à l’étranger. Favoriser les entreprises qui jouent le jeu des salariés âgés par exemple. Je pense qu’il faut effectivement pénaliser celles qui ne jouent pas le jeu et favoriser au contraire les autres. Ce serait un bon système équilibré.
J-J B : Parlons maintenant des régimes spéciaux de retraite : je m’appelle Robert, je suis salarié à la SNCF depuis 20 ans, on m’a promis lorsque je suis arrivé que j’allais bénéficier d’un régime spécial de retraite, et qu’en contre partie j’allais peut être gagner un petit peu moins, que j’allais parfois avoir des conditions de vie difficiles. Aujourd’hui que me dites vous ?
X B : Je réponds qu’il faut aujourd’hui apporter des solutions à la question des régimes spéciaux. Concrètement si l’on ne fait rien, personne ne peut garantir que dans dix ans on pourra continuer à payer les retraites des agents des régimes spéciaux. Parce qu’il y a un déséquilibre démographique. Il y a 500 000 cotisants pour 1 million de retraités. Il faut régler la question de savoir comment on fera dans dix ans pour avoir une garantie. Nous allons avoir un autre rendez vous des retraites en 2008, où l’on sait pertinemment qu’il faudra continuer à cotiser longtemps, peut être quarante et un an. La décision sera bientôt envisagée. Le principal est que les français soient sur un pied d’égalité en matière de retraite. Ce que je dis donc c’est que ces durées de cotisations ce sont des principes d’harmonisation. En revanche, il y a des situations qui sont des situations spécifiques et ça fait partie de ce que j’appelle les droits acquis et il faut aussi les prendre en compte. J-J B : Vous allez donc prendre en compte les droits acquis ?X B : Il y a effectivement des situations spécifiques : il y a trente ans, la pénibilité n’était pas la même qu’aujourd’hui. Mais ce n’est pas parce qu’elle a quasiment disparu aujourd'hui pour certains corps de métiers qu’il ne faut pas se souvenir de ce qui s’est passé quand les personnes concernées ont commencé. Voilà pourquoi il faut aussi être capable de faire preuve de souplesse et que même sur la durée de cotisation, ça ne va pas s’appliquer du jour au lendemain, ce passage de 37.5 à plus de 40 ans.
J-J B : Les bénéficiaires des régimes spéciaux vont donc cotiser 37 ans et demi, demain 38 ans puis dans un an, 39 ans et demi ?
X B : C’est le « demain » dont je vais parler avec les syndicats et les dirigeants des entreprises. Cette réforme n’est pas toute ficelée, elle se fera dans la concertation.
J-J B : C’est pour désamorcer la grève du 18 octobre ?
X B : La grève est un droit constitutionnel. Moi j’ai fait le choix de tout mettre sur la table, en toute transparence. Cette réforme n’est ficelée ni dans mes tiroirs ni dans ma tête, parce que je veux trouver les bonnes solutions. Il y a beaucoup plus de choses sur la table dans ce dossier qu’on ne le pense parce qu’il y a aujourd’hui aussi des clauses qui pénalisent les gens.
J-J B : Sur les régimes spéciaux des parlementaires, je crois que le Gouvernement ne veut pas agir ?
X B : Non, ce n’est pas notre responsabilité parce que c’est le pouvoir autonome de l’Assemblée Nationale et du Sénat ; ceci étant ça m’étonnerait que ce sujet ne bouge pas non plus. Il a déjà bougé en 2003 et il semble que les parlementaires sont bien conscients que si l’on traite le sujet pour l’ensemble des agents chacun aura à cœur de jouer la transparence.
J-J B : Combien de fonctionnaires non remplacés au Ministère du Travail ?
X B : Un sur deux, pour les départs à la retraite. Mais nous avons aussi un très fort recrutement pour renforcer les effectifs de l’inspection du travail.